https://www.philippebilger.com/blog/2015/05/entretien-avec-patrick-poivre-darvor.html
Cher Philippe Bilger,
Quelle mouche m'a piqué d'écouter votre entretien de 2015 avec Patrick Poivre d'Arvor juste après avoir lu, lors d'une énième nuit d'insomnie, votre dernier billet en date (du 20 mai 2023 près du jour où j'écris): "Suis-je un sale type?",
https://www.philippebilger.com/blog/2023/05/suis-je-un-sale-type-.html
Question qu'il m'arrive de me poser à moi-même et qui n'a d'intérêt que, non pas dans le jugement réflexif que la conscience porte sur elle-même, mais dans celui, où l'immanence est surplombée par la transcendance, et où cette conscience qui tantôt se flagelle et tantôt se justifie sera transpercée par le regard du juge objectif de cupidon-Dieu le Père qui crée en fléchant sa créature par une espérance démesurée de ce qu'elle devra devenir, et qui en même temps la connaît de l'autre côté du miroir où chacun d'entre nous s'appréhende comme une énigme?
Est-il un sale type, celui qui a mauvaise réputation au hasard de ce coup du sort: un cadavre exhumé du placard, ses secrets qui sortent au grand jour, et dont, comme pour Patrick Poivre d'Arvor, on dit que c'était un mufle, en oubliant qu'il a aussi subi des blessures, sans qu'on puisse démêler, non seulement ce qui l'a emporté de sa part blessée ou de sa part blessante, mais comment l'une a pu agir sur l'autre?
A l'écoute de la maïeutique par laquelle vous tentiez de révéler cette grande figure médiatique à elle-même (et il ne se laissa pas faire quand vous voulûtes aborder les intermittences de la raison maritale et du coeur libertin), il m'apparaît que ce qu'on a pu reprocher à ce boulimique d'activité dont la fille fut suicidaire par anorexie tient de l'immodestie assumée tout autant que du rapport ambigu qu'entretient notre société judéo-chrétienne avec la vertu d'humilité, non pas que Patrick Poivre d'Arvor ne semble infusé par un substrat religieux qui le tienne au corps (il parle dans son enfance de rêves de "gloire" et ne semble pas avoir été travaillé par des questions mystiques), mais l'appropriation des valeurs qui nous furent inoculées au berceau n'est pas optionnelle et le judéo-christianisme est au moins culturel dans la société post-moderne qui a rendu folles les idées qu'il lui a suggéré, où par exemple "il n'y a plus ni homme ni femme" devient: "nous serons tous "dégénérés"", oh pardon, "dégenrés"", mais où "la théorie du genre n'existe pas".
Victor Hugo rêvait d'être Chateaubriand ou rien comme Patrick Poivre d'Arvor rêva d'être Victor Hugo ou rien. Mais Victor Hugo devint Victor Hugo et PPDA devint PPDA. Victor Hugo eut parfaitement conscience d'être Victor Hugo et PPDA eut tout autant conscience de ne pas arriver à la cheville de Victor Hugo.
D'abord parce que la société n'était pas la même: dans le siècle qui avait deux ans quand naquit "le plus grand poète français, hélas!", le romantisme accompagna l'avènement de l'individu sous la monarchie de juillet où Louis-Philippe fut surnommé "le roi des bourgeois", et un individu pouvait être élevé à la chambre des pairs après avoir fait un chef-d'oeuvre. Napoléon n'était pas loin, qui avait institué le compagnonage et les meilleurs ouvriers de France. Les "enfants du siècle" comme Musset confessaient souffrir de l'amollissement de la valeur militaire et trouvaient que leur génération était inemployée. Victor Hugo fit son chef-d'oeuvre en érigeant une cathédrale littéraire, "Notre-Dame de Paris".
Dans le siècle de PPDA qui n'était pas davantage celui de Louis XIV que de Victor Hugo, on pouvait publier soixante livres quand on était devenu une figure médiatique et loin de moi qui n'en ai pas lu un seul de présumer de la valeur de ces livres qui sont peut-être remarquables ou à tout le moins acceptables ou passables.
Les carnets de Victor Hugo révèlent qu'il voyait une ou deux femmes par jour. PPDA dit qu'il aime la vie de Victor Hugo. Lui qui ne supporta pas d'être évincé du journal de 20h, lui enviait sans doute moins d'être le proscrit un peu surjoué de "Napoléon le petit" que ses "bonnes fortunes" et a peut-être un peu forcé les siennes sans se douter qu'à l'automne de sa vie, sous l'influence d'un puritanisme qui devait succéder à la libération sexuelle de ses vingt ans, une passade un peu appuyée sur une relation de pouvoir serait quasiment imputée à viol, #MeTo devait passer par là.
PPDA croyait que se perpétuerait le libertinage cher au fils du "héros au sourire si doux", dont notre icône médiatique admire qu'il ait été un brillant orateur politique, passé du légitimisme au socialisme, système lyrique dans lequel Victor Hugo trouva l'élan de son éloquence. Celle de PPDA s'appuyait sur un prompteur au bruit des téléscripteurs et ne se mesurait qu'à la capacité du présentateur impartial, érigé en magnat symbolique sans opinion, de lever les yeux du prompteur pour sortir de son texte.
Libertin, PPDA? Je me souviens d'un soir où il choqua ma famille, qui pourtant n'avait pas froid aux yeux: comme son journal se terminait par un sujet sur les métamorphoses de la drague, il conclut en nous souhaitant "bonne drague" en guise de bonsoir.
Je me souviens de cet autre jour où "TF1" fraîchement privatisée présentait en l'interviewant le rôle prépondérant que son journaliste de tête d'affiche devait y jouer, "enchaîné à cette chaîne". PPDA conclut l'interview en disant: "Etre le premier journaliste de la première chaîne française, ça me plaît." Ma fausse modestie en fut heurtée. Comment pouvait-il ne pas déguiser une si haute opinion de lui-même?
C'est que PPDA n'avait point de surmoi d'humilité, ce qui ne l'empêchait ni d'être timide, ni d'être pudique, s'"enfonçant dans la nuit" (dit-il un soir sur "France inter" interviewé par Pascale Clark), en personnage énigmatique qui ne voulait pas dire où il allait ni qui il allait éventuellement rejoindre, pas plus qu'il ne consentait, lui qui pourtant voulait bien parler de sa mère et de sa fille, à dresser sa "physiologie du mariage" au risque d'exposer les humiliations de son épouse légitime, à supposer qu'elle vécût ainsi ses infidélités notoires et non assumées.
L'humilité n'étouffe pas PPDA, mais la timidité peut-être, voire la pudeur, et tout ceci n'est incompatible que pour qui n'a pas mesuré les intermittences du coeur et les inconséquences des animaux bien peu raisonnables que nous sommes.
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