Pages

vendredi 2 décembre 2022

Y a-t-il un fascisme juif?

Dans une chanson intitulée "la Guerre" chantée par Jean-Marie Vivier, Jehan Jonas  mettait dans la bouche de la guerre qu'il prosopopait: "Il suffit pour qu'ils s'autorabent (les hommes)

De leur parler de juifs ou d'Arabes." Mettez le fascisme là-dessus et le cocktail Molotov est prêt à s'enflammer. Fais-je donc bien de relayer la question en prenant prétexte de ce que deux articles s'en emparent, l'un pour valider cette notion de fascisme juif,


Eva Illouz, sociologue : « La troisième force politique en Israël représente ce que l’on est bien obligé d’appeler, à contrecœur, un “fascisme juif” » (lemonde.fr),


l'autre pour contester que cette notion soit valable dans le monde juif:


Non, il n'existe pas de «fascisme juif» - Causeur


Il m'a souvent semblé que le fascisme était un épouvantail que tout le monde agitait sans trop savoir ce que c'était. Il y a certainement de bons essais qui peuvent nous aider à en discerner la nature, celui de Marc Lazare entre autres, mais je ne les ai pas lus, c'est une lacune que je devrais combler, mais le temps manque même et surtout à ceux qui le perdent.


Je croyais savoir que le fascisme avait dans l'idée de tendre toutes les énergies d'un pays donné vers la réalisation d'un but patriotique, ce qui ne me semblait pas de mauvaise politique, mais j'avais oublié qu'il fallait y sacrifier la démocratie. Étant depuis l'enfance partisan de la démocratie directe, je ne pourrai jamais m'y résoudre. À cela s'ajoute ce que j'ai redécouvert à la faveur du centième anniversaire de la marche sur Rome: le fascisme est arrivé par la violence politique, ce qui diffère peut-être de degré du terrorisme que l'on trouve à l'oeuvre dans certaines organisations juives d'avant l'avènement de l'État d'Israël telles que l'Irgoun. Mais qu'est-ce que le terrorisme? C'est la guérilla contre un ennemi dont les troupes groupusculaires considèrent qu'il lui fait la guerre. C'est peut-être aussi une guérilla étrangère, par quoi le terrorisme se distinguerait de la violence politique. La violence est à condamner d'où qu'elle vienne. Dès lors que le fascisme émerge de la violence politique et repose sur l'abdication de la démocratie, je ne peux plus avoir la tentation d'être fasciste si tant est que la mouche m'ait piqué, non par anticommunisme, mais par incompréhension que le communisme auquel on n'a jamais fait le procès qu'il méritait se dise antifasciste.


Peut-il ou non y avoir un fascisme juif? Selon Eva Illouz, le mouvement sioniste religieux de Ben Gvir coche toutes les cases: "il voit dans la violence un recours légitime pour défendre la terre, la nation et Dieu. Il affiche un mépris ouvert pour les normes et les institutions démocratiques."


Eva Illouz prétend que Benyamin Nétanyahou est un populiste de droite « conventionnel" à la Orban ou à la Trump. Mais ne sommes-nous pas, avec ce terme de "populisme", face à une nouvel non identification politique qui embrouille le débat plus qu'il ne le clarifie? Et Viktor Orban, mais surtout Donald Trump, ne constituent-ils pas un nouvel objet politique? Par exemple, existe-t-il une solution de continuité entre un Jean-Marie Le Pen et un Donald Trump?


Eva Illouz note que les juifs ultraorthodoxes restent le partenaire "naturel" d'une coalition formée par le Likoud de Nétanyahou. S'y ajoute la "troisième force" des "sionistes religieux". Il y a comme un oxymore dans cette coalition d'adjectifs. Car le sionisme n'était à l'origine un mouvement laïque qu'en ce qu'il forçait la main à Dieu pour arracher sa promesse de la terre d'Israël à la communauté internationale. Pour beaucoup de juifs, la "terre promise" pouvait n'être qu'une métaphore. Pour d'autres encore, la promesse était assortie de la pratique d'une éthique qui justifiait que l'on possède la terre. Les juifs se vivent souvent comme garants d'une éthique universelle qu'ils ne mettent guère en pratique dans leurs institutions politiques. En témoigne le fait colonial proscrit pour tous les autres peuples, mais qui continue de se banaliser en Israël. Les "sionistes religieux" ont pris acte qu'Israël n'est pas un Etat laïque. "Les ultranationalistes antisionistes "voulaient démanteler l’Etat d’Israël et le remplacer par le royaume de Juda." C'est en effet plus biblique. Les "sionistes religieux" sont des "nationalistes religieux". Mais n'est-ce pas tout le judaïsme qui a tendance à être un territorialisme universel? 


Que valent donc ces sionistes religieux auxquels on ne paraît pas vraiment habitué en Israël? Quand je m'y suis rendu avec mon frère et ma belle-soeur, un prêtre qui semblait se sentir placardisé à Nazareth nous dit d'aller visiter un village d'artistes, c'était une villepeuplée par des juifs ultraorthodoxes. Nous les vîmes sortir d'une longue étude de la Torah, ils paraissaient en transe et de joie, nous invitèrent à danser dans une petite maison qui avait son entrée à même la ville. Il n'y avait rien d'artistique dans leur mise, si ce n'est la transe où les mettait l'étude. Quand j'ai appris qu'au nom du fait qu'ils avaient toujours refusé le sionisme, les juifs orthodoxes avaient obtenu d'être exonérés de toute obligation militaire, je me suis dit qu'ils prenaient tous les avantages de l'existence d'Israël sans en accepter les inconvénients et je ne les en ai guère estimés. Je n'oserais dire que les sionistes religieux de ben Gvir me paraissent plus estimables par contraste, mais je les trouve plus conséquents. J'aime les radicaux qui vont au bout de leur logique. Quiconque séjourne une fois en Israël ne peut plus croire en une solution à deux États dont se berce le monde pour ne pas régler un conflit qui promet d'être multiséculaire si on le règle par le statu quo. L'observateur extérieur que je suis plaide pour  une double-étatisation d'Israël où les ressortissants israéliens dépendraient de l'État d'Israël et les Palestiniens, non de l'autorité, mais de l'État palestinien. Les sionistes religieux n'adhèrent pas à la fiction des Arabes israéliens. "Le rabbin" américain qui les influença "prônait trois solutions au problème des Arabes : ils pouvaient rester en Israël avec un statut juridique inférieur de « résident étranger » ; partir avec une compensation financière du gouvernement ; ou être expulsé de force." On est aux antipodes du droit au retour et au plus extrême d'une légitimation d'Israël, État colonial. 


Israël est-il un régime d'apartheid?

 Pour contrebattre l'indignation d'Eva Illouz qui appelle "fascisme juif" ce sionisme religieux, Marc Benveniste fait appel à Unberto Eco, qui nous explique enfin comment "Reconnaître le fascisme". "L’énumération de ces critères montre que ce qui est « juif » est fondamentalement à l’opposé du fascisme", assène-t-il. Il en veut pour preuve "l’acceptation des différences d’origines dont les mondes ashkénaze et séfarade [seraient] l’illustration." C'est sans compter avec le mépris des ashkénazes pour les sépharades et désormais pour les juifs issus de l'univers russe, qui n'est rien auprès de celui qu'ils ont pour les Falachas. Nous en fûmes témoins, partageant la cantine d'une auberge de jeunesse avec des écoliers falachas et leurs maître et éducateurs, qui les surveillait comme on fait de la pègre, l'arme au poing, mais désinvoltement serrée contre la ceinture du professeur principal, à l'opposé de la même scène observée avec de jeunes ashkénazes, qui étaient gardés comme la prunelle par leurs éducateurs. Sans parler des Palestiniens qui ne sont pas à proprement parler dans une situation d'esclavage, mais d'esclavage symbolique. Ils travaillent en Israël et leurs patrons ont souvent l'air d'être en bons termes avec eux,  mais ils ne sont pas bien considérés et il est dégradant de travailler pour des gens que l'on considère peut-être comme des ennemis.


Le deuxième critère de reconnaissance qu'avance Unberto Eco pour identifier le fascisme est facile à prendre en défaut: il s'agirait du "refus du modernisme". Comme si le fascisme n'avait pas couvé le futurisme et n'était pas une forme d'archéofuturisme.


Je ne sais pas s'il y a un fascisme juif, mais j'observe que les communautés juives ont lutté bec et ongles pour faire barrage à l'extrême droite en Europe tant qu'ils purent soupçonner celle-ci d'être antisémite. Et puis l'extrême droite qui peut faire feu de toute xénophobie trouva plus stratégique de se désantisémitiser. En France, le RN est devenu presque fréquentable quand Marine Le Pen renia les dérapages verbaux de son père, Serge Moati qui sympathisait avec le vieux briscard retiré à Rueil-Malmaison ne pouvant avaler d'être "l'enfant du détail". Éric Zemour dut à sa judéité de pouvoir monter aussi vite en qualité de représentant de l'extrême droite française en subissant des vexations pour en appeler à la guerre civile, mais sans être aussi maltraité que Jean-Marie Le Pen. Et Israël compte aujourd'hui un gouvernement d'extrême droite.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire