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jeudi 18 mars 2010

controverse maurrassienne (suite)

Voici mon échange polémiste d'articles avec


Réponse à Julien Weinzaepflen
Cher Julien, par comparaison avec vos courriers torrentiels [note: en commentaires à "Maurras est-il..."], ma réponse risque de paraître un peu sèche. J'essaierai surtout d'être clair.

Si j'ai bien compris, selon vous, il n'est pas possible d'être maurrassien et philosémite sans une "stratégie", stratégie que toujours selon vous je ne pousserais pas au bout, ce qui empêche de savoir "pour qui je me donne".

Première réponse sur la stratégie : autant je crois nécessaire de savoir comment l'on veut servir l'Eglise, en prenant les moyens légitimes pour arriver à ses fins, autant il me semble absolument déplacé pour un prêtre de se pencher sur la gestion de son image. Mon image ? Je m'en fiche royalement, et si elle n'était pas très lisible, je crois qu'il suffirait à d'éventuels contradicteurs de me lire. Tout simplement.

Je n'ai rien à cacher. Je suis heureux de vivre à ma petite échelle non pas en électron libre (quelle horreur ! Quel mépris du bien commun cela suppose !), mais en homme libre. Libre ? "de la liberté par laquelle le Christ nous a libérés" comme le disait saint Paul aux Galates (lecture du IVème dimanche de Carême). Cette liberté (intellectuelle notamment) elle manque trop dans l'Eglise... Je tâche d'en vivre.

Y a-t-il contradiction entre Maurras et le philosémitisme ? Je ne le crois pas. Conomore sur ce Blog a très bien expliqué les raisons très circonstancielles et périphériques de l'antisémitisme d'Etat qui fut celui de Maurras. Quant à son antijudaïsme culturel, il est lié à l'antichristianisme viscéral qui fut celui de ses jeunes années, à son paganisme mystique si vous voulez.

Cette mystique là (polythéiste) lui a passé comme en témoigne la Préface (somptueuse) de La Musique intérieure : "Ai-je découvert plusieurs choses ? Je ne suis sûr que d'une, mais de conséquence assez grave : car, de ce long colloque avec tous les esprits du regret, du désir et de l'espérance qui forment le choeur de nos morts, il ressortait avec clarté que l'humaine aventure ramenait indéfiniment sous mes yeux la même vérité, sous les formes les plus diverses. Comment n'étaient-elles pas vues et dites plus couramment ? Nos maîtres platoniciens définissaient la vie par les métamorphoses de l'amitié et de l'amour ; cependant ont-ils explicitement relevé que nous courons à l'amour parce que nous en venons et que ceux qui se sont aimés pour nous faire naître, ne peuvent nous lancer vers un autre but que le leur ? Origine et fin se recherchent, se poursuivent pour se confondre, cela est clair pour qui l'a senti une fois".

Voilà Maurras dans le texte. La stratégie ? Devant une telle authenticité de quête intérieure, je crois qu'il n'y a pas de stratégie qui tienne. Maurras, comme je l'ai écrit est le plus moderne des antimodernes... Sa modernité ? Son agnosticisme. Son antimodernité ? Sa quête éperdue d'un ordre perdu. C'est ce qui m'intéresse chez lui. Il est l'homme des paroxysme et ce paroxysme moderne antimoderne m'attire...

Dans la lettre torrentielle que j'ai reçue de Julien, il y a un reproche, celui de ne pas aller "jusqu'au bout" de mon philosémitisme. Parler de Maurras ? C'est pour Julien "donner le coup de pied de l'âne" au peuple juif. Voici son texte :
"Il n'y a pire marasme à la fin que de déshonorer son père en lui donnant le coup de pied de l'âne après avoir édité un numéro de "res publica christiana" pour dire qu'on l'aimait, avec certes moins d'exclusivité qu'il pourrait le souhaiter, mais enfin qu'on l'aimait tout de même et qu'il s'en fallait de peu qu'on lui demandât pardon… L'antisémitisme est une maladie névralgique de l'humanité. Quand on touche au "peuple juif", on touche aux nerfs du monde".
Oui, j'aime les Juifs, je les aime d'amitié, parce que souvent je constate dans leur psychologie ce sérieux profond du peuple qui a été saisi par Dieu et introduit dans son alliance et qui ne peut pas ne pas s'en souvenir. Il m'est arrivé assez souvent d'accompagner des Juifs adultes vers le baptême, en étant ému de cette profondeur spirituelle particulière. Il m'est arrivé de discuter avec des Juifs, même parfois officiellement farouchement hostiles à ce que je représente, mais qui toujours vont au bout de la conversation, même quand elle est publique (j'ai un souvenir ému de Théo Klein, juif agnostique me parlant de lui-même du Verus Israël devant 400 personnes).

Mais jamais je n'irais prétendre (peut-être justement parce que je les aime) que, sans le savoir et sans le vouloir ils participent au sacrifice du Christ, qu'Auschwitz est le Golgotha du monde moderne etc. J'aime trop ma liberté pour toucher à la leur et donner à leur catastrophe un sens qui proviendrait uniquement de la vérité chrétienne. J'ai lu autrefois avec passion la Lettre ouverte de Raphaël Drai au cardinal Lustiger sur l'autre révisionnisme (celui qui annexe spirituellement la minorité juive à l'écrasante majorité chrétienne). Par comparaison avec le destinataire de la Lettre ouverte, je trouve Pascal très respectueux, lorsqu'il imagine pour le peuple juif une économie qui lui est propre et c'est dans ce sens que j'ai essayé d'aller dans un article de Respublica Christiana auquel vous faites allusion, Dialogue rêvé avec Imre Kertesz.

Il n'y a pas là de ma part la moindre stratégie. Si j'étais stratège, je me ferai offrir un voyage en Israël pour ensuite chanter partout les louanges de Tsahal. Ce n'est pas ma perspective. Je crois que le "mystère d'Israël" dont parle déjà saint Paul mérite mieux qu'une réduction aux urgences de la politique de l'instant. Je suis prêtre. Il me faut prendre du recul ! Actuellement, Julien, les Juifs ont mal, mais les Palestiniens ont mal aussi... On peut tenter une surenchère à la victimisation dans un sens ou dans l'autre, ce n'est pas ce qui fera avancer les choses. Pour personne. Il n'y a pas de monopole de la souffrance.

Mais je crois nécessaire de réfléchir, à la lumière de saint Paul, au mystère d'Israël, pour tenter de le saisir au plus profond, dans ce qui lui est propre et non dans ce qui le rapprocherait immédiatement du Nouvel Israël. C'est le sens de mon article sur Kertesz et sur le "kakangile", dont, depuis Auschwitz, le peuple juif est dépositaire. Le peuple juif à Auschwitz a expérimenté à ses dépens le tropisme morbide qui est au fond de la modernité depuis la révolution française (voir Philippe Muray). Ce qu'ils nous annoncent les Juifs, à Auschwitz, c'est l'insuffisance radicale de l'humanisme issu des Lumières.

Pourquoi cette leçon simple est-elle si difficile à entendre ? Dans le Siècle juif (éd. La Découverte 2009), Yuri Slezkine a sa petite idée sur la question : "La modernité, c'est que nous sommes tous devenus juifs"... Voilà sans doute pourquoi ce que Kertesz appelle "le génie éthique des juifs" trouve un tel écho dans le monde contemporain. Mais voilà aussi pourquoi le fait Auschwitz est si difficile à interpréter, comme cette modernité qui se détruit elle-même.

Cher Julien, vous me reprochez de ne pas être un inconditionnel du peuple juif, dont vous faites, vous, peu ou prou, le nerf du monde. Il me semble en tout cas (et je le dis du plus profond de moi même) que je respecte les Juifs bien plus que ne savent le faire toutes sortes d'inconditionnels, qui se contentent d'essayer de les annexer. Ce n'est pas parce que, en tant que modernes, nous serions tous juifs, que cette annexion va de soi et qu'il faudrait oublier ce que gardera toujours de spécifique le mystère d'Israël, que saint Paul résumait ainsi : "Les dons de Dieu sont sans repentance".

Dans La petite peur du XXème siècle (1949), Emmanuel Mounier refusait solennellement de tirer les leçons d'Auschwitz, assimilé justement à "une petite peur". Lui entendait rester obstinément progressiste et niait la puissance durable du Mal sur le monde. Le message éthique des Juifs à la modernité est aux antipodes de ce progressisme imbécile qui, sans méfiance devant l'image du progrès, a préféré les meubles en formica aux armoires des ancêtres. Le message des Juifs, c'est que le progressisme (le progressisme nazi, mais aussi le progressisme marxiste ou libéral) est mort à Auschwitz. Sans Auschwitz, y aurait-il eu la "culture Soljenitsyne" ? Et quand on a médité sur Auschwitz, sur ces millions de personnes déportées et exterminées sans raison, peut-on croire une seconde à la mondialisation heureuse ? Dans Fiasco, Kertesz a décidément raison de soutenir que non.

Quoi qu'on en pense, l'évolution actuelle de l'art et de la culture montre que ce message est bien en cours de réception. Obscurément beaucoup sont en train de comprendre que lorsque l'homme se prend pour la mesure de toutes choses, toutes les balances sont déréglées. Refuser le révisionnisme théorique ou pratique, essayer de peser la Shoah, c'est accepter de regarder en face le drame de l'humanisme athée, l'horreur d'une culture raffinée (la culture allemande) qui, comme dit Hermann Hesse a renié le culte dont elle était issue, ou, ce qui "finalement" revient au même, a perdu le sens de la réalité de ce culte pour en faire un pur romantisme : le rêve bien innocent de Bayreuth qui se termine en cauchemar à Auschwitz.




Réponse de Julien Weinzaepflen :

Cher Monsieur l'abbé,


Il n'est pas rare, lorsqu'on cède au désir enfiévré de croiser le fer (comme ce fut mon cas en voyant votre blog, sur lequel j'aimais respirer le bon air d'un "libreéchange entre esprits libres" devenir le miroir d'une "passion catholique et française", la controverse à propos de Maurras), d'aider un peu la fièvre à monter en s'emballant sur un contresens qu'on n'avait pas voulu commettre de sang froid.


Je vous l'avoue : j'ai commis deux contresens en partant sur les chapeaux de roue…en premier lieu, l'article que je voulais commenter n'était pas "Maurras est-il le diable", mais : "Maurras, Rome et le diable"… Dans cet articl, j'avais lu le mot de "stratégie" etbrusquement, mon sang n'a fait qu'un tour… Pour moi,, vous en appeliez à une convergence des stratégies pour la reconquête des âmes par l'Eglise, toutes étaient bonnes à employer, surtout si le "bon petit peuple voulait prier dans les formes catholiques". Qu'est-ce qu'un dignitaire romain avait à se mêler de son idéologie ? Qu'il vous laisse donc suivre votre stratégie, "faire l'expérience de la Tradition" : je n'en faisais pas une affaire personnelle, ce n'était pas votre stratégie à vous, Monsieur l'abbé de Tanoüarn, que je voulais particulièrement mettre en cause : je voulais comprendre la cohérence du "discours" que portait l'Institut du bon Pasteur, discours dont le moins qu'on puisse dire est qu'à en faire une lecture médiatique, c'est-à-dire à anticiper comment il sera reçu, le discours est brouillé et est caractérisé par le "grand écart" : grand écart, d'abord entre deux hommes, deux fondateurs : M. l'abbé laguéry et vous-même, le premier se départissant de tout maurrassisme tandis qu'après avoir fait un pas vers le dialogue avec les Juifs, vous rappeliez la mémoire de Maurras. Cette séquence suivait de quelques années le message subliminal que l'abbé Laguéry avait, de son côté, envoyé après les saillies antisémites de dieudonné en donnant sacramentellement le baptême à sa petite fille à grands renforts de publicité, quand le Sacrement aurait pu rester discret, si le coup médiatique n'avait pas été recherché autant que lui…


Je n'ai émis qu'une analyse médiologique. Si j'ai parlé de "stratégie", c'est au sens où, sauf à ne vous adresser qu'au "milieu" dans lequel vous jouissez d'une influence méritée (car vous êtes un intellectuel de premier plan), vos positions publiques ont un pouvoir de suggestion. La suggestion médiatique qui ressort de votre rappel à "l'épouvantail"-Maurras, qu'il mérite ou non d'être considéré comme tel, est sans équivoque et c'est le grand écart… Elle rend votre message illisible, inaudible, en dehors du cercle de vos affidés. Or vous méritez mieux que d'avoir des affidés.


Vous m'accusez quant à moi d'être un inconditionnel du "peuple juif" ou de vouloir l'annexer. Du second chef, comment medéfendre ? Par le rappel que j'assortis de prudence mon propos de percevoir une configuration du peuple juif au Messie du golgotha : je reconnais que, si mon hypothèse véhicule une vérité (et je ne l'avancerais pas, même avec la réserve qui convient, si je ne le croyais pas), tout le monde n'est pas prêt à recevoir cette vérité. Elle peut en blesser quelques-uns. Est-ce pour cela qu'il faut la taire ? Est-ce pour cela qu'il faut se refuser à risquer une lecture théologique de l'histoire et du monde ? N'êtes-vous pas les premeiers à dire que, dans le dialogue, il faut rester soi-même ? Or comment comprendre théologiquement la shoah en dehors de ce saisissement qui nous prend, à l'idée que tout un peuple (et pas par hasard ce peuple-là) a été voué à être la victime innocente d'un régime totalitaire et païen. Au nom de quelle économie du salut la Pation des Juifs paraît-elle pouvoir être assimilée à la Passion du Christ ? Cette economie m'échappe à moi qui vous parle. Pire, elle me "scandalise". Elle me fait dire que dieu ne nous a pas sauvés manifestement. Mais ce qui est manifeste n'est pas le dernier mot des fins dernières. Le chrétien que je suis ne peut que constater cette similitude, la jugerais-je "scandaleuse". Si je n'en fais pas cas, je ne fais que de la rhétorique, pas de la théologie. Ou bien je suis insincère dans mon dialoggue avec les juifs, dans mon dialogue avec vous, dans ma tentative de déchiffrer ce monde écrit en langue des signes et que la modernité trouve absurde...


Est-ce maintenant que je suis "un inconditionnel des Juifs" ? vous me tenez pour tel parce que j'affirme que les Juifs sont le nerf du monde (et non, comme vous, que c'est un peuple parmi d'autres ou peu s'en faut). Si vous n'êtes pas de mon avis, à quoi, selon vous, devez-vous d'être né chrétien ? Pourquoi le christianisme a-t-il prospéré dans un monde qui lui était radicalement étranger ? quel sens providentiel donner à cette prépondérance, deux millénaires durant, du christianisme sur le monde entier ? Il est vrai qu'"(avec) la modernité…, nous sommes tous devenus juifs" et non seulement chrétiens : nous sommes devenus judéochrétiens et nous n'avons pas fini d'en sonder le sens spirituel. Pour autant, la modernité née de la Révolution française n'est pas le prisme interprétatif convenable aux desseins de la Providence dans l'histoire humaine; La Révolution n'est qu'un épiphénomène en regard du mystère de l'élection par le Père de NSJC. Cette élection concerne aussi bien les juifs que les chrétiens, même si elle est différente pour ceux-ci et pour ceux-là et même si, je vous en donne acte, Pascal a peut-être davantage raison que le cardinal Lustiger de concevoir pour les Juifs "une économie propre" plutôt que de voir dans le Christ, comme le faisait le défunt cardinal,. "la réalisation d'Israël". Remarquez que mon propos n'est pas tout à fait le même : je voudrais que le christ fût "la consolation d'Israël" et me désole de constater qu'Israël s'inscrive dans le destin du christ d'une manière beaucoup plus troublante que si, dans la tradition figurative, Il englobait le destin d'Israël, comme le voudrait le cardinal Lustiger, qui n'eût pas souffert mieux que vous l'hypothèse que j'ose alléguer d'une configuration involontaire d'Israël au destin du Christ...


Je serais encore un "inconditionnel des juifs" selon vous parce que je ne saurais pas que les Palestiniens souffrent aussi, que les Juifs n'ont pas le monopole de la souffrance : nous sommes bien d'accord. Maisalors, posons cette question : à quelle circonstance le sionisme a-t-il dû de voir le jour dans l'esprit de theodor Hertzl ? Qu'est-ce qui a donné l'idée à ce journaliste autrichien que les Juifs ne seraient jamais en sécurité tant qu'ils n'avanceraient pas la Promesse de la terre qui leur avait été faite par Dieu ? La goutte d'eau qui a fait déborder le vase ne fut-elle pas la violence des réactions suscitées par une certaine affaire française, dans laquelle était impliqué un certain capitaine soupçonné, parce que juif et né à Mulhouse (d'où je vous écris), d'"intelligence avec l'ennemi" ? De cette violence, un certain charles Maurras n'était-il pas partie prenante ? Peut-on dire que son antisémitisme était purement conjoncturel ? Historiquement, en tous cas, il n'a pas été sans conséquences…


Israël existe, peut-être avant le temps, peut-être en son temps, je ne sais. Mais l'existence de cet Etat n'est pas de nature à simplifier les relations internationales, polarisées, depuis longtemps et pour longtemps (les Juifs ne sont-ils pas le nerf du monde ?) par ce petit conflit régionnal qui dure depuis que cet Etat est né et dont on ne voit pas bien comment, avec les déséquilibres démographiquesqui se profilent et la guerre de l'eau qui est déjà commencée, les belligérents pourront sortir. A voir réalisés la Promesse de leur terre, les Juifs n'ont-ils pas perdu les clefs de leur universalisme religieux pour se confiner dans un territorialisme trop étroit pour leur grande pensée religieuse ? La terre promise n'eût-elle pas gagné à demeurer terre rêvée, utopie ? La question reste ouverte : les juifs religieux antisionistes, qui n'étaient pas favorables à une construction politique faite de toute pièce, se sont prononcés dans ce sens avant que je nela pose.


Bien à vous


Julien WEINZAEPFLEN



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