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jeudi 20 février 2020

Les paradoxes de Michel Onfray

Analyse de l'entretien qu'il a donné à PHilippe Bilger sur "Fréquence protestante" et disponible sur son blog à l'adresse:

https://www.philippebilger.com/blog/2020/02/entretien-avec-michel-onfray-fr%C3%A9quence-protestante-du-20-f%C3%A9vrier-2020.html

Michel Onfray attend qu'on le démente et ce "toutologue" déployant une puissance de travail hors du commun reconnaît pouvoir deci, delà, se laisser aller à quelques approximations (« qui n’en fait pas ? Plus on travaille, plus on en fait »). C'est pour le moins compréhensible en effet, quand on entreprend d'écrire seul une "Brève encyclopédie du monde" ou une "Contre-histoire de la philosophie", fresques hugoliennes dans leur ampleur, même si Onfray ne prétend pas avoir écrit une "œuvre" de l’ampleur de Victor Hugo (quoiqu’elle brasse tous les genres, y compris la poésie, tient-il à préciser), et se montre en cela modeste et lucide sur la portée de son travail.

Je ne connais pas la moitié des sujets abordés, certains pourraient dire effleurés par Onfray. Mais je passe pour ou je me persuade que je suis un peu chrétien. Un universitaire, Jean-Marie Salamito, s'est lancé dans une campagne d'éreintement du philosophe panoramique, que j'ai trouvée ridicule. Salamito, largement relayé dans la cathosphère, se vantait de n'avoir lu d'Onfray que les passages relatifs à la non historicité du personnage de Jésus, qui n'existerait (mais n'en existerait pas moins selon Onfray) que comme un personnage conceptuel, dont la figure reprend les caractéristiques messianiques décrites dans le pentateuque (il aurait pu ajouter dans les prophètes" comme le prouve assez Pascal dans son "Apologie"). Les arguments qu'invoquait Salamito pour réfuter Onfray étaient tous de seconde main. Et pour cause. On ne possède pas les minutes du procès de Jésus ni des tablettes reprenant son enseignement saisi sur le vif par ses non scribes-apôtres-étudiants-disciples, comme Claude tresmontant suppose que ces notes ont été la base d'une première version hébraïque des evangiles. Tout ce qu'on sait de Jésus, on le sait de réputation, à partir de textes, sinon écrits beaucoup plus tard, du moins dont les originaux qu'on a retrouvés sont très tardifs. Antécédentes aux Évangiles, enseignements de Jésus qu'on n'a jamais cessé de devoir canoniser, jusqu'aujourd'hui où les exégètes croient avoirl'autorité de séparer les vraies "logia" ou paroles de Jésus de celles qui lui ont été prêtées, sont les attestations sur les chrétiens de Pline le jeune ou sur Jésus de Flavius Josèphe, lesquelles datent du Ier siècle, comme la première lettre patristique extérieur aux canons apostoliques. Salamito croyait donc pouvoir attester, contre Onfray qu'il avait à peine lu, de l’existence historique de Jésus en alléguant les témoignages d'une littérature secondaire. Si c'est ainsi qu'on réfute à l'Université, ilvaut mieux ne pas en être, même si on y perd du prestige aux yeux de Patrice charoulet.

Mais surtout, les chrétiens manquent d'une position rabbinique du problème de l'existence de Jésus. Beaucoup de rabbins disent qu'ils ne savent pas répondre à la question de l'existence de Dieu et BHL notait dans une de ses dernières chroniques du "Point" que la question de Dieu apparaît chez Maimonide bien après qu'ont été traitées des questions comme la vérité. Dieu est le transcendant fondamental, mais ce n'est pas le transcendant primordial. Excepté quant à son Incarnation, ce qui ne constitue certes pas une exception mineure, l'existence de Jésus n'est pas amoindrie si elle n'est pas historique. Jésus peut être né du besoin que son peuple avait de Lui sans qu'il y ait déperdition de Son être. Au contraire, l'Incarnation de Jésus dans un destin historique limité conceptuellement pourrait gagner en relation réciproque si cette Incarnation a été appelée et comme "priée" par des créatures faisant retour au Créateur et Le suppliant de leur revenir à la façon d'un egregor, mot du vocabulaire maçonnique qu'Onfray ne cite pas pour appuyer l'existence conceptuelle de Jésus, en quoi il manque un pas mystique comme le dit Aliocha.

Hérésie que cette hypothèse? Assurément, mais faut-il avoir peur des hérésies dans une eglise dont le pape dit ne plus avoir peur des chismes? Mon ami l'abbé guillaume de tanoüarn aime à répéter après Pascal que l'hérésie n'est pas la négation de la vérité, mais l'oubli de la vérité contraire. J'ai bien peur en l'occurrence que, dans une Eglise qui a fini par séparer le Jésus de l'histoire du christ de la foi bien qu'elle se le soit formellement interdit pendant la crise moderniste sur laquelle vient de paraître un ouvrage, l'oubli de la vérité contraire soit celui de l'existence de Jésus générée, engendrée par les créatures par une sorte de retour de création, au profit de la seule existence d'un Jésus de l’histoire (existence avancée au détour d’une perte de foi) aux contours indéfinis et que l'exégèse s'arroge l'autorité de définir en séparant le vrai du faux ou l’ivraie et le bon grain bien avant la moisson.

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J'aime encore le paradoxe économique et le paradoxe géopolitique de Michel Onfray, que vous mettez en exergue, cher Philippe, à travers une question qui lui permet de l'énoncer: "Vous ne dénoncez pas le capitalisme, vous n’êtes pas défavorable à l’Etat et vous ne voulez pas qu’on porte atteinte au droit de propriété, mais vous dénoncez le libéralisme et êtes attaché à un capitalisme libertaire." "Le capitalisme existe depuis que l'homme est l'homme, vous répond-il, il n'y a que Marx pour croire que la chose capitaliste, parce qu'il a créé le mot, devrait mourir avec lui." Onfray n'est pas marxiste, c'est courageux dans le PIF (paysage intellectuel français). "Le capitalisme permet de produire des choses précieuses à partir de la rareté. Le problème n'est pas la production de richesse", surtout si l'on reconnaît que la frugalité est au principe de cette production, "mais leur répartition."

"Sur tout cela, qu'il y ait la liberté,ajoute Onfray. "Utopie?", lui demandez-vous. "Oui et non. Oui parce que le capitalisme libertaire n'a jamais eu lieu, et non parce qu'il est de l'ordre des propositions rationnelles et des choses instaurables, même si ce n'est pas en totalité."

-Je comprends d’autant plus le paradoxe géopolitique de Michel Onfray qu’il est à peu près le mien. Selon lui comme je l’ai immédiatement ressenti au partir de la crise, le monde a basculé lors de la première guerre du golfe, deux ans à peine après que la chute dumur de berlin a pu nous faire croire que nous étions débarassés du communisme et mûrs pour la « paix perpétuelle » et la « fin de l’histoire ». Le terrorisme islamiste nous fait récolter nationalement ce que nous semons internationalement, cingle-t-il dans un tweet rageur. BHL traita Chevènement de « sadamite » parce qu’il s’opposait à ce premier traumatisme international du monde reconfiguré d’après la chute du communisme et d’après la Seconde guerre mondiale. C’était suggérer au passage que les « sodomites » étaient des salauds, ce qui frisel’homophobie. Est-on sûr que le régime de Sadam Hussein était plus sanguinaire que ceux qui l’ont suivi ? La première guerre du golfe nous a fait entrer dans le monde pré-huntingtonien du « Choc des civilisations ». Et nous y sommes entrés par « islamophilie », conclut Onfray, « le soleil d’Allah [aveuglant] l’Occident », aurait dit le général galois, sans nous rendre compte que des Etats laïcs étaient préférables en pays d’islam que le totalitarisme islamiques et théocratiques de l’Iran, des émirats, de l’Arabie sahoudite et aujourd’hui de la Turquie d’Erdogan. Il valait mieux soutenir le shah d’Iran malgré la Savak, Sadam Hussein malgré le gazage des Kurdes ou Mouammar Khadafi malgré sa folie sous l’emprise des psychotropes, que de laisser prospérer des totalitarismes à l’état pur et des théocraties complètes, bannissant toute erreur humaine.

Onfray va trop loin et se permet ce qu’il ne devrait pas, quand il se propose de « penser » et réformer l’islam de l’extérieur. Ce n’est pas son affaire. Mais il a raison de reprendre avec Houellebecq le mot de « soumission », qui fait un réflexe au parquet d’instruire contre Mila, « jeune fille pas très élaborée », commente Onfray, et de nous poser en athées de l’islam, le respect des musulmans commandant que nous ne fassions pas la guerre aux pays musulmans, Onfray réprime toute violence, sinon la violence verbale, « car dans la colère, il entre de la violence et il y a de saines colères. »

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