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samedi 15 mai 2021

Le "chant nouveau" de François Cassingena-Trevidy, une sirène dans l'Eglise confinée

Parce que je travaille et suis en compagnonnage ecclésial et amical avec des personnes que cette prose a impressionnée, j'ai voulu y voir de plus près, j'ai lu les dernières épîtres facebokiennes, et et j'ai même correspondu sur le réseau social avec leur auteur, qui n'était pas mécontent de s'entendre écrire qu'il chantait "un chant nouveau" et qui promettait que ça allait continuer. Je le trouvais très prolixe pour un moine, mais pas plus que le Père André-Marie Foutrin, fondateur de l'abbaye de Croixrault et auteur de la série des recueils du "Petit moine qui ne dort pas la nuit". Notre moine bénédictin de Ligugé François Cassingena-Trevidy ne manquait-il pas à son voeu de silence? 


Je trouvais qu'il chantait bien, avec un certain lyrisme, qu'il écrivait bien et même un peu trop bien, mais que bien écrire n'est pas inventer un nouveau langage. Or ce dont a besoin l'Eglise d'aujourd'hui, c'est d'un nouveau langage qui, soit confirme et réécrive la doctrine dans des termes qui la retraduisent de manière à la rendre compréhensible comme l'a fait en son temps François Varillon, qui fut trop modeste pour laisser entendre qu'il avait écrit la somme théologique du siècle de l'ère du soupçon, soit l'infirme et la démonte, mais de toute façon fasse de la théologie fondamentale pour exprimer les vérités chrétiennes ou le kérigme, ou la foi du charbonnier à frais nouveaux.


Je m'avisai un jour d'approfondir le profil de notre moine et pensai qu'il était avant tout un normalien. Dès lors je fus moins étonné, et je ne le suis pas que notre moine bavard soit une espèce d'ancien moine, qui ne soit pas tout à fait sorti de son couvent comme il peine à quitter l'institution ecclésiale par manque de courage, mais qui ne soit plus tout à fait dans son ordre non plus, ou comment garder de vieilles outres pour faire du vin nouveau au risque de  faire crever les outres et perdre le vin nouveau par manque de courage de se débarrasser des outres ou pour ne pas gâcher, faire des économies de bouts de chandelle et finalement perdre le neuf et le vieux. 


Qu'allait faire notre poète à la "vocation tardive" à Ligugé, qui respecte la tradition grégorienne dans sa plus pure sobriété, sans la platitude neumatique et apogiaturée de Solesme ou de Fontgombault? On a vu des membres de cette communauté venir offrir l'aubade grégorienne au pape Benoît  XVI en pèlerinage à Lourdes. J'y étais et j'ai beaucoup aimé. C'était frugal et habité.


Tout normalien paraît d'abord inclassable, mais finalement classifie, normalise et cristallise. Un normalien cristallise la norme de son temps. C'est ce qu'a fait François Cassingena-Trevidy (FCT). Qu'a-t-il cristallisé ? Pour moi, une chose à la fois très simple et assez grave: c'est qu'au moment du confinement qui réclamait de retrouver l'esprit des catacombes, non seulement la génération de l'enfouissement n'en a pas fait preuve; non seulement elle n'a pas vu la faillite de sa stratégie, mais telle un loup qui sort du bois, elle est venue avouer ce que les traditionalistes avaient soupçonné depuis toujours : 


-Ellle était d'abord solidaire du siècle: il ne fallait pas défendre la liberté de culte; il ne fallait pas emmieller l'Etat qui y attentait; il fallait préférer le temporel et le séculier au spirituel, surtout s'il était doté d'un pouvoir clérical, péché suprême sous le pontificat de François. 


-Au fond, la messe l'"emmerdait", mais c'était plutôt à la manière de Luther que de Georges Brassens. La génération confinée de l'enfouissement trouvait que la messe était "mal produite" comme le pensait Thierry Ardisson, cet excellent publicitaire. Le folklore en était dépassé. On n'avait qu'à aller la célébrer chez la vieille dame malade qu'on n'allait jamais voir avant et qu'on ne visiterait pas non plus après. Il fallait passer à autre chose. La fraction du pain devait se pratiquer dans des petites cellules d'Eglise ou être remplacée par le "sacrement du frère" non pas virtuel, mais éventuel et idéal, un peu comme le migrant et le prêtre  africain fidei donum ou le réfugié syrien, tant qu'ils n'exportent pas leurs coutumes.


-Car pour ce qui était du frère virtuel ou de la liturgie qui se saisirait du numérique pour dépasser les frontières territoriales de la paroisse fermée et condamnée à ne pouvoir célébrer de liturgies "en présentiel" en période de confinement sec, on n'en voulait pas, c'était artificiel. Du moins notre moine n'en voulut-il pas jusqu'à ce qu'il s'aperçût qu'il avait fondé sa paroisse personnelle à son corps défendant, qu'il irait cultiver dans son jardin d'Auvergne en accord avec son Père abbé qui avait dû lui donner un discret coup de pied au derrière. Mais tant que notre normalien n'aurait pas tiré personnellement les conséquences de ce qui se passait autour de lui, les fidèles ne devaient pas compter sur la consolation sacramentelle par les moyens virtuels, le numérique n'était pas un support capable d'étendre le mémorial du Christ dans l'espace et dans le temps, et ceux qui diraient le contraire n'étaient que des enfants gâtés et capricieux.


- Sur le principe, FCT était disposé à  respecter ceux qui avaient la foi du charbonnier, à condition qu'ils ne la ramènent pas, qu'ils ne présentent pas un recours devant le Conseil d'Etat, qu'ils restent dans la posture passive qui leur avait toujours convenu, et qui consistait à répondre "Amen" au prêtre dans le cadre de la messe dialoguée, en se ralliant à l'Etat et en considérant que Dieu a parlé quand l'Etat a parlé. Or en général, ceux qui répondent "Amen" aux messes basses la ramènent beaucoup, à tort ou à raison, devant l'Etat laïque. Les catholiques devraient être les seuls à ne pas faire du lobbying selon FCT.


-Puisque les abuseurs nous y poussent, parlons sexe! J'ai aimé la lettre de FCT sur le sujet, mais que m'en reste-t-il? Qu'il fallait approfondir! Nous avons tous une sexualité, il ne faut pas la nier et "on ne peut pas la sublimer", la psychanalyse dit précisément le contraire. Mais faut-il aborder frontalement l'impossibilité pour un clerc d'être sexuellement inactif? FCT ne le pense pas et Marie-Jo Thiell est tout aussi réservée sur le sujet. La question est tabou. Il vaut mieux rester à la périphérie du sujet selon notre ancien moine et notre vierge consacrée spécialiste des abus sexuels en milieu clérical, et critiquer la mariologie, en tant que mettre l'accent sur la virginité de la Theotokos conduirait nécessairement à l'obsession sexuelle inversée de saint Paul qui ne se posait pas la question de la virginité de Marie, car elle était anachronique, et ce fut l'encratisme (essénien?) de l'apôtre des gentils qui a amené l'Eglise dans le déni de la sexualité qui lui fait commettre des abus sexuels ou édicter des lois morales impraticables. Ou il vaut mieux interpréter le péché originel come ouvrant la voie à la concupiscence pour dire que ce mythe (sic: un mythe est un archétype vivant), n'est pas compatible avec les sciences humaines. Alors que le péché originel est le revers de la communion des saints et est une manière d'"en finir avec le jugement de Dieu" qui a refusé que l'homme sépare le bien et le mal comme l'ivraie et le bon grain en mangeant de l'arbre de la connaissance des catégories  morales par excellence, morale dans laquelle Dieu voulut si peu entrer que, quand Il a envoyé Son Fils, Il a affranchi l'homme de la loi.


FCT est, une fois de plus, un "séducteur" à l'écriture charismatique au charme duquel on se mordra les doigts d'avoir cédé dans vingt ans, car enivré par son propre style qui ne va pas jusqu'à créer un langage nouveau, il n'aura pas su s'arrêter et aura créé -il a beau s'en défendre-, le phalanstère des derniers des mohicans de la secte des babyboomers contestataires des enfouis  confinant leur foi qui ne veulent pas être personnellement confinés... 

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