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samedi 30 novembre 2024

Dialogue avec Lodi

Lodi est un commentateur du blog de Philippe Bilger de tendance plutôt transhumaniste pessimiste. Je reproduis ici cet extrait de notre dialogue qu'on trouvera en totalité sur le blog de notre hôte à cette adresse:



Justice au Singulier: Plutôt les coulisses que la scène...


@Lodi | 30 novembre 2024 à 07:44

"Je ne comprends cependant pas pourquoi vous êtes revenu au christianisme. Avez-vous lu autre chose, senti une communion avec ce qui vous a semblé être Dieu, préféré vous accorder avec votre milieu?", 

Je n'avais rien lu. Mon athéisme partait de moi, j'y étais libre et heureux. J'ai peut-être voulu m'accorder avec mon milieu ou faire la part du conditionnement: mon athéisme perçait le coeur de ma grand-mère et sans doute inconsciemment, voulais-je arrêter de l'en faire souffrir. Mais avant tout, j'ai "senti quelque chose", j'ai vécu un transport, de ceux dont on ne revient pas et qui vous interdisent de vous détacher de Dieu, au-delà du fait que le détachement est un anti-douleur.


"Les dieux ont soif", résumait Anatole France ou pour vous citer, "je soutiens que le crime de masse du Déluge ou que la fin du monde, gigantesque boucherie assortie d'un jugement de l'assassin sur ses victimes" est le pire des châtiments qu'on puisse imaginer, avec l'enfer chrétien, cette éternité de combustion sans consomption, une imagination qui ne serait pas même venue dans la pensée d'Hitler. Oui, mais si la religion n'assouvit pas la soif qu'elle creuse ou met en évidence, le contact qu'elle fait prendre avec dieu ne relève pas des histoires qu'on raconte à son sujet, histoires violentes, vous avez raison, histoires qui parfois comme dans l'islam, mettent des noms de personnages sur le dieu des philosophes avec plus d'efficacité que dans le monde chrétien. Non, le contact que la religion nous fait prendre avec Dieu est d'abord personnel, même si, par la suite, j'ai été heurté qu'on m'oblige à ne pas m'interroger sur l'idée de Dieu, mais sur Sa Personne, moi qui avais noué beaucoup plus une relation avec l'Esprit-Saint qu'avec Jésus-Christ, Fils de Dieu.  Mais oui, la conversion qui fut la mienne fut une rencontre avec l'Esprit-Saint, et peu m'importe encore aujourd'hui de savoir si Jésus a existé historiquement ou si c'est notre soif de Lui et nos attentes à Son égard qui lui confèrent l'existence. Ce que Michel Onfray dit de "Jésus, personnage conceptuel" avec qui vivre une relation allégorique ne me choque pas et je tiens Feuerbach pour le plus grand théologien apophatique, sinon le seul, de l'Occident chrétien. 


"Si puissant que soit un abuseur, il n'est jamais qu'un abuseur."

Quand je vous disais que la rémission des péchés n'est pas très "tendance", dans cette prise de conscience où nous sommes de l'impact des abus sexuels ou de conscience, je pense que cela s'aggrave sous l'effet d'un dogme tel que la rémission des péchés qui revient à suggérer à ceux à qui on ne fait de la vie morale qu'un impératif de second ordre: "Abusons-nous, folle ville, puisque tout sera pardonné."


"Participer au salut du monde?" "Je passerai mon ciel à faire du bien sur la terre", se promettait la petite Thérèse.


"Dieu est trois dans le christianisme, une de ses personnes meurt et ressuscite, tout cela sauvant bien des gens. "

Si le Fils meurt, quelque chose dans le Père meurt aussi. Et cette mort ne peut Le satisfaire, si je prends ce mot dans son sens usuel, qui me fait converger globalement avec votre résumé : "Dieu lui-même s'astreint à une dépersonnalisation quand il agit comme dieu fractionné, un abandon exprimé par le fameux "Mon Dieu, pourquoi m'as-tu abandonné ?". 




Il y a une dimension orphique de la création divine. Dimension que je qualifie ainsi parce que je "joue avec les mythes". Mais il ne faut pas avoir peur de jouer le jeu de la relation spirituelle.


"Je vais tenter une autre approche. Si Dieu avait créé le monde par trop-plein de créativité, d'amour, l'univers serait une fête, un paradis, une perfection dont le moindre recoin vaudrait la totalité de ce qui existe en vérité."

Je retiens votre hypothèse parce que je l'ai souvent émise par-devers moi sans la formuler aussi bien que vous: Dieu a créé le monde par trop plein de créativité. Sans obligation de résultat du fait de son "sentiment d'incomplétude". Variante: Dieu a mis des millions d'années à éprouver le besoin d'un vis-à-vis dans Sa Création. J'avais énoncé cette idée en rencontrant le Père Martelet qui ne m'a pas envoyé sur les roses en m'opposant la relativité générale qui fait que mille ans sont comme un jour.


"Dieu a créé le monde parce qu'il est tombé."

Je vous reconnais bien là. La gnose n'est jamais loin de vos investigations métaphysiques.  

"Pas le diable, un sous-fifre, lui..."

Le diable n'est qu'un manque-à-être.

"[Dieu] est tombé dans le sentiment d'incomplétude, un mécontentement de ne pouvoir se satisfaire de soi, et il s'en est voulu comme il en a voulu au monde, et nous en payons les conséquences."

Cela pourrait être, ou bien c'est une histoire que vous faites dériver  de ce qui se veut être la Révélation chrétienne. Histoire à laquelle je serais sans souscrire? 

Mon analyste, athée, mais atomiste, me dit un jour: "Vous (sous-entendu vous au moins) avez conscience, en étant croyant de participer à la paranoïa collective."  Et quand bien même? Il n'y a pas d'homme sans histoire, sans édification, sans monument. Si "le Fils de l'homme n'a pas une pierre où reposer sa tête", l'Église catholique lui offre une triple pyramide:


-Elle lui raconte l'histoire depuis la Création du monde jusqu'à la dévastatrice Apocalypse;


-elle le situe à la base d'une hiérarchie qui va du simple fidèle jusqu'au pape;


-hiérarchie qui elle-même est le miroir et met l'homme en communion avec tous les vivants et les morts. C'est déjà pas mal et peut-on lui en demander davantage?


"Le salut, plutôt brutal, que nous offre Dieu, est l'ombre du salut qu'il se fait à lui-même, bon sang, j'écrirais peut-être une fiction sur ça, ou du moins en partie me dis-je avec enthousiasme."

Neal-Donald Walsh écrit que "Dieu crée pour faire l'expérience de Lui-même." 


"Dans ce cas" (si vous écriviez une fiction là-dessus), vous m'auriez inspiré, merci, grand merci, vraiment !"

J'en serais honoré."Dans ma version des mythes de salut, en nous sauvant, Dieu se sauve, en participant à son salut, l'homme participe au salut de Dieu."

Variante personnelle: le récit de la ligature d'Isaac se termine heureusement par le fait que Dieuintime à Abraham d'abaisser le couteau qu'il allait lever sur son fils comme une preuve ultime de son amour incommensurable d'un Dieu, lui aurait-Il été infidèle et pris le fils de sa promesse. Je me dis que, jusqu'au dernier moment, non pas Jésus qui accepta de boire le calice jusqu'à la lie, mais Dieu le Père a cherché un homme qui L'aurait supplié de ne pas laisser se lever le bras séculier de l'autorité civile satisfaisant la foule versatile et irritée sur Son Fils  en rémission des péchés du monde. Mais Dieu n'a pas trouvé ce suppliant, qui vient à contre-temps dans l'islam estimer que Dieu n'avait pu laisser Jésus au pouvoir de la mort pour vaincre la mort. 


Moi aussi, je voussouhaite le meilleur et ce n'est pas la première fois que nous nous le souhaitons dans ces colonnes à nous ouvertes par notre hôte et sa tendre moitié.

mardi 12 novembre 2024

La victoire de trump analysée par deux journalistes démocrates

Le lien ci-dessous

https://www.google.fr/search?q=Claire+Meynial&sca_esv=2082a285961d999d&source=hp&ei=jCgzZ6uFKriKkdUPkYi8oQY&iflsig=AL9hbdgAAAAAZzM2nLapLW3uMKbyWWFXZKDBLn7uD1fq&ved=0ahUKEwir-_LrxdaJAxU4RaQEHREEL2QQ4dUDCBw&oq=Claire+Meynial&gs_lp=Egdnd3Mtd2l6Ig5DbGFpcmUgTWV5bmlhbDIIEC4YgAQYsQMyBRAAGIAEMgUQABiABDIFEC4YgAQyCBAAGIAEGKIEMggQABiABBiiBDIIEAAYgAQYogQyCBAAGIAEGKIESLg5UABY3hBwAHgAkAEBmAGzBaAB4CaqAQkyLTIuMi4zLjS4AQzIAQD4AQGYAgqgAvoiwgIREC4YgAQYsQMY0QMYgwEYxwHCAhAQABiABBixAxiDARiKBRgKwgIREC4YgAQYsQMYgwEY1AIYigXCAgsQABiABBixAxiDAcICCBAAGIAEGLEDwgIOEC4YgAQYsQMYgwEYigXCAgsQLhiABBixAxiDAcICCxAuGIAEGMcBGK8BwgIREC4YgAQYsQMY0QMYxwEYigXCAg4QABiABBixAxiDARiKBcICBBAAGAPCAhEQLhiABBixAxiDARjHARivAcICBhAAGBYYHpgDAJIHCTItMi4xLjUuMqAHjZEB&sclient=gws-wiz

analyse la victoire de Trump vue par une journaliste française, #ClaireMeynial, plus près du parti démocrate que du parti républicain bien qu'elle travaille pour "le Point" si je puis dire, encore qu'il n'existe pas à proprement parler de journalistes de sensibilité républicaine à l'américaine dans la grande presse française. Claire Meynial est interviewée par #WilliamReymond qui, après s'être intéressé à pas mal de sujets sulfureux liés aux Etats-Unis, comme l'assassinat de John Kennedy, y a fait souche, y vit à Las Vegas, doit y jouer un peu au poker tout en restant un "junky de la politique" dévasté par la victoire de Trump qu'il n'avait pas vu venir, n'ayant pas eu, me semble-t-il, assez de distance avec "la campagne de Kamala Harris", contrairement à sa collègue, que ses affinités n'ont jamais empêché d'être objective. Leur conversation est très riche d'enseignements.

D'abord sur l'apparente inconstance des électeurs: tel électeur démocrate vote pour Kamala Harris tout en approuvant que son État expulse manu militari des immigrants clandestins. Telle autre estime que "l'avortement fait partie de ses valeurs", mais vote quand même pour Trump à cause de l'économie. Si l'on devait comparer cette inconséquence des électeurs américains à celle des électeurs français, on pourrait se demander comment des marcheurs de "la Manif pour tous" ont pu constituer la base électorale la plus solide d'Emmanuel Macron plébiscité par la bourgeoisie catholique bien qu'il inverse toutes leurs valeurs. Ou encore on peut se demander comment des électeurs de l'ancien Front national pouvaient à ce point se dire nostalgériques et cultiver la nostalgie de l'Algérie qu'ils n'auraient jamais dû quitter tout en professant le plus grand mépris pour les immigrés qui en provenaient, eux-mêmes faisant bien peu de cas de l'indépendance qu'ils avaient chèrement payée.

L'avortement peut-il être considéré comme une valeur? Claire Meynial avoue que c'était le thème dominant et quasiment unique de la campagne de Kamala Harris. Elle a donc élaboré un programme au moins offrant, car à supposer que l'avortement soit une valeur, idée qui me choque, c'est a minima une valeur par défaut. Kamala Harris ajoutait bien qu'elle voulait être la candidate des classes moyennes, mais en cela elle faisait du Joe Biden en 2020, c'est-à-dire qu'elle collait au train de Trump qui les avait comprises et ses chalengers ne pouvaient que l'imiter dans leur empathie affichée, qui se heurtait à l'incapacité de Kamala Harris de détailler précisément les plans qu'elle assurait avoir pour redresser l'économie américaine, excipant des "bidenomics" qui étaient censés avoir limité l'impact de l'inflation sur les Américains, ce que contredisaient les électeurs que Claire Meynial interrogeait, un peu comme on a vu, à l'arrivée de l'euro, qu'on nous affichait une inflation à 2 ou 3 %, quand l'"inflation ressentie" pour employer une métaphore appartenant à la température et au climat, était d'au moins 20 %. Ce qui était sûr était que les salaires n'avaient pas augmenté au niveau de l'inflation. Un peu comme ici, où le refus d'encadrer les loyers a fait que le logement est le premier poste budgétaire des ménages, largement au-dessus des 35 % qui doivent lui être consacrés pour qu'une banque accorde un crédit dans le cadre de l'accession à la propriété, et où les tarifs de l'énergie ont augmenté depuis que les USA ont fait un Pealharbour sur Nordstreame et ont obligé les Européens à acheter du gaz américain en se privant du gaz russe, tout en ne renouvelant pas leur parc nucléaire.

Le pouvoir personel est par essence charismatique. Si l'homme ou la femme de pouvoir ajoute la compétence à son charisme, c'est très bien. Sinon, c'est dangereux, mais c'est la loi du pouvoir personnel appliqué à la démocratie. Sous ce rapport, Kamala Harris n'a jamais "imprimé", car elle n'arrivait pas à sortir de son speech, y compris sur CNN face aux électeurs, accuse Claire Meynial, au contraire de Donald Trump, dont ses électeurs se moquent bien des détails de ses prises de parole, car ils viennent l'écouter et le voir comme les fans desRooling Stones allaient voir et écouter Mick Jagger. La comparaison est d'autant plus appropriée que, dans ses discours, Trump parle "un peu de tout et de rien", au gré de ce qui lui passe par la tête.

On a accusé les électeurs de Trump de quitter ses rallyesune heure avant la fin, dénonce encore la journaliste qui s'est immergée au coeur du Trumpland. Mais ils attendaient quinze ou seize heures avant le début du meeting et dès qu'ils avaient vu leur idole aparaître, ils avaient leur compte et étaient murs pour refaire la queue encore deux heures sur le parking.

William Reymond note que l'Altright a su s'emparer comme chez nous les acteurs de la "réinfosphère" des médias alternatifs, souvent au long de longs formats vidéos, des médias alternatifs qui font vraiment de la télé "l'ancêtre d'Internet", comme auraient dit les Guignoles. La complicité qu'ils instalent avec leuraudience ou leur public se fonde sur une communauté de valeurs. Et Reymond de noter que Trump ne s'est jamais posé en adversaire acharné de la communauté LGBTQ+, mais s'est mis à dire en fin de campagne, non plus que les immigrants mangeaient des chiens et des chats, mais que des parents confiaient à l'école un petit garçon qui s'appelait Jimmy le matin et quileur revenait le soir en s'appelant Janny, non pas qu'il ait subi une transition de genre en une journée, précise Claire Meynial, mais il est vrai que des professeurs peuvent leur avoir mis dans le crâne qu'"ils sont nés dans le mauvais corps, surtout aux petites filles. J'ai 48 ans, ajoute-t-elle. À mon époque, presque toutes les jeunes filles étaient anorexiques. Aujourd'hui, la plupart des jeunes filles voudraient devenir des jeunes hommes" et intériorisent le "défaut de pennis" par lequel se définitla femme selon Freud, "la femme qui n'existe pas" selon Lacan..."Qu'il y ait eu de tout temps un certain pourcentage de gens qui ne se sentent pas bien dans leur identité biologique et doivent en changer est un invariant anthropologique, mais pas à cette échel, alertent les médecins dans des études alarmées", ajout-t-elle. "Et rien ne dit que la transition de genre faite sans enquête ni thérapie préalable apporte du mieux-être au trop grand nombre d'adolescents qui la demandent, c'est plutôt le contraire qui paraît être vrai".

En un mot, ces démocrates de bonne foi ne donnent pas raison sur tout aux analyses de Trump et encore moins à soncomportement transgressif, mais malgré eux, ils en viennent à déplorer que le bon sens non dégénératif ait manqué aux démocrates pour emporter cette élection, de l'inflation à la théorie du genre qui était censée ne pas exister, nous assurait-on en France en 2013. La politique du moment semble vouloir mettre nos perceptions à l'envers et le faire à tout bersingue, et non avec la lenteur des "habitus" que l'on change avec parcimonie, expliquait en son temps Pierre Bourdieu, à supposer qu'il n'existe pas de nature humaine. 

Le "fight" de Trump

Le "Fight" de Trump m'a beaucoup fait réfléchir. 

Lorsque le pape Jean-Paul II a été victime d'un attentat, luiou son staff se sont ingéniés à écrire que la Providence avait détourné la balle  pour réaliser le troisième secret de Fatima. Cette lecture un peu convenue ne convaincra que les providentialistes les plus défraîchis. 

Jean-Paul II s'est ligué avec Ronald Reagan pour désarmer la Russie soviétique. Son successeur préfère les ponts qu'empruntent les passeurs pour se livrer au trafics humain aux murs trumpiens. Moi qui ai applaudi à la chute du mur de Berlin (je m'en souvenais encore ce matin avec un ami organiste), je ne juge pas, j'expose, et je constate que le Vatican de François ne s'alliera jamais aux États-Unis de Trump. 

Dont l'angoisse identitaire lui paraît méprisable, comme est anti-évangélique la réaction instinctive -et tellement plus vraie qu'une promesse électorale- par laquelle Trump accueillait sa mortqui pouvait le faucher d'une seconde à l'autre en ne disant pas tant aux autres: "Vengez-moi" que "luttez pour qu'il ne vous en arrive pas autant". Rien de plus contraire au "tendez l'autre joue" qui devrait être la boussole des électeurs évangéliques de Trump. Y aurait-il une dissonance cognitive entre l'Évangile et les évangéliques? Ce ne serait pas la première fois que des chrétiens seraient pris en flagrant délit de ne pas pratiquer l'Évangile. 

Nulle référence évangélique dans ce sursaut dont Raphaël Glucksmann concédait que Trump opposait à la résignation générale une "incroyable puissance de vie" qui avait convaincu ses électeurs. Ce sursaut n'a pas davantage le providentialisme rétrospectif d'un Jean-Paul II se félicitant d'avoir pu régner quelques vingt-cinq ans de plus. Mais il fait écho àla manière dont le P. Jacques Hamel avoulu résister à son agresseur: "Retire-toi, Satan", cri dans lequel (les ecclésiastiques ne l'ont jamais relevé) un terroriste devenait le diable en personne. 

lundi 11 novembre 2024

Il était une fois l'Europe

Il était une fois l'Europe. Une Europe qui, avec Maastricht, rêva d'êtr une puissance autonome, indépendante de l'axe transatlantique, à l'autre pôle de l'Occident; dont la Russie rêva si fort qu'elle demanda à la rejoindre et François Mitterrand ne fut pas insensible à son appel; puis qui fut rattrapée par la réalité, parce que l'économie dominante du pays dominant de la confédération européenne, l'Allemagne pour laquelle canaliser il fallait confédérer l'Europe, dixit  Robert Schumann dans le chapitre central de son "Pour l'Europe", voulait appuyer son hégémonie sur le pays dont la monnaie dominait le monde en croyant réparer, par son alliance avec un autre pays protestant, millénariste et messianique, les abominations du régime nazi qui lui avait fait perdre le droit moral à  son influence philosophique et spirituelle idéaliste. 
Il était une fois une Europe surprise par la première élection de Donald Trump au point que le pays sus-cité avoua son écoeurement par la bouche d'Angela Merkel; qui se refit la cerise quand Joe Biden l'emporta sur Trump et réintégra la communauté climatique des Accords de Paris en poussant l'Ukraine dans une riposte ingagnablecontre son envahisseur, une Ukraine où le fils du président américain qui semblait un peu dépassé pour faire de l'escalade avait nourri de juteux et douteux conflits d'intérêt; une Europe qui s'était fondée sur l'idée d'une "paix perpétuelle" à la Kant et qui croyait se refaire sur la guerre parce qu'un pays de l'ère russe venait de se faire envahir pour avoir voulu devenir occidental contre sa destinée manifeste; et pour finir une Europe qui se retrouve toute seule et se voit dans l'obligation de devenir une puissance ou de se dissoudre et d'abdiquer son rêve confédéral sous la pression conjuguée d'une Amérique qui ne veut plus faire alliance avec elle et d'une Russie qui veut faire alliance avec la nouvelle Amérique.

vendredi 8 novembre 2024

Emmanuel Todd et le cléricalisme

S'il est un débat qui agite l'Église de François Gambetta, oh pardon, je voulais dire du pape François (j'ai commis cet impair parce que Gambetta fut le premier à s'écrier: "Le cléricalisme, voilà l'ennemi"), c'est celui qui fustige à contre-temps, me semble-t-il, la relation de sujétion qui jetterait les clercs sous le joug des laïcs alors que ceux-ci ont depuis longtemps cessé d'être des notables, ne sont pas respectés au-dessus de la moyenne, administrent leurs paroisses avec leurs conseils pastoraux, au moins dans une Europe où les laïcs veulent s'émanciper (en Afrique il n'y a pas ou peu de diacres), le désir de reconnaissance n'ayant pas été traité par le Christ, pourtant réputé Maître du désir, quand Il a parlé du "serviteur inutile qui n'a fait que son devoir", ce désir non traité retombant sur l'Eglise qui "précède le Christ" au plan anthropologique, car la nature humaine a besoin de faire corps.

Le cléricalisme, débat anachronique, me disais-je, d'autant que le christianisme sociologique a à peu près disparu, ce que je ne croyais pas voir de mon vivant, et que les communautés chrétiennes sont plutôt devenues de belles réalités humaines.

Mais ce matin, je tombe sur ce passage du livre d'Emmanuel Todd, "la Défaite de l'Occident" (Emmanuel Todd, dans son anti-charlisme que pourtant je partageais, avait en son temps traité les catholiques de zombies), qui à la fois me conforte et me désharçonne dans ma conviction que le cléricalisme est un débat anachronique:

« Si je vois dans la capacité de lire et d’écrire le fondement de la démocratie, ce n’est pas seulement parce que l’alphabétisation permet de déchiffrer les journaux et de choisir son bulletin de vote, mais parce qu’elle nourrit un sentiment d’égalité, pour ainsi dire métaphysique, entre tous les citoyens. Lire et écrire, ce qui était l’exclusivité du prêtre, estdésormais le propre de tous les hommes.
Or, ce sentiment d’une égalité démocratique de base semble, en ce début du troisième millénaire, tarie.
L’élitisme et le populisme [se font face]. Les élites dénoncent une dérive des peuples vers la droite xénophobe et les peuples soupçonnent les élites de sombrer dans un globalisme délirant. Si le peuple et l’élite ne sont plus d’accord pour fonctionner ensemble, la notion de démocratie représentative n’a plus de sens. On aboutit à une élite qui ne veut plus représenter le peuple et à un peuple qui n’est plus représenté."

Ce débat interne à la société démocratique où l'alphabétisation fait que le cléricalisme est dépassé est-il transposable à l'Église? Je dirais qu'il se pose en d'autres termes.

-A priori, le pape est populiste. Le pape veut transférer son infaillibilité au "peuple de Dieu", expression conciliaire inconcevablement présomptueuse et dont je ne comprends pas qu'elle continue de faire florès. Il est populiste au point que c'est du sommet de la pyramide que s'élève (ou que s'abaisse) la dénonciation du cléricalisme. Le sommet de la pyramide cléricale est anticlérical.

-Et c'est également aussi l'élite des clercs et des laïcs qui converge dans cet anticléricalisme synodalisant. La moyenne des fidèles et du clergé s'en fiche. Il n'a pas besoin devoir désigner par la réalité synodale une vie paroissiale qu'il vit déjà. Il n'a pas besoin de réfléchir sur ses structures, mais à sa vie spirituelle. Il n'a pas besoin d'autoréférentialité, mais de décentrement transcendental.

-Tout se passe comme si on assistait dans l'Église à une inversion du sentiment de déshérence démocratique qui a lieu dans la société. Ce sont les élites qui sont anticléricales et populistes et le peuple fidèle qui est clérical et attaché à ses institutions. Est-ce à dire qu'il a besoin de l'aiguilon d'un enfer xénophobe si le propre de l'institution est de produire du sacré, que le peuple a besoin de sacré et le sacré sépare? La démocratie représentative qui met tout le monde à l'unisson repose sur l'illusion d'une égalité des conditions, mais se révèle plus séparatiste en bout de course démocratique, quand les inégalités se creusent au point de ne plus faire tendre l'un vers l'autre le prolétariat et la bourgeoisie, mais de creuser les écarts entre des gens très éduqués et d'autres qui en sont encore à décliner "les besoins fondamentaux de la nature humaine" tels que nomenclautrés par Simone Weil dans "l'Enracinement".

L'art de la conversation est devenu très difficile en démocratie où pour peu qu'on soit non seulement raciste et négationniste comme c'était le cas hier, mais désormais climatosceptique, covidosceptique et moyennement favorable à la neutralisation des genres, les opinions sont criminalisées et on est exfiltré du monde commun, au milieu du déboulonnage talibanesque des statues de feu nos commandeurs qu'on croyait pouvoir déclarer "santo subito".

Et c'est à ce contre-momentum d'incompréhension paroxystique que l'Église voudrait engager une "conversation synodale" tout en restant sur un trépied où il y aurait d'une part les clercs, d'autre part les laïcs et d'un troisième côté le pouvoir qu'ils voudraient bien se partager, dans une Trinité bizarre où il ne resterait plus que du pouvoir à partager parce que, dans cette société humano-divine, le désir de reconnaissance n'a jamais été pris en compte par son divin Maître qui l'a magistralement ignoré. L'Esprit est aussi le membre entièrement relationnel de la Trinité divine, tout comme dans le mariage, il est censé y avoir l'homme, la femme et l'amour. Mais dans le trépied créé par le non aboutissement du synodeà une fusion totale du sacerdoce ordonné dans le sacerdoce commun des baptisés, le sommet de la pyramide répugnant à faire le saut qualitatif par peur des schismes et de crainte que "le peuple de Dieu ne soit pas prêt" (il ne sera jamais prêt), dans ce trépied le pouvoir a pris la place de l'amour et en cela consiste à mes yeux l'erreur de perspective de parler de cléricalisme, concept flou qui semble faire ressurgir des querelles médiévales. 

jeudi 7 novembre 2024

Le monde a-t-il quelque chose à gagner à la victoire de Trump?

Quel avenir présage la victoire de Trump? Cette question me paraît plus intéressante que celle de savoir de quoi Trump est-il le nom en Amérique ou de quoi la victoire de Trump est-elle le nom au plan mondial et américain (pardon, en posant ces questions, d'inverser le sujet dans des propositions interrogatives indirectes). Il ne faut cependant pas éluder ces questions premières. Aux États-Unis, Donald Trump est le nom dun milliardaire qui ne s'est pas fait tout seul et qui a envoyé au peuple américain deux messages contradictoires: celui du producteur de téléréalité qui disait "vous êtes virés" aux gens des classes moyennes et celui qui, sans avoir réalisé le rêve américain ni être monté par son ascenseur méritocratique, finit par l'incarner aux yeux de certaines gens d'en bas; autrement dit celui de l'escroc un peu failli qui refuse l'échec et renaît de ses cendres selon une conception très américaine de la résurrection de la chair;ou encore celui de l'homme d'affaires qui se prend à son propre jeu et épouse l'intérêt des classes moyennes ignorées et en perdition qu'il avait méprisées par tempérament, mais auxquelles il avait donné un spectacle qui a fini par le griser lui-même. Donald Trump est le nom d'un jetseteur et d'un nigt-clubeur évangélique.

Comme le disait Didier de Plaige, le fondateur de "Radio ici et maintenant", au lendemain du 21 avril 2002 (je n'ai jamais oublié cette réaction qui m'a immédiatement paru beaucoup plus salubre que toutes les élucubrations que j'émettais alors dans un journal politique que je n'ai jamais publié jusqu'à ce jour), la victoire de Trump est le nom d'un corps social qui est tellement malade qu'il n'a plus d'autre ressource que de s'en remettre à un homme pénalement condamné, accusé de viol, misogyne, insultant, instable, mais à qui il fait crédit de restaurer la paix mondiale. Réaction insalubre, car c'est s'abandonner aux méandres d'un homme imprévisible plutôt qu'aux courbes apparemment sécurisées d'une histoire par essence sinueuse et inconnue. C'est, comme pour les Russes avec Poutine, s'abandonnerà un destin pour ne pas perdre sa destinée ou à défaut l'espoir de conserver une destinée. En ce sens, la réaction est salubre, qui se confie à n'importe qui plutôt que de s'en remettre à des forces qui ont maintes fois prouvé qu'elles se retournaient contre les buts qu'elles affichaient.

Mais pour répondre à la question initiale de ce petit billet, la victoire de Trump est le nom d'un espoir de paix mondiale et de guerre économique contre un fait accompli de guerre mondiale en devenir et de paix économique relative où la loi de la jungle était tempérée par ce qui restait de l'OMC. Cet espoir peut se réaliser si Donald Trump, non pas règle le conflit en Ukraine en vingt-quatre heures après s'être vu rouvertes les portes de la Maison blanche, mais s'il préside à la désescalade et à la négociation entre Russes et Ukrainiens. Mais il y a un caillou dans la chaussure de cet espoir de paix paradoxale: jusqu'où ira le soutien de Trump à Israël? Car deux guerres d'une même barbarie secouent l'Eurasie:l'agression de l'Ukraine par un Vladimir Poutine ivre de sa sécurité et l'invasion multifrontale d'Israël à tous les pays environnants ou qui soutiennent les milices qui la menacent ou qui l'agressent. Si Donald Trump prend unilatéralement le parti de Netanyahou comme celui de Poutine, le monde n'aura rien à gagner à la victoire de Trump. Heureusement, sa dernière fille a épousé un Libanais et lenépotisme trumpien prend souvent le parti de ses gendres, ce qui a fait récemment dire à Donald Trump qu'il voulait mettre fin aux souffrances au Liban comme il a fait signer ce pis aller qu'étaient les accords d'Abraham sous l'influence de Jared Kuschner, mari d'Ivanka. 

vendredi 1 novembre 2024

Haro sur Gérard Haraud ou réflexion sur le travail et la patrie?

En écoutant #GérardHaraud sur #FranceCulture qui lui consacre une série en cinq entretiens de son émission "À voix nue",
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/a-voix-nue
il me revient que je fus longtemps à ne pas m'intéresser à ce que disait ce diplomate dont les positions me paraissaient frappées au coin du "politiquement correct" jusqu'au jour où, par hasard, je tombe sur une de ses analyses dans "le Point" où il fait dans la nuance et expose un point de vue que je trouve multipolaire ou multilatéral, le seul qui m'intéresse en matière de géopolitique. En ayant réécouté toute la série, je reviens à mon point de vue initial, #CarolineBrouet qui pourtant n'est pas un monstre de malveillance ayant pris soin de garder pour la fin qu'à sa retraite, l'anti-trumpiste pédagogue de Trump, celui qui se définit avan tout comme un diplomate français soucieux des intérêts de la France et comme objectif sur le Moyen-Orient bien qu'accusé d'avoir négocié un rapprochement avec l'Israël d'Ariel Sharon à la demande de Dominique de Villepin, se défaussse-t-il au regard des positions actuelles de ce diplomate lyrique, équilibré, mais qatarisé, s'avère, paniqué par la retraite, s'excuse-t-il auprès de son intervieweuse qui dénombre ses conflits d'intérêt, accepter de travailler pour #RichardAttia, le grand ordonnateur des conférences de Davos et autres événements internationaux qu'épousa en troisième noce #CéciliaSarkozy, ou de manière plus contestée encore conseiller de l'entreprise israélienne qui avait fourni au Maroc le logiciel d'espionnage #Pegasus, ce qui avait valu à ce pays que vient de visiter Emmanuel Macron avec les succès, mais dans les conditions que l'on sait, d'être accusé d'une grande entreprise de déstabilisation mondiale alors qu'elle n'était rien auprès des menées du Mossad, du réseau Échelon ou de manière plus scandaleuse et plus récente, du pilonage, du bornage et des écoutes de tous leurs gouvernants alliés par les services américains, espionnage diplomatique auprès duquel la sous-traitance de Pegasus parait un enfantillage et qu'on s'étonne d'avoir entendu si rarement dénoncer.

Le cinquième épisode de l'émission s'intitule "Pour réduire le désordre du monde" et me rappelle étrangement la citation de Camus qu'on ressort à tout bout de champ: "Chaque génération se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse." On présente cette citation comme un grand exemple de sagesse politique, soeur du constat réaliste de Raymond Aarond que "l'histoire est tragique" et qu'on n'en ressort pas indemne quand on croit en sortir comme l'a fait Francis Fukuiama qui croyait le monde arrivé à "la fin de l'histoire" à la chute du mur de Berlin alors qu'un quart de l'humanité subissait encore le joug du communisme chinois et que, deux ans plus tard, s'engageait à travers la premièreGuerre du golfe la lutte entre l'islam et l'Occident que le premier qualifie de néo-croisérisme, d'autant plus sans merci qu'il est purement économique et dépourvu, du côté de l'Occident, de toute espèce de substrat religieux ou civilisationnel, gangréné comme il est par un matérialisme qui n'a rien d'historique.

C'est peut-être parce que je suis fâché avec les limites en général et avec mes propres limites en particulier que le conseil camusien de sagesse présumée m'a toujours paru le paravent d'un manque absolu de vision qui tire du déni de l'utopie un prétexte à laisser persister le monde comme il perdure, sous prétexte que "le rôle du diplomate est d'indiquer le champ des possibles et celui du politique de désigner le champ du souhaitable". À force de éclarer par principe que le souhaitable est impossible, on se condamne à ne rien faire et Gérard Haraud a beau jeu de dresser un bilan complaisant sur son action, où il se reconnaît comme seul caillou dans la chaussure de n'avoir pas fait le maximum pour éviter le génocide rwandais, mais ne regrette globalement ni l'action de la France otanisée en ex-Yougoslavie, ni d'avoir joué les va-t-en-guerre en Syrie, ou sa consoeur américaine l'a recadré en lui disant que "les USA ne voulaient pas s'engager dans cette guerre de merde", ni, pour ne pas voir mettre fin à sa carrière diplomatique et être débarqué de son poste à l'ONU, d'avoir suivi l'aventurisme bernard-henr-lévyste qui a détruit la djmaria du colonel Kadhafi, qui tentait de rendre cohérente et tribale, sans doute sous l'égide d'un esprit dérangé, mais pétri des Lumières françaises qu'il avait lues et digérées à sa manière, une société morcelée et tribale. Aujourd'hui le pays est bousillé et est la plaque tournante des trafics humains organisés par les passeurs et du désordre migratoire qui ensable l'Occident sous des flux tendus inaccueillables autrement que sous le régime de l'anarchie, du système D, de l'économie informelle et du "va comme je te pousse".

Entre autres corps dont il s'est fait l'agent de déréglementation, Emmanuel Macron a démantelé le corps diplomatique. Un "diplomate de carrière" épousait la vision géopolitique de sa patrie. Gérard Haraud s'assure que c'est ce qu'il a fait. Si j'analyse mes tréfonds, je me suis toujours demandé pourquoi il fallait être patriote et préférer l'assignation à une seule patrie pour laquelle il faudrait de surcroît donner sa vie plutôt que l'universalisme de l'oumma catholique à laquelle je continue de donner ma première allégeance. J'ai depuis mieux compris l'intérêt qu'il y avait à tout ce qui nous lie et dans la mesure où la langue, donc le langage et la parole, dans cet ordre, nous relie à tous nos compatriotes et à tous nos concitoyens, là aussi dans cet ordre, je suis devenu, au choix, plutôt patriote ou nationaliste, terme que je préfère, mais dans une acception pacifique, ne voyant aucun fondement logique à affirmer que le patriote aime sa patrie et que le nationaliste déteste celle des autres et veut lui faire une guerre tous azimuts. L'homme a besoin d'appartenir à un corps, ce qui a fait récemment dire à guillaume de Tanouarn que l'Église précède le Christ, non que l'Unique Engendré ne l'ait été avant la Création du monde et querien n'a été fait que par Lui, mais qu'à parler humainement, il fallait que la religion serve d'asile à la foi, et les évangéliques ont grand tort de mépriser l'esprit de religion. Derrière l'affirmation que l'homme est un animal social, il y a que l'homme veut faire corps. Donc je comprends qu'un diplomate épouse les intérêts de son pays et en défende la vision du monde.

Mais même s'il ne s'agit pas de juger les gens, comment le diplomate qu'est Gérard Haraud peut-il se rabattre de cette noble tâche qui lui donne toute légitimité pour expliquer le monde à ses concitoyens, comme un général d'état-major féru de géopolitique, à se faire le consultant de tel fonds de pension ou de telle entreprise, dérive qui semble être promise à tous les dirigeants qui, après avoir gouverné leur pays, s'assurent un complément de rémunération en promenant leur bilan magnifique dans des conférences majestueuses à travers le monde, mais surtout émargent au conseil de surveillance, quand ils ne se font pas les communicants, de fleurons économiques de leurs pays.

Ce qui m'amène, paradoxalement, à l'objet principal de ce post et qui, au-delà du haro sur le Haraud, me donne une occasion assez inattendue de partager une réflexion sur le travail que je me fais depuis quelques temps.

Il y a bien des anomalies dans le monde du travail qu'on nous présente à tort comme le facteur d'émancipation ultime de salariés qui n'y trouvent pas toujours des conditions très dignes, fussent-elles de subsistance. La tertiarisation du travail dans les pays développés s'explique en grande partie par le besoin de rendre le travail intéressant. J'ai une faible expérience du travail salarié, mais chaque fois qu'il m'a été donné de l'approcher, je me suis dit que ce qui lui manquait était la personnalisation qui concilie les valeurs du travailleur avec le métier qu'il exerce, personnalisation tellement dévalorisée que, sans parler du travail comme d'un esclavage moderne, on ne parle plus de métier, mais d'emploi, et l'impératif occupationnel est tel que l'injonction faite par Emmanuel Macron à son horticulteur de rencontre fut celle de "traverser la rue" pour trouver un emploi, quitte à changer de métier, en quoi il s'est montré comme à son habitude, moins original que plus caricaturalement méprisant, puisqu'il ne faisait que se placer dans la ligne vieille comme Alain Juppé de la flexibilité de l'emploi, qui mérite toutes les mobilités, toutes les délocalisations, de la part du salarié comme de l'entreprise.

Pour les côtoyer de plus près aujourd'hui dans le secteur du handicap comme cela m'estarrivé par le passé en me faisant la petite main d'un service d'ingénirie éducative, mais plus encore en constatant de visu l'investissement des professeurs qui remplissent plus que leur quota de travail lorsque je me suis préparé à exercer leur métier avant de démissionner préventivement parce que je n'étais pas un assez bon acteur et manquais de présence de scène, les agents du service public me paraissent soutenir à bout de bras un système qu'en leur for intérieur, ils regrettent certainement de voir se déshumaniser parce que d'autres agents, de catégorie A ceux-là, des sortes d'ingénieurs spécialisés dans la ponte de normes exaspérantes écrites en novlangue ou en langue étrangère, déshumanisent le rapport entre l'État républicain et le citoyen qui en est une partie prenante bien plus qu'un simple administré. Mais au moins ces agents ont-ils la consolation de se dire qu'ils travaillent pour le bien commun, quand les employés d'une entreprise doivent se faire une religion de trouver qu'il n'y a rien de plus intéressant au monde, non pas que la culture ou que les religions comme aurait dit Baudelaire, mais que les boulons que produit l'entreprise pour laquel ils travaillent. Car certes, les vis et les boulons empêchent qu'un objet qui est un petit monde se défasse. Mais il faut dépasser l'intérêt qu'on leur porte en comprenant comment est monté le système, de quoi il se compose et comment il se décompose. Il faut refaire le monde pour empêcher qu'il ne se décompose.