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vendredi 25 juin 2021

Zemmour et BHL, le récit et le discours

https://www.cnews.fr/emission/2021-06-25/face-linfo-du-25062021-1098338    


Tout d'abord il faut noter que ce débat ne serait pas possible si le pétainiste ou le bonapartiste Zemmour et le démocrate chrétien BHL n'étaient pas des coreligionnaires sans doute agnostiques l'un et l'autre. BHL devrait normalement fuir la compagnie de l'ami de Jean-Marie Le Pen, or il accepte, comme Raphaël Enthoven, qui commence un compagnonnage étrange avec le polémiste au nom du CRIF et en sa qualité de philosophe du Spectacle, d'être invité sur son plateau de Cnews. BHL est un vigilant à la façon d'Alain Minc qui, au début de la dédiabolisation ou de la banalisation du Rassemblement national, a dit qu'il prendrait le temps de vérifier jusqu'où l'héritière renierait son père pour savoir s'il accepterait de dîner avec elle et de donner quitus à la présidente du parti pour le patriotisme parricide d'un certificat de fréquentabilité. Alain Minc et BHL sont les arbitres des élégances du nationalisme français post-maurrassien.


L'extrait du documentaire de BHL diffusé par Cnews en début d'émission montre que notre cosmopolite en chef parle l'Anglais comme une vache espagnole (je n'ose dire catalane). "What (et non which) is  the bigest ennemy,"  


Zemour croit à l'équilibre de la terreur introduit par l'arme nucléaire, BHL en doute, car il fait la part de la démence possible du dirigeant d'une grande puissance dotée de cet arme. Le jeu dangereux de Trump avec son bouton nucléaire qui serait plus gros que celui de "leatel rocket man" donne raison à BHL qui, sur ce coup-là mais c'est bien le seul, est plus réaliste que son contradicteur. 


Par principe, l'idéaliste BHL croit que les bombardements des démocraties valent mieux que les bombardements des pays totalitaires. Il en oublie les vies de civils que ces bombardements ont eux-mêmes oublié d'épargner. 


Zemmour qui ne donne le nom de guerres qu'aux "guerres totales" veut des guerres aux victoires courtes et aux objectifs limités. Il a raison de ne pas croire à la "guerre juste", tentative augustinienne de moraliser le recours à la force, dont nous mesurons l'ineptie depuis trente ans que les néo-conservateurs aux Etats-Unis et que l'axe kouchenéro-bernard-henri-lévyste en France nous bombardent de guerres justes. 


Eric Zemmour reconnaît comme mon institutrice soeur Marie-Albert, qui était favorable à la Révolution française à l'exception de la constitution civile du clergé,  que les guerres napoléoniennes étaient les prémices des guerres hitlériennes: "Napoléon était un homme extraordinaire, écrivait-elle dans un de ses "Ce qu'il faut bien retenir" qu'il nous fallait apprendre par coeur, "mais il était insatiable comme Hitler", ajoutait-elle à l'oral. Zemmour est du même avis, mais décide que n'importe: il reste du côté de Napoléon, car il est du parti de la France. Il ne franchit pas le rubicond de dire que, s'il avait été allemand, il aurait vibré à la victoire d'Hitler si le sort des armes en avait décidé ainsi, mais on sent que cela lui gratte la plante des pieds de faire ce pas verbal et cette concession à l'histoire-fiction. D'ailleurs il dit qu'"Hitler est un monstre aux yeux de l'histoire". Sous-entendu, il n'est un monstre qu'aux yeux de l'histoire. Monstrueux? Pas plus que Bernanos disant de retour  d'un exil qui aurait été son acte de résistance qu'"Hitler a déshonoré l'antisémitisme".  Zemmour se contente de dire que le récit aurait été différent en cas de victoire d'Hitler.


Car Zemmour est du côté du récit et BHl du côté du discours. Zemmour croit à la continuité historique et BHL à la continuité spirituelle, même si la première est plutôt avérée et l'autre carrément fantasmée. Zemmour croit comme Aymeric Chauprade ou Vladimir Fedorovski qu'en géopolitique, les constantes l'emportent sur les changements. BHL est plastique et croit aux modifications de la matrice. Zemmour dit de BHL qu'il est un colonialiste qui croit que "l'Occident doit faire le bonheur des peuples" sous la botte, et lui-même est un empiriste si BHL est un impérialiste qui s'ignore et croit que "Vladimir Poutine déteste l'Europe". Zemmour est un réaliste et BHL un idéaliste. Cela condamne Zemmour, car l'Europe est idéaliste depuis le siècle des Lumières et plus encore depuis la fin de la Seconde guerre mondiale. Sans compter que les idées mènent le monde. Le continuisme historique est daté, que les idéalistes aient raison ou tort, et ils ont historiquement tort s'ils ont spirituellement raison, ce qui reste à prouver, question de point de vue relatif à la querelle des universaux.


Zemmour a raison de dire que BHL comprend De Gaulle à l'envers. De Gaulle se faisait "une certaine idée de la France", BHl croit que la France est "une certaine idée de la civilisation". Christine Kelly a malheureusement limité l'étude des présidents français et de la guerre à l'après-Mitterrand. Ses prédécesseurs étaient pacifiques, détentistes et non alignés. De Gaulle parlait comme Poutine de la Russie éternelle. Giscard faisait les yeux doux à Brejnev au point d'avoir été traité d'"agent des soviets" pendant la campagne présidentielle de 1981. Il aimait Jimmy Carter et le shah d'Iran tout en protégeant l'ayatollah Khomeini à qui il laissa poursuivre ses activités propagandistes en France. L'apparition du socialisme, dont on craignait qu'elle entraînât l'arrivée des chars russes, a entraîné au contraire, par un phénomène d'hétérotélie ordinaire, l'inféodation de la France au néoconservatisme atlantiste et interventionniste. Chirac fut le seul des présidents français qui suivirent qui, sans faire exception ni marche arrière, voulut limiter l'interventionnisme français. Chirac avait peur de bouleverser les équilibres sociaux de la France fragile et ne voulait pas faire de l'ombre au monde. C'était son côté raisonnable. BHL est le mauvais génie qui murmure à l'oreille des princes qu'il faut faire la guerre  pour gagner la paix sans se rendre compte que c'est la quadrature du cercle. 

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