Je suis fasciné, en théorie -car je ne suis pas parvenu à assimiler celles de François Cheng- par l'exercice des "méditations sur la mort".
Pour ma part, je m'en tiens à ces deux ou trois réflexions:
"On n'est plus que bienveillance pour une âme que l'on a comprise."
Si l'on ne dit jamais de mal des morts, ce n'est pas seulement par bienséance, c'est parce que la mort produit un enfantement à l'envers ou un enfantement intérieur: on "comprend", on prend avec soi l'âme de ceux que nous avons perdus et que nous pleurons éperdument. Nous n'en retenons que le bien parce qu'alors que la vie se passe à ruminer les offenses reeçues plutôt qu'à penser à celles que nous avons commises, à les ruminer dans d'interminables psychanalyses qui ne sont pour beaucoup qu'un exercice de victimisation où nous n'existons que par ce qui nous a fait du mal, nous nous apercevons en perdant quelqu'un que ce mal n'était que l'écume de la relation et que, comme le dit à peu près saint Thomas d'Aquin, le mal n'existe pas ou n'existe que comme un manque-à-être. Seul existe le pardon, le "pardonne-leur,car ils ne savent pas ce qu'ils font" d'un Dieu expirant qui est essentiellement pardon, en sorte que le pardon devient une condition essentielle de la relation à autrui et à soi-même.
Freud dit étrangement que "le principe de plaisir" est comme un produit de la pulsion de mort, ou bien il la produit. Cela est malsonnant si l'on songe que le tropisme judéo-chrétien abolit le droit au plaisir. Pourtant c'est une réalité. Accepter la limite de "l'homme" qui "s'empêche" est entrer dans la vie telle qu'elle est, et on n'aime vraiment la vie qu'à condition de l'accepter dans la réalité de ses "lois ontologiques", lois que Jésus n'est pas venu abolir, mais accomplir, ne nous ayant affranchi, non pas de la loi morale, mais de la mathématique de cette loi: "Agis bien et tu seras récompensé."
Mon amie Nathalie a accompagné par la pensée l'agonie de ma tante et en a tiré ce texte très simple écrit en une nuit que je considère comme très beau, que j'ai mis en musique, mais je ne rencontre pas un franc succès avec les textes ou les musiques que j'aimerais populariser:
"ENFANT DE LUMIERE
N'aie pas peur
Le coucher du soleil t'alourdit les paupières,
Mais la nuit étoilée te conduira à un voyage paisible.
N'aie pas peur
Le glacier d'étendue cristalline recueillera tes idées.
Tu traverseras un couloir entouré par nos coeurs.
N'aie pas peur
Une petite étoile te recevra, t'entourera et te réchauffera.
Une douce lumière te prendra pour te caresser le visage
Et te dira, dans l'écho de nos voix :
"N'aie pas peur
Je suis là pour t'accueillir
Et pour t'offrir une vie éternelle
Après avoir parcouru avec toi un chemin sur terre
Où beaucoup d'êtres auront connu ta gentillesse".
Ce que j'aime le plus dans ce texte est l'allusion à "la petite étoile" qui "caressera ton visage", mais surtout à la certitude que "tu traverseras un couloir entouré par nos coeurs". Jamais je n'aurais trouvé ça, car dans la mort, je ne sais pas ce que l'on traverse. Mais d'autres le savent pour moi et j'apprends d'eux.
Une des plus belles expériences de ma vie d'organiste liturgique est d'accompagner des enterrements. La plupart du temps, je ne sais rien ou presque de la personne que l'on enterre. C'est à peine si quelquefois je connais son nom et son âge, car je participe rarement à l'entretien préalable qui réunit le prêtre et la famille, sauf quand celle-ci formule des demandes précises, qui sont le plus souvent purement musicales.
Mais j'ai remarqué que chacun a l'enterrement qui lui ressemble. Les pratiques varient d'un prêtre à l'autre et d'un organiste à l'autre. Personnellement, j'essaie de me pénétrer de ce que je ressens de la peine, extrême ou quasiment banale, que je sens monter dans l'église. et puis j'y adapte, soit mes improvisations, soit les pièces que je choisis presque toujours à la dernière minute.
Je crois n'avoir presque jamais fait de faute de goût à l'occasion d'un enterrement, car on ne peut pas se tromper d'atmosphère. L'atmosphère de la vie et de la peine des familles fait dire au prêtre ce qu'il faut et jouer à l'organiste comme il faut. Et fait chanter à la chorale comme il convient.
C'est une expérience très forte et très nourissante, presque rédimante, à propos de laquelle je me suis entendu répondre à un taxi musulman qui me disait qu'à me transporter dans toutes les églises, je lui apparaissais comme soldat de Dieu. "Ah non, je ne suis le soldat de rien du tout, mais j'accompagne la peine des familles en deuil avec ma foi qui n'est qu'un doute surmonté accroché à la dimension corporative de l'Eglise, rameau de l'humanité, corps du Christ.
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