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vendredi 16 novembre 2018

Pourquoi j'aime Gabriel Matzneff

Patrice Charoulet me demande comment je m'y suis pris pratiquement pour lire Les émiles de Gab la rafale. En lui répondant, jse dévoilent à moi les raisons, plus intellectuelles qu'esthétiques, pour lesquelles j'aime cet auteur.

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Cher Patrice,

 

Pour répondre à votre question, en règle générale, la bibliothèque numérique des livres adaptés (BNFA, bibliothèque spécialisée dans l'adaptation des livres pour les déficients visuels) dispose du droit de travailler sur les fichiers originaux des épreuves de tout livre paru depuis moins de cinq ans. Dès lors, toujours en règle générale, lorsque je souhaite lire un livre récent, je le leur écris, ils se mettent en rapport avec l'éditeur qui leur fournit le fichier source et ils l'adaptent sous plusieurs formes, en lecture vocale par une synthèse numérique, en daisytext et en PDF, afin que les braillistes (ceux qui savent lire le Braille et disposent d'une plage Braille qui transforme en Braille ce qui est écrit à l'écran) puissent le lire dans leur écriture préférée (qui est aussi la mienne, mais je n'ai pas les moyens de m'offrir une plage Braille). Pour les émiles, ça a été différent. Je les ai achteés et, ce qui reste à ce jour inédit, c'est mon frère Gilles qui me les a lus et enregistrés pour un Noël. J'ai également lu les nouveaux émiles. Je vous avoue que je n'ai rien lu d'autre de Matzneff. Mais il me semble que, quand on a lu ces deux livres-là, on a un bon aperçu de son oeuvre et on n'a pas besoin de lire le reste..., Matzneff ayant un certain nombre d'obsessions qu'il déroule au fil de ses livres, journaux, romans (qui sont des autofictions), livres de chroniques dont on peut retrouver de nombreuses sur son blog que je ne fréquente pas assez assidûment, mais sur lequel, sur une indication Twitter, entre les deux tours, au lendemain de la soirée de Macron à la Rotonde, il écrivit un article fameux pour parler des habitudes du couple Macron dans ce restaurant dont il est aussi un client régulier. Le livre le plus original, amoral si l'on veut, de Matzneff, est Les moins de seize ans. Matzneff partageait son goût pour les mineurs des deux sexes avec René Scherrer, le frère d'Eric rohmer. Matzneff ne m'intéresse  pas à cause de sa sexualité dont je ne pense rien (Matzneff n'est pas pédophile, mais éphébophile et coureur de jeunes filles). Il m'intéresse notamment en raison de la nature de sa foi. C'est une foi du charbonnier , orthodoxe et amorale. Matzneff est un des seuls esprits (avec moi, mais je n'en connais pas d'autre) à avoir compris le caractère profondément amoral du christianisme. Je dis bien amoral et non pas immoral. Gide savait ne pouvoir se revendiquer du christianisme pour écrire son Immoraliste. C'est probablement pourquoi, profondément égoïste, perdu de moeurs et éperdu de ses moeurs, il a perdu la foi. Mais le christianisme est un illégalisme, il est un affranchissement de la loi au profit de la foi, la foi dont un chauffeur de taxi, espèce d'Abraham moderne qui a tout perdu et l'explique ainsi : "C'est sans doute parce que Dieu voulait éprouver ma foi", me disait ce matin que la foi était la substance de Dieu qu'il a mise en nous pour nous permettre de le connaître dès ici-bas" et la foi sans laquelle rien ne tient, car le moindre mouvement suppose la foi dans l'intention qui le guide. Il y a toutes sortes de fois, dont la foi athée, comme l'explique Guillaume de Tanouarn dans son livre Délivrés.

 

J'aime la foi illégaliste du charbonnier Matzneff, mais j'aime aussi sa liberté de croyant, sa "liberté d'enfant de Dieu", dirait-on dans un langage plus théologique. Cette foi lui permet d'être un chrétien stoïcien en adoptant l'idée la plus célèbre de cette secte, son approbation du suicide : on a le droit de quitter la partie quand il n'y a plus d'issue favorable. Les chrétiens n'osent pas le penser, se souhaitant de mourir le plus tard possible, comme s'ils redoutaient de rencontrer l'objet de leur espérance. Matzneff et moi some stoïciens en la matière. Mais Matzneff est, comme moi, un homme libre qui a peur du jugement de Dieu. Dans un émile très émouvant envoyé à l'une de ses liasons les plus orageuses, Marie -Agnès, il lui écrit combien il l'aime et regrette de la si mal aimer et qu'elle l'aime si mal, mais combien leur amour est éternel. Il ajoute (en substance) : "J'espère que Dieu pourra me pardonner, je me suis si mal conduit." C'est une confession enfantine, je la fais mienne. Peut-être que de l'avoir faite me protégera au moment de mourir. Merci, gabriel, de m'avoir fait la dire après vous. Et merci, Patrice, de m'avoir permis, par votre question, de réfléchir aux raisons pour lesquelles j'aime Matzneff, non d'un amour littéraire, mais d'affinités électives et spirituelles."

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