A la lecture de ce plaidoyer prodomo du "Figaro magazine" contre des gens qui n'ont jamais été vraiment ostracisés et se sont toujours plaints de l'être:
-J'aurais tendance, une fois n'est pas coutume, à approuver Emmanuel Macron d'avoir tenu Alain Finkielkraut comme un commentateur de la vie intellectuelle plutôt que comme un philosophe. Je ne l'ai jamais connu ni perçu autrement, même quand il m'est arrivé de lire ses livres.
-Je n'ai pas très envie de pleurer sur le sort de Jacques Julliard, cet historien de la gauche et représentant de la "deuxième gauche" qui rivalise de mépris social avec Luc Ferry pour contester au peuple qui a constitué successivement les Gilets jaunes et le mouvement des Antipass ou les Convoyeurs de la liberté, leur sentiment de déclassement. Mais Jacques Julliard retrouve le peuple quand il le suppose obnubilé comme lui par la question de l'immigration. Or la dénonciation de ces hybrides que seraient l'islamo-gauchisme et l'islamo-droitisme trahit que, derrière l'islamophobie conçue comme peur de l'islam et de son violentisme, ou, variante, derrière la question que l'on peut poser à l'islam de son caractère intrinsèquement ou accidentellement guerrier ou pour le dire autrement, de la solubilité de la guerre comme accidentelle bien qu'elle fasse partie de la geste prophétique islamique, dans la spiritualité islamique; derrière cette islamophobie résiduelle ou cette question légitime, les xénophobes en profitent pour dissimuler une exécration de la personne des musulmans sous la peur qu'ils ont de leur religion, exécration qui se traduit par la focalisation sur un bout de tissu et la persécution des femmes qui le portent et sont d'autant plus inoffensives qu'elles veulent être pudiques.
-Je me demande quels sont les travaux de sociologie dont Mathieu Bocq-coté peut se prévaloir pour avoir acquis depuis quelques années le magistère social de faconde conservatrice dont il bénéficie au point d'être invité sur tous les médias de cette mouvance pour en être le chroniqueur attitré. Il fait pourtant une remarque éminemment juste, synthétique et ciselée quand il constate: «La gauche a été si longtemps dominante qu’il lui suffit d’être contestée pour se croire assiégée et la droite a été si longtemps dominée qu’il lui suffit d’être entendue pour se croire dominante.»
-Elisabeth Lévy se plaint d'être boycottée sur "France inter", mais elle ne l'a pas toujours été sur "France culture" où elle animait l'émission "le Premier pouvoir", comme Alain Finkielkraut continue d'y produire son émission "Réplique" en guise de rond de serviette même s 'il l'anime de moins en moins, probablement pour raisons de santé. Alain Finkielkraut a montré une fragilité touchante dans des colères incontrôlées, mais Elisabeth Lévy est poissarde, et la radio de service public n'a peut-être pas envie de s'assurer la collaboration de cette éditorialiste au parler pas toujours élégant, qui ne paraît pas autrement cultivée et interrompt grossièrement ses interlocuteurs pour leur servir une soupe idéologique qui n'est pas mitonnée au fumet de la rigueur.
-Le wokisme est en rigueur sémantique un évangélisme de la déconstruction portée à un comble logique. Quand j'étais petit, je m'imaginais qu'un jour, les Noirs voudraient prendre leur revanche pour avoir été esclaves à force que l'on parle de l'esclavage auquel ils furent historiquement réduits. Enfant de mon siècle, je mettais assez de sentimentalisme dans ma politique pour ne pas voir de mal à cette "machine ressentimenteuse" comme Michel Onfray appelle la Révolution française, et qu'était ce qu'on ne désignait pas encore sous le nom de sentiment décolonial. Sur mes quinze ans, en voyage avec ma mère en Guadeloupe en 1989, un café pris dans la Marina de Saint-Anne ou de Saint-François acheva de me persuader que le maintien de la dépendance de cette île vis-à-vis de la France était une supercherie, n'était pas justifié, tenait artificiellement et se produisait là encore au prix d'un mépris de classe que je trouvais pénible. Je ne savais pas que s'éveillait instinctivement en moi la révolte d'un Frantz Fanon que je lirais des années plus tard (à vrai dire assez récemment) dans le château d'un ami retraité de l'armée de l'air.
-Je fais un distinguo entre le wokisme et la cancel culture. Je conçois que celle-ci est l'aboutissement de l'éveil au désir de vengeance, que contient le wokisme, contre une oppression historique. La vengeance est toujours un plat qui se mange froid, elle est toujours improductive, elle fait malheureusement partie de la nature humaine. Voudrait-on ne pas se venger parce que ça n'a aucun sens qu'il arrive qu'on se venge inconsciemment et qu'on se rende compte qu'on s'est vengé quand la relation est consommée pour le malheur de tous ses protagonistes. Cela m'est arrivé naguère avec une ancienne amoure qui était portée sur la trahison des hommes qui l'aimaient "au-dessus de ses moyens", en bonne menthe religieuse qu'elle était. Je n'en tire aucune fierté et en ai plutôt honte.
Sur le plan politique, la cancel culture répond au même type de processus vain de vengeance à contre-temps. Elle est une réaction de type taliban qui exige le déboulonnage des statues au nom de la repentance et il faut s'en défendre, car une chose est de reconnaître ses torts, autre chose de vouloir que celui qui les a causé n'ait tout simplement pas existé comme Jacques Bainville l'aurait souhaité à propos de Napoléon et comme Jésus en adressa l'anathème à Judas, mais parce qu'il allait mourir de sa trahison.
-Les conservateurs qui plaident contre la repentance ne sont pas conséquents, car étant conservateurs, ils devraient croire au péché originel et à son caractère transmissible. Autrement dit ils ne devraient pas considérer que la repentance est une façon de se battre la coulpe sur la poitrine des autres, ou que, si c'est le cas, elle tient compte du grand "mouvement de sympathie" dont la nocuité du péché originel est le revers.
-Bien qu'elle soit agaçante à souhait quand elle minaude ou agresse nonchalamment ses invités en les interviewant de façon superficielle, Laure Adler juge le monde selon les barèmes de la mitterrandie et ce n'est pas qu'on doive être nostalgique de cette époque de repli de la pensée sur ses nouveaux préjugés, mais contrairement à Jean-Michel Aphatie qui ne représente que lui-même et qu'on fait surtout l'erreur d'inviter sur les plateaux télé où il n'a rien à dire, Laure Adler a du fond, du savoir-vivre et quelquefois du mordant et du chien. Elle a su inventer le format radio des "Nuits magnétiques" avec son compagnon ou son mari Alain Vinstein même si, promue directrice de "Franceculture" après Patrice Gélinet, elle a participé à ce que cette radio sombre dans la sociologie de l'immédiat et ne produise presque plus de documentaires ou de fictions.
-Aymeric Caron se pose plus en utopiste qu'en humoriste.
-Rokhaya Dialo
partage avec Valérie Pécresse, Anne Hidalgo ou Ségolène Royal la regrettable manie de présenter le fait d'être une femme à la fois comme un privilège émancipateur et comme une source infinie de mise au rebut victimaire qui ne correspond plus à la réalité de l'écoute non "genrée" que l'on a aujourd'hui pour la parole des femmes. La revendication féministe se présente à contre-emploi comme une sempiternelle protestation de minorité. Or bien qu'avec #MeTo, les néo-féministes irrespectueuses du droit de la défence et qui "balancent leur porc" fassent comme si elles étaient constamment susceptibles de détournements de mineurs au lieu de donner une bonne claque aux harceleurs dont elles repoussent les avances, les femmes ont heureusement accédé à la majorité.
-La charge du "Figmag" contre Edwy Plenel est injuste. Pour ma part, je lui trouve un petit côté crieur de "Mediapart" qui croit que le drame du pouvoir est dans la corruption, voit celle des autres et rarement la sienne, fustige les agissements illégaux des autres, mais estime de désobéissance civile de ne pas s'acquitter au titre de son journal de la TVA qui a été fixée pour le modèle inédit de presse qu'il a créé. Il se croit plus blanc que blanc au sens de la propreté sur lui. C'est même un patron syndiqué et tout le monde l'est à "Mediapart" où tout est parfait dans le meilleur des mondes. C'est un patron de SCOP qui se dit bientôt sur le départ et à qui on ne peut pas enlever une véritable xénophilie qui contraste positivement avec la xénophobie d'autres visages de la médiasphère cités avec aménité dans cette enquête pleine d'indulgence pour les vrais intolérants du moment qu'ils sont néo-réacs ou conservateurs.
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