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jeudi 16 novembre 2023

Vincent Bolloré, un téléévangéliste à la française

Je ne serais pas malheureux si Vincent Bolloré n'existait pas. Et pourtant, j'étais très bien disposé à son égard: il admirait quelqu'un que j'aimais beaucoup, le Crabe tambour, le commandant Guillaume, dans l'émission duquel il s'était invité sur "Radio courtoisie" par pure et simple désir de rendre hommage à ce héros, à ce soldat, à ce corsaire. 


Je fantasmais et connaissais si peu cet entrepreneur que, quand il a offert quelques jours de vacances sur son yacht à Nicolas Sarkozy en guise de retraite monastique pour recoller les morceaux de son couple, je me suis couvert de ridicule en affirmant sur "Radio ici et maintenant", un médium-forum où il m'arrivait d'intervenir, que Vincent Bolloré n'avait pas un grand poids médiatique. C'était bien peu de diriger "Direct matin" et "Direct soir". Peut-être alors détenait-il déjà le canal 8 de la TNT, mais à part le fait que Jean-Marc Morandini en était le Deus ex machina et y jouait à bas bruit le rôle qu'y joue aujourd'hui Cyril Hanouna, cela n'influençait pas grand monde.


Je ne pouvais pas m'imaginer que sa puissance montante absorberait un jour "Vivendi" et reprendrait "Canal" dans cette opération. Lorsque c'est arrivé, "France inter" le dépeignait en investisseur influenceur qui, avant d'évincer les Guignoles, écrivait des sketchs de sa propre main pour leur montrer quel genre d'humour ils voulait les voir pratiquer s'ils voulaient rester ses employés. C'était à n'y pas croire et pourtant rétrospectivement, à voir en effet "la reprise en mains" qu'il a exercée sur les médias qu'il a rachetés, que Bolloré écrive les sketchs de ses propres mains était un sketch, mais  un sketch probable et concevable à défaut d'être convenable. 


Je n'allais tout de même pas m'alarmer pour "Canal". Après tout ce n'était qu'une création de François Mitterrand qui ouvrit cette unique chaîne privée pour la donner à son ami André Rousselet qui, quand il n'exploitait pas les taxis de sa compagnie la G7 dont il était l'actionnaire principal et à qui il demandait des commissions exorbitantes, appartenait à la gauche de la dérision permanente. "L'esprit Canal" était le nom donné à cette dérision qui employait certes quelques humoristes vraiment drôles, mais qui avaient la fâcheuse habitude de cracher dans la soupe en ne mettant jamais leur courage au bout de leurs idées. Preuve en était que quand Vivendi fut racheté par "TF1" bien avant que Bolloré ne l'acquît, ces humoristes courageux manifestèrent pour nous prévenir qu'on allait voir ce qu'on allait voir et ils sont finalement restés des employés modèles du nouvel acquéreur qui, il est vrai, eut l'intelligence de ne pas changer grand-chose à l'"esprit Canal" en gage de leurs fonds, ni beaucoup intervenir dans la politique éditoriale de la chaîne. On allait voir ce qu'on allait voir et on n'a rien vu. 


Bolloré retournant "l'esprit canals" et faisant  une OPA idéologique sur cette chaîne, c'était drôle comme une ironie du sort. Ou comment un abus de pouvoir mitterandien pouvait-il être retourné par une simple fusion-absorption. Le Florentin n'aurait pas détesté la subversion conservatrice, lui qui, un an après avoir donné cet os à ronger à sa gauche dérisoire, prit langue avec Sylvio Berlusconi, entrepreneur de spectacle qui voulait faire une télévision de westerns spaghetti avant de se lancer en politique sur les pas de Reagan, autre ancien comédien de série B.


Vincent Bolloré "n'est pas seul" dans son empire. Il y a ses fils. André Rousselet n'était pas seul à "Canal". Il y avait Alain De Greef, Rodolphe Belmer ou Pierre (de) Lescure. C'est une façon différente de savoir s'entourer. 


Vincent Bolloré n'est pas seul à être conservateur. Nous pouvons l'être aussi, même moi. Seulement le vrai conservateur est une espèce de traditionaliste qui aime l'histoire, les moeurs

, le patrimoine et la foi. Le conservatisme avait tellement été banni de la sphère publique qu'il attendait sa revanche et qu'on pouvait se satisfaire du pluralisme qu'allait nous offrir Vincent Bolloré. Mais le conservatisme taiseux de Bolloré est à sa sauce. Bolloré a "ses croyances" et il tient à les imposer. On peut diffuser "des messes" sans les teinter d'un parti pris judéophile et systématiquement islamophobe. 


Les écrivains de Brive-la-gaillarde ont du souci à se faire après le rachat (sic) d'Achette par Bolloré. N'a-t-il pas repris en mains tous les titres qu'il a acquis? Avec lui, le commanditaire n'a pas besoin de parler pour se faire entendre. La reprise en mains du "JDD" par Geoffroy Lejeune devait confier l'hebdomadaire à un journaliste  professionnel qui savait lever des fonds et retrouver des recettes pour un organe de presse en mauvaise posture financière. Geoffroy Lejeune  n'a pas mis longtemps à imprimer sa marque et à transformer l'hebdomadaire en la voix de son maître. On ne pouvait pas non plus oublier le précédent d'"E-télé" dont les journalistes n'avaient pas tort, dans une longue grève, de signer une motion de défiance à leur nouveau patron qui allait presque tous les remercier.


On connaît désormais trop bien Bolloré pour savoir qu'il ne déçoit jamais dans son rôle de commanditaire qui n'a pas besoin de se montrer pour être obéi. Il n'investit jamais à fonds perdus, jusqu'à fabriquer de toutes pièces un candidat présidentiel à sa botte en la personne d'Éric Zemmour, qui ne  se cachait pas d'être la créature de Bolloré dans "la France n'a pas dit son dernier mot". Bolloré avait fait son chemin depuis le marquage de son territoire par le voyage offert à Nicolas Sarkozy.   C'était un cadeau clinquant offert à charge de revanche à ce président blingbling. Martin Bouygues qui était l'ami historique de celui-ci n'aurait jamais agi de la sorte. Et pour cause: c'était un professionnel du soft power entreprenarial et il était de la vieille école, celle d'un Édouard de Rothschild faisant la charité  à "Libération" en le rachetant, sans infléchir ostensiblement la ligne éditorial de ce journal en quête de lecteurs et emblématique  d'une gauche qu'il valait mieux avoir pour soi que contre soi, en plus de mettre quelques annonceurs dans sa poche. Martin Bouygues n'avait d'autre ambition que d'offrir à ses propres annonceurs du temps de cerveau disponible de ses téléspectateur. 


Martin Bouygues n'était pas seul et savait s'entourer de professionnels de la télévision. Vincent Bolloré n'a cure d'être seul, d'être mal entouré ou de ne pas être un professionnel de l'audiovisuel. Ce qu'il veut, c'est faire de sa chaîne "Cnews" un "Foxnews" à la française et d'en faire la vitrine de ses idées, pas de son sens de l'humour. Bolloré père doit être trop fin pour goûter les saillies de Cyril Hanouna. Mais Hanouna sait se montrer aussi intelligent qu'il est vulgaire. Il peut alterner d'insupportables séquences sur la pétomanie supposée de Benjamin Castaldi et des débats politiques ou sociétaux de bon niveau. Cette inflexion à 180° dans les talkshows est une marque de l'esprit du temps, où toutes les libres antennes radiophoniques destinées aux jeunes et animées par des boomers roués comme Maxou comme Arthur alternaient une extrême vulgarité à des réflexions psychologiques de haute volée pour une génération qui mettait  sur le même plan tous ses affects, des ébats sexuels au engagements sentimentaux, politiques ou sociaux. 


En 2002, au début de la téléréalité, la production et Benjamin Castaldi ont fait sortir du loft 2 et de leur réserve les candidats forcément groggys à l'idée que Jean-Marie Le Pen puisse accéder au pouvoir. Cette perspective n'était pas celle  de la France des lofteurs,  c'est devenu celle de Bolloré, dont le mélange des genres des émissions de Cyril Hanouna est la concession à l'esprit du temps, sa "petite blague" et son "en même temps" à lui, ou la part de l'esprit potache que consent  ce téléévangéliste à la française pour installer les crédules dans sa foi du charbonnier tout en suscitant un Trump qui croiserait les intérêts des catholiques, des judéophiles et des capitalistes. Un conservatisme à l'hameçon duquel on n'est pas obligé de mordre, surtout en plein avant-guerre mondiale et civile. 

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