C'était avant-hier soir. J'y étais. À la
librairie 47° Nord à Mulhouse.
Langue des signes: je suis invité à cette
conférence par mon amie EvelyneLamon, présidente du Raph 68, fédération d'associations et d'établissements liés au monde du handicap dans le Haut-Rhin, à l'origine de la plateforme "Handiconsulte", qui permettra de pallier s'il se peut la défaillance médicale et le moins-disant de soins que subissent les personnes "en situation de handicap" (que j'aime cette périphrase!).
Handicap. Le premier dispositif Handiconsult du Grand Est à Mulhouse (lalsace.fr)
J'invite mon copain David au titre de la
retape, sans savoir ce qu'il pouvait penser de cet écrivain qu'il n'avait
probablement pas lu, comme moi.
Miracle de la "langue des signes": il
vient de lire ses deux livres récemment rendus accessibles sur la
bibliothèque Eole des livres audio.
Je m'étais comporté vis-à-vis de David
comme un "agent du hasard". Mais le hasard n'existe pas.
Commençons par parler de
l'auteur.
Qui est-il?
Pirouette: "Si j'étais une femme, je me draguerais; si j'étais aveugle, je m'appellerais Brouillard; si j'étais écrivain, je m'appellerais Brouillon; mais comme je suis un peu les quatre, je m'appelle Brouillaud".
Où peut-on le découvrir?
https://www.youtube.com/channel/UCe_Beg7gSXE-HtqNUEFP_iA
Il a publié trois
ouvrages:
Géographie mon
amour (c'est son opus le plus récent)
https://l-illusion-du-handicap.com/2023/02/geographie-mon-amour-une-poetique-du-voyage.html
https://www.babelio.com/livres/Brouillaud-II-Aller-voir-ailleurs--Dans-les-pas-dun-voyageur-/794903
https://www.amazon.fr/Voyages-coq-l%C3%A2me-Par-del%C3%A0-visible/dp/2919513222
Mais il met aussi en scène et en vidéo ses
poèmes et ce que j'ose à son insu appeler des "carnets démentiels", en
mémoire de mon ami de plume, Yann Guirec, qui, comme lui, écrivait ses impressions sur
une tablette de poche et du papier journal quand il "dépeçait" dans une
chambre d'hôtel une "fille de joie" qui n'a jamais été "de petite vertu".
Jean-Pierre Brouillaud envoyait deci delà ses impressions à des amis qui les
ont conservées, ce qui nous vaut son dernier opus.
Moi, les voyages, ça ne
m'intéresse pas plus que ça, je les fais "Autour de ma chambre", comme
Xavier de Maistre, le frère aveugle du grand Joseph. Je l'ai dit au
conférencier. Pourtant nous nous sommes immédiatement plu et reconnus, je
crois. Moins que n'ont été séduit, dans un coup de foudre intellectuel et
spirituel immédiats, d'abord mon ami David, autre voyageur aveugle solitaire qui se
prend parfois à regretter de "faire du tourisme" et de ne pas avoir
l'audace de la "belle étoile" (mais poser une comparaison, c'est vouloir
résoudre une équation).
Mais le plus foudroyé est sans doute Renaud Obino,
directeur adjoint de l'institut pour déficients sensoriel et dysphasiques le
Phare à Illzach. C'est lui qui a convaincu Evelyne Lamon, d'inviter notre auteur. L'événement s'est
concrétisé près de trois ans après que Renaud Obino ait émis le souhait d'organiser une rencontre
autour de Jean-Pierre Brouillaud.
Le directeur adjoint du Phare et le collaborateur du Raph68, Elvis Cordier, ont fait chorus pour poser à l'auteur des
questions plus intelligentes les unes que les autres, dont la question
"incipit", que l'auteur refusait de se voir soumettre. Ne me demandez
pas ce qu'elle était, mais elle nous a immédiatement emmenés dans le voyage
intérieur.
Je n'étais pas
en reste. Jean-Pierre trouvait qu'on devait faire pièce au mot de "handicap"
pour lui substituer celui de "différent". Je ne suis pas contre. Mais j'ai
rappelé que l'ANPEA (association nationale des parents d'enfants aveugles)
avait également préconisé cela au plan national. Tout en éditant une revue
qui s'appelait "Comme les autres" sans voir l'oxymore.
Selon moi, le droit à la différence masque une
indifférence au droit des autres, mais ça n'engage que
moi.
Que nous a dit
Jean-Pierre? Qu'il ne s'est pas rendu compte qu'il était devenu aveugle,
jusqu'au jour où, après un premier passage en école spécialisée d'où on
l'exfiltre pour "réunion en baisodrome", il "atterrit" à l'Institution
nationale des jeunes aveugles (INJA). Là, ce sont les élèves qui se servent
eux-mêmes à la cantine. Partout ailleurs on le servait, et on masquait ainsi
son passage de l'autonomie à l'infirmité. Un gars veut lui servir sa soupe:
"Puisque tu es miraud, je te sers." Il aurait pu lui tendre son assiette, il
lui a tendu son poing pour le lui mettre dans sa gueule, car c'est une
révélation qu'il lui fait.
Jean-Pierre ne savait pas nommer sa cécité. Moi non plus. J'ai appris vers mes trois ans que j'étais aveugle, quand on refusa de faire droit à ma réponse affirmative à la question: "Tu vois?" J'en ressortis vexé, car j'avais l'impression de parfaitement comprendre à quoi se référaient ceux qui voulaient me montrer quelque chose, raison pour laquelle je répondais "oui" à la question "tu vois".
Jean-Pierre refuse cette révélation, il se cabre, il se braque,
il casse tout, et il fera une énième fugue pour aller dépasser ça avec les
hippys dans le vaste monde, au début en revendiquant une sorte de
marginalité, jusqu'au jour où il découvre...
qu'il est tout, que tout est lui, qu'il est
un dans la conscience universelle. Que celui qui refuse la différence refuse
l'autre en lui-même et donc se refuse à lui-même. Même si des fachos sont
venus un jour demander à cet homme aux cheveux longs issu de la beat
generation: "Qu'est-ce que tu penses d'Hitler?" "Rien, mais c'est
une honte pour l'humanité" et ils lui ont "niqué" son deuxième oeil!" Bravo,
les gars!
La révélation de
cette conscience unitive lui est arrivée une fois, et puis elle s'est
retirée, un peu comme le Dieu des transports peut devenir assez rapidement
le Dieu des sécheresses. Des va-et-vient qui sont aussi ceux du pénis ou de
la vulve. Ceux de l'avant et de l'après l'amour. L'amour n'est-il pas une
mystique?
"Lorsque vos
yeux regardent, vous ne regardez pas avec vos yeux, car vous ne faites pas
attention à vos yeux qui regardent, donc vous faites attention à votre
attention, et c'est avec votre attention que vous regardez." ON dirait du
Simone Weil.
Variante
personnelle d'hypermnésique: la mémoire n'est pas une qualité d'affection,
mais seulement une tension d'attention.
Pour Jean-Pierre, "la mémoire est un palais
déformant."Pour moi aussi.
Le reste, je
vous le laisse découvrir auprès de Jean-Pierre, sur ses blogs, sa chaîne YouTube,
dans ses livres et ses spectacles. Merci à lui pour sa
tant de générosité!
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