de Yasmina REsa.
Je recopie ceci, noté à l'instant dans mes carnets, volontairement sans le corriger, au risque d'y laisser toutes les ratures possibles:
"Ce 13 février 2022 (toujours une hésitation, quand j’inscris la date du jour, entre écrire « ce » ou ne pas écrire « ce » avant cette date. « Ce », c’est ce qu’écrivait Jeanne Watelet, je crois, dans un livre que nouslisait sœur Marie-Albert à propos d’un petit aveugle, Franz ou Francis ; c’est ce que j’écrivais, moi, dans mon premier journal, qui commençait par : « Je ne veux pas être unbateau sur la mer des choses » : l’article était intitulé « Le fondement », j’ai perdu ce journal, j’ai donc perdu mon fondement et je suis devenu un bateau sur la mer des choses, mais je pose ; c’est aussi ce qu’écrivait Francis, qui par hasard, s’appelait comme ce héros du roman que nous lisait sœur Marie-Albert et lui aussi était aveugle. Francis et moi, qui n’avons jamais été copains de bistrot bien que nousoutre-bûmes ensemble, mais amis de plume, nous écrivions « ce » avant la date, à l’orée d’un article de notre journal ou, pour Francis qui n’était pas diaryste, mais grand épistolier, à l’oréed’une lettre.
C’est par hasard que j’écris dans ces carnets certains jours et certains jours je n’écris pas.
Ecouté à l’instant « L’homme du hasard » de Yasmina Resa. J’en avais reçu le lien par mail et je tenais à l’écouter. Mon lecteur Vlc ne s’est pas mis en marche quand je l’ai téléchargé, aussi sui-je directement allé le chercher sur « France culture » et je l’ai écouté.
Je commence par en retirer ces phrasesmassives, glanées au fil de l’écoute :
« Pourquoi tant désirer pour si peu éprouver ? » « Nous fabriquons la matière que nous donnons au hasard. » « Je préfère la transe aux droits de l’homme. » (Serge, l’ami de Martha) « Nous arrivons autres à la fin d’un voyage et ainsi allons-nous d’autre en autre jusqu’à la fin. »
Œuvres citées dans la pièce : « la Cathédraleengloutie » de Debussy, « l’Oiseau prophète » de Schumann, « La nuit transfigurée » (je rois que c’est de Stravinsky, mais je ne suis pas sûr et ne veux pas tricher).
« Mon frère est persuadé que l’ordre du monde dépend de l’excellence de son passage, un ordre du monde avec tous ses croisements, y compris le nôtre, Monsieur Barsky. »Cette persuasion est l’énoncé positif de la pathologie que Barsky appelle « la maladie du dénombrement » et Zola « la rythmomanie » dans la Joie de vivre. J’en parle à mon aise, j’en suis atteint. Chez moi, elle se caractérise par la peur du diable qui est mon tabou si je le touche en pensée. Il m’attteindra, me possèdera et me contaminera, moi qu’il hante, moi qui suis, malgré moi, sujet de hantise. L’énonncé négatif de cette pathologie est la crainte que, si mon tabou me touche, non pas tout mon monde sera renversé, mais le monde entier s’effondrera.
Personnages de la pièce : Elie bretling, ami secondaire de Barsky ; Youri, ami important ; Jean, Nathalie, les enfants de lécrivain ; M. Slets, l’amant de Nathalie, le « polygendre » de Barsky, non, ce n’est pas polygendre, c’est un autre mot, peut-être protogendre ; Serge, ami important de Martha (jouée par Jeanne Moreau. Barsky est interprété par Michel Picoli.)Georges, ami secondaire.Nadine, la femme de Serge. Serge et Georges, deux prénoms qui s’attirent, généralement porté par des gens à la forte personnalité.Madame Serda, secrétaire de Barsky : « Toutle monde a une secrétaire et toi, tu as Madame Serda. » « Madame Serda devient de plus en plus acariâtre. » « Avec un physique comme le sien », on ne peut pas être de bonne humeur. Ce n’est pas la seule femme laide et toi, tu lui payes Biaritz. »Je me suis toujours repenti de mes élans vertueux. » « Quand on a passé sa vie à se positionner contre les rouges (est-ce une expression de la laideur dans le PIF (paysage intellectuel français) ?), on ne peut être que déboussolé par la chute du mur de Berlin. (La pièce doit avoir été écrite aux alentours et fut jouée à Avignon quelques années plus tard.)
Martha : « J’ai toujours aimé les gens désespérés, moi qui aime la vie. Car dans leur rage à vitupérer, ils expriment la vie même. »(Deux acteurs m’ont toujours fait penser à mon père : Michel Blanc pour le côté adolescent irresponsable et Michel Picoli pour l’attitude face à la vie. Yves Montant aurait suffi pour l’attitude dans la vie : dandy, frimeur, un peu crooner. Et j’ai toujours cru déceler que Michel Picoli n’aimait pas la vie. Mon père aimait vivre, mais pas la vie. J’ai hérité de lui et c’est une rage destructrice.)
Procédé d’écriture de la pièce: cela ressemble ou cela part d’une mise en abyme assez basique (depuis le second XXème siècle, la litérature est devenue masturbatoire e:elle parle de littérature comme l’école parle de l’école ou l’Eglise de l’Eglise, toutes autoréférentielles, jusqu’au « synode sur la synodalité » pour l’Eglise ou pour l’école, cette contre-Eglise, jusqu’à nourrir ces deux catégories d’universitaires préposés à y réfléchir que sont les didacticiens et les pédagogistes.
« Un écrivain de renom voyage avec une inconnue qui lit son dernier livre », expose Barsky qui commente : « Bon sujet de nouvelle un peu vieillot, pour Stefane Zweig.)
Je marque une marche arrière en ajoutant que Yasmina Resa se saisit de l’idée de Nathalie Saraute à la base des « Fruits d’or », idée du nouveau roman s’il en fût, mise en abyme de la mise en abyme : un milieu snobe parle d’un livre au titre fantôme, les Fruits d’or, livre dont la substance ne nous sera pas dévoilée pendant tout le roman, mais autour duquel le gratinmondano-littéraire prend des positions critiques avec snobisme. Pour Sartre, le nouveau roman était issu du « psychologisme français ».
Nous sommes dans le train. Deux personnages assis face à face pratiquent le monologue intérieur jusqu’à se rejoindre. Elle sait qu’il est l’écrivain dont elle lit le dernier roman. Va-t-elle ou ne va-t-elle pas sortir le livre de son sac ? Va-t-elle briser le charme qui lui permet de lui parler de ses amis ou de son frère tandis qu’il ne la remarque pas, est lui-même dans ses pensées, ignore qu’elle lui parle, se demande si elle est allemande (pourquoi va-t-elle à Franckfort ? Pour retrouver un amant chef d’orchestre avec qui elle va rompre, décide-t-il quand elle sort son livre de son sac) ? La rencontre de l’auteur sera-t-elle décevante comme de Dieu, il est essentiellement à craindrequ’Il nous déçoive quand nous L’aurons trouvé ?(Pourquoi devrions-nous embrasser la Vérité quand nous L’aurons rencontrée, comme le croit naïvement le concile Vatican II ? Et s’il arrivait que nous ne l’aimions pas ?)
Et dans ce dialogue de deux monologues (la rencontre entre les deux héros est longtemps différée), les amis de Martha, j’allais dire les amis de Jeanne, Serge, son frère, deviennent des personnages de Barsky, « font partie de son univers », surtout Serge qui n’aimait pas Barsky et estimait que sa plus grande chance était d’avoir su se faire aimer par un personnage aussi subtil que Martha, lui traquant à le llire « l’invisible » qui le rendait aimable. Au moment où Barsky imagine qu’il devrait jouer l’Oiseau prophète de Schumann, Martha se rappelle que, pour son enterrement (« Comment vivre dans un monde où Serge est mort ? »), Serge avait exigé qu’on ne prononce pas une parole, mais qu’on diffuse du Schumann et qu’elle y veille.
Il y a tout le fumet de la littérature moderne dans cette pièce sans que ça soit empesé comme dans Duras. Jusqu’à la point de distinction qui fait que nos personnages alternent entre la pensée de « gérer [leurs] intestins » comme Barsky, passage obligé de la scatologie contemporaine qui n’a plus la jovialité rabelaisienne ni la vulgarité luthérienne, et des occupations de référence, des pièces de piano.
Le choral est le plus facile et le plus séduisant des procédés contemporains: que des monologues s’enchâssent dans un dialogue. C’est pourquoi, si j’étais prof de Français, je ferais étudier l’Amante anglaise de Duras et l’Homme du hasard de Yasmina Resa, pardon, de Paul Barsky.
Œuvres fictives
citées dans la pièce : la Remarque
(l’amie de mon frère, Nathalie Quintane, a écrit un recueil poétique intitulé
Remarques que je n’ai jamais réussi ni pris le temps de faire
transcrire. J’aurais également voulu lire son recueil intitulé Chaussures
que j’aurais moins voulu lire que Remarques bien que je sois un
fétichiste du pied féminin et du prénom Nathalie depuis l’âge de quinze ans), Un
passant comme un autre, le Pas d’un homme pauvre (je n’ai jamais pris
le temps de lire la Femme pauvre de Léon Bloy et ai donné envie à Anita
de le lire, car son oncle lui disait qu’elle était une femme pauvre. Pour moi,
Nathalie, c’est « la femme pauvre »).
Paul Barsky à
propos de lui-même (en se faisant passer pour un lecteur de Paul Barsky) :
« De la mort il n’a parlé qu’avec mondanité en ricanant comme une pauvre
toupie. De la tristesse il n’a su dire que la sienne, avec quelle frénésie de
ressassement. » (Son critique et ami Elie Bretling n’a pas su lui dire :
« Tu ressasses », lui reproche-t-il.)
Dernière phrase de Martha à Paul : « Vous n’avez pas le droit d’être amer. En vous lisant, il y a eu mille instants comme des éternités et pour être à la hauteur du diable qui m’a mis à côté de vous dans ce compartiment, dans une autre vie, je me serais envolé pour n’importe quelle aventure avec vous. » Gros rire de l’auteur.
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