Discussion stimulante avec Jean-Pierre Gosset sur le blog de René POujol. Merci à lui de la permettre.
"Jean-Pierre Gosset10 novembre 2023 at 12 h 01 min
Merci à René et à tous deux.
Ton billet René m’a conduit à questionner de prime abord ce qui distingue l’humanisme du mysticisme. J’ai trouvé un seul texte clair: « Mysticisme et humanisme – Autour du tombeau vide » de Jan Miernowski * () que l’auteur résume ainsi « Mysticisme et humanisme sont inversement proportionnels [comme des vases communicants plus on a de l’un et moins on a de l’autre, dans le sens où l’humanisme vise une parole grosse d’une présence, tandis que le mysticisme se résigne à la parole travaillée par l’absence. Cette thèse générale est soumise au jugement de quatre auteurs, échelonnés dans la longue durée : Erasme de Rotterdam et Marguerite de Navarre, respectivement, un humaniste et une mystique prémodernes ; Michel de Certeau, un anti-humaniste et un mystique postmoderne ; et enfin Bruno Latour, une sorte de néo-humaniste qui clame hautement son « amodernité ». Chacun de ces écrivains met la parole humaine – et particulièrement la parole religieuse – face au sépulcre vide du Christ, au lendemain de la Résurrection. »
Vos remarques sur les mots, Michel et Julien rejoignent ma question « humanisme et mysticisme? ». Les mots vivent et sont objet de « jeux » plus ou moins sains, de manipulation au long cours. De même que gnose a signifié parler avant connaitre, hérésie a qualifié le débat avant l’erreur; et païen désignait le paysan sans doute un peu frustre et non le mécréant et l’impie. Ah, comme on l’aime le prochain!
Plus dans l’actualité, bien qu’il y ait près de 500 millions de sémites, dont une large majorité d’arabes, le mot antisémite a pris le signification actuelle sur la base d’idées médiocres voire nauséeuses ravivées à la fin du 19ème.
Ah, comme on l’aime le prochain! Et puis, il y a aussi, un peu d’humour, « l’ordre mis par Dieu », ce seul mot français du langage informatique qui surnage sur l’océan anglais: ordinateur inventé par Jacques Perret philologue théologien, auteur aussi en 1968 de « inquiète Sorbonne »).
Ce billet m’a surtout rappelé 1969, et cet échange avec un des dirigeants du pôle logements d’Emmaüs (Camus, Henri je crois?) qui m’a dit avoir quitté avec d’autres l’abbé Pierre pour fonder « un autre Emmaüs » exclusivement logement quelques années plus tôt, sur fond d’autoritarisme, de manque de professionnalisme et de mauvaise gestion. Je viens de lire que, selon Axelle Brodiez-Dolino** l’époque de cette scission a correspondu à l’éviction de l’abbé Pierre par l’establishment politico-catholique pré-conciliaire à cause de ce que l’auteur nomme « L’incapacité du « père » à arbitrer ». Chaque aventure humaine est singulière et complexe car vivante.
* https://books.openedition.org/pup/48150?lang=fr
** https://laviedesidees.fr/Les-trois-ages-du-conflit.html
Répondre à Jean-Pierre Gosset
etudestorrentielles.blogspot.f…
JULIEN WEINZAEPFLEN10 novembre 2023 at 22 h 19 min
Votre commentaire est stimulant, Jean-Pierre.
Je me souviens d’un vendredi saint très tourmenté où je me sentais pris à mon propre piège et où mon ordinateur se mit à tourner sans s’arrêter tandis que j’inventai la maxime: « On est souvent le dindon de la farce que l’on a soi-même écrite. » Comme j’essayais en vain d’arrêter mon ordinateur, j’entenddis le Père Raniero Cantalamessa, chapelin de la maison du pape, qui disait ce que je pris pour une maxime définitive: « On a souvent imaginé de reconstituer le mouvement de la pensée humaine, mais on n’a jamais imaginé une machine qui puisse aimer comme un être humain. » Je m’étais forgé cette définition atomiste de la pensée humaine à laquelle je souscris encore, car on peut être atomiste et croyant, matérialiste et spiritualiste: « La pensée humaine est la rencontre électriquement organisée entre deux infinitésimaux universels présents dans le cerveau. » Cette définition était tributaire de ma lecture de Bergson qui s’oppose absolument à toute localisation cérébrale de l’esprit (pas moi), mais que je rejoins quand il pense que tous nos souvenirs sont présents à notre mémoire.
Pour en revenir à l’ordinateur, l’intelligence artificielle s’est longtemps contentée de nous poser des questions auxquelles nous étions sommés de répondre par oui ou par non. C’était enfin pour nous le moment de choisir, ce que nous différons si volontiers de faire, abouliques jusqu’à la neurasthénie. Mais il fallait être aussi naïf que moi pour croire que l’intelligence artificielle s’arrêterait là et s’en tiendrait à nous poser des questions ou à répondre aux nôtres. La poésie ou la musique assistées par ordinateur semblaient relever du hasard, elles n’étaient pas dangereuses. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle montre, si j’ose dire, son vrai visage: elle ne se contente plus de nous poser des questions, elle singe notre création. La machine singe l’homme come le diable est le singe de dieu. À moins de croire à l’homme-machine, ce que je crois être une option: j’ai déjà dit que j’étais matérialiste.
Passons au choix. Un homme dont je m’honore d’être ou de me croire l’ami, l’abbé Guillaume de Tanouarn dont j’ai souvent parlé ici, m’a appris le peu de choses que je sais sur le choix. (Un des grands malheurs de ma vie a été de ne pas savoir poser un seul choix positif ni prendre un tournant qui ne serait pas négociable. or on construit sa vie sur l’ensemble de ses choix positifs, faute de quoi on est condamné à traîner une valise de regrets qui deviennent une montagne devant notre conscience accablée. Toute décision est bonne à prendre et déclarerait-on forfait face au combat spirituel, on n’échappera jamais au combat contre soi-même. L'existentialisme comme la spiritualité ignatienne sont des écoles de choix).
Dans son livre « Délivrés », l’abbé de Tanouarn dit qu’il existe trois types de choix: le choix du non choix, majoritaire ; le choix du moi, égoïste, rare, mais pas médiocre et le choix de Dieu, héroïque.
Si je sais bien mes étymologies, l’hérésie vient du mot choix. Pascal la définit non pas comme « l’oubli de la vérité, mais comme l’oubli de la vérité contraire. » Car, dès que l’on s’adresse à l’esprit et à moins de faire de la vérité une idole, on doit tendre à la coïncidence des opposés ou encore à l' »union des contraires » dont parle Simone Weil, à défaut de l’union des contradictoires qui est impossible, en vertu (peut-être, mais pas exclusivement) du principe de non contradiction logique.
Est-ce que Bruno Latour était encore un humaniste? Et est-ce que notre époque est encore humaniste? Michel foucault ne s’est-il pas réjoui de la mort de l’homme? Nous y sommes. Le paradigme écologique s’est substitué au paradigme humaniste. C’est pourquoi j’ai une dent contre l’écologie politique qui n’a jamais dénoncé que très marginalement ces deux maux infligés à la terre que sont l’esclavage des animaux auquel les végans nous ont rendu sensibles et compatissants, et l’agriculture industrielle qui détruit plus certainement les labours que, s’il y a réchauffement climatique, il est d’origine anthropique ou que l’homme ne détruit la couche d’ozone.
On ne parle plus de la faim dans le monde, on parle du déréglement climatique. Il ne faut plus sauver nos âmes, il faut sauver la planète. Nous ne portons plus notre espérance au ciel ni ne voulons plus mettre du ciel dans notre vie, mais le salut de la planète nous inquiète. La subversion écologique est autant une subversion à l’égard de l’homme qu’elle l’est à l’égard de Dieu.
Souvent, je me suis demandé comment définir la mystique en me demandant accessoirement si j’étais un mystique. Quelqu’un qui m’a quasiment servi de secrétaire m’a répondu un non sans appel. La définition la plus convaincante que j’ai trouvée de la mystique est que le mystique est celui qui ne parle plus en son nom, mais qui fait parler Dieu comme s’Il s’adressait à lui-même, soit que ce soit un procédé littéraire, soit que Dieu lui parle vraiment. Je saurais faire parler Dieu en écrivant, je l’ai déjà fait. Mais Dieu ne m’a pas parlé de telle sorte que ma lettre ait la voix de Dieu. C’est pourquoi je ne suis pas un mystique et j’en reste à ne pas savoir ce qu’est la mystique, préférant me ranger parmi les humanistes, peut-être parce que je manque de profondeur ou de réalité, comme Gisors, père de Kyo, en accusait le baron de Clapique dans « la Condition humaine ». J’ai toujours pris pour moi cet anathème de Gisors. « Il boit, car il n’a pas de réalité. »
J'ajouterai que le mystique est celui qui a répondu "oui" à la question: "y a-t-il quelqu'un au centre de cette conscience que je tutoie?" Mais il a reçu cette réponse affirmative de celui-là même qui le tutoie au sein de sa conscience. Celui qui lui a apporté la preuve de l'existence d'un autre en lui qui le surplombe est son surmoi ou son surnaturel.
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