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mercredi 19 mai 2021

Le mouvement dextrocentre


Le politologue angevin Guillaume Bernard parlait d'un mouvement dextrogyre au terme duquel les membres de la classe politique seraient irrévocablement entraînés vers la droite  par un retour des valeurs qu'on peut aussi analyser comme un recroquevillement de la société.


Je me souviens qu'en son temps, Jean-Marie Le Pen opposait à l'accusation d'être d'extrême droite (qu'il reprend nombre de fois sans presque plus la discuter dans ses mémoires) une situation qu'il affirmait au "centre droit" de l'échiquier politique. La banalisation forcée du parti de sa fille n'est-elle pas en train de lui donner raison? 


Le RN s'est placé au centre du jeu politique en sorte que la droite doit se déterminer selon qu'elle refuse ou qu'elle accepte que "les digues ont sauté", comme l'avouait Christine Boutin dès 2013 à la sortie de "la Manif pour tous" après avoir proposé dans "les Nouvelles de Versailles" dans les années 2005 que l'on interdise le Front national pour ne plus l'avoir sur sa droite et pour pouvoir se présenter à l'élection présidentielle avec le succès tout relatif que l'on se rappelle. 


Le mouvement dextrocentre qui a placé le Rassemblement national sur l'"arc central" des valeurs de la droite oblige celle-ci à se boutiniser, car pour ce qui est de préserver un rôle aux Républicains, c'est peine perdue ou la tâche sera bien difficile.


Doit-on imputer ce recentrage du Rassemblement national à la dédiabolisation opérée par Marine Le Pen ou le mouvement est-il naturel? Je parie plutôt pour cette seconde option. J'adopte en effet plutôt l'analyse buissonnienne selon laquelle la bourgeoisie prégiscardienne a tellement joué contre ses valeurs qu'elle a perdu la bataille du verbe et que ses valeurs ancestrales lui sont revenues en boomerang avec le besoin d'être incarnées par la droite comme elles l'ont toujours été, mais une droite qui ne peut plus être bourgeoise puisque la bourgeoisie les a désertées.


Le mouvement dextrocentre s'explique en amont par le tour de force qu'a voulu depuis longtemps tenter François Bayrou en un dépassement de la droite et de la gauche. Lui qui détestait Nicolas Sarkozy commença par être tenté par une alliance avec Ségolène Royal vers laquelle le poussaient les Gracq, nous apprend le premier livre de Marc Endeveld relatant l'itinéraire d'Emmanuel Macron, "l'Ambigu Monsieur Macron". L'opération n'a pas réussi, mais François Bayrou a tenu ferme son idée qu'il fallait rassembler toutes les forces des alternances  gouvernementales pour promouvoir une politique de la non alternative que Bayrou saupoudrait étrangement de certaines propositions pour ouvrir ce que François HOllande appelait en 2002 "le cercle de la démocratie" hors duquel se situait selon lui le Front national. François Bayrou proposait ainsi une dose significative de proportionnelle au scrutin législatif et s'insurgeait contre la concentration du pouvoir médiatique tout en militant pour une élection de Mario Monti à la présidence de la Commission européenne, ancien commissaire européen que le baron Seillère, Ernekind, l'ancien patron des patrons, traitait de "notaire", tant il était technocrate et imbu de concurrence sans égard au génie des peuples.


Macron a fait du Bayrou en le poussant vers la sortie à la première occasion et en ne conservant que les cadres de son parti remis en selle par la rouerie du dirigeant solitaire de la force centriste, qui tout en se marginalisant, leur avait trouvé par centaine un débouché dans la députation sous la législature macronienne, qui acheva de faire du Parlement une chambre d'enregistrement. 


Macron a beaucoup plus d'atomes crochus avec Sarkozy qu'avec Bayrou. Sarkozy débaucha en 2007 la plupart des cadres bayrouistes pour former "le nouveau centre" puis l'UDI. Ce qui réunit l'actuel président et son prédécesseur est que, comme le disait encore Patrick Buisson dans "la Cause du peuple", tous les deux sont des "golden boys de la politique". 

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