L'émergence, pendant le confinement, de la figure de #FrançoisCassingéna-Trévedy m'a interpellé, posé problème. Figure de proue et éclaireur de personnes avec lesquelles je travaille au quotidien, j'aimais son "chant", sa façon d'écrire, mais je m'en méfiais, il écrivait trop bien. Je le lui ai dit, écrit, il risquait d'être ivre de son chant. Et pourquoi émergeait-il pendant le confinement?
Aujourd'hui, j'entends pour la première fois le son de sa voix. Le côté monastique de cette voix m'étonne, je m'attendais davantage à une voix de normalien. Mais il y a quelque chose dans cette voix qui me met mal à l'aise, je ne m'y étendrai pas. Or une voix est très parlante.
Il "aime l'Auvergne autant qu'[il] aime Dieu". Il m'est arrivé de dire que quand Jésus demande de Le préférer à la personne que l'on aime, IL demande quelque chose de surhumain. Alors pourquoi pas une terre sombre, pierreuse, dont la dureté basaltique dit quelque chose du mystère de l'amour? Il aime l'Auvergne autant que Dieu, car c'est son paysage intérieur. Mais c'est son prochain qu'il faut aimer comme soi-même et non soi-même autant que Dieu.
L'Eglise n'a pas seulement à régler un problème de gouvernance, avertit-il, la question qui la traverse est une question de foi. Sur ce point je suis bien d'accord avec lui, mais sous un double aspect:
-"Quand le Fils de l'homme viendra, trouvera-t-il encore la foi sur la terre?" Ma foi est vacillante, mais je parie sur ma participation liturgique, ma participation rituelle pour la maintenir, car le rite et la liturgie sont des actions qui m'inscrivent dans une familiarité et une famille, ce que beaucoup appellent une communauté, ce que je crois être le corps du Christ et le Christ m'échappe, mais pas son Corps, pas cette famille, pas cette communauté, pas cette communion des saints. Lui-même tient compte des rythmes et des rites, qui chante son office en grégorien.
-Nous avons à formuler du nouveau, mais ce nouveau n'a pas à plaire au monde.
"Beaucoup de choses énervent" le frère François. Nos énervements ne sont pas les mêmes.
Il se dit inquiet de la nouvelle génération "jeunes cathos" "de la sociologie de l'Ouest parisien qui s'exporte partout en vacancess" et son "raidissement" ou le retour à des dévotions [d'un autre temps.]" De quelles peurs ces dévotions sont-elles le signe? Déjà que la peur ne se raisonne pas, à quoi bon la condamner?
"Mais bon sang, soyons immenses", l'exhorte-t-il. La dernière fois qu'on m'a parlé de "grandeur de l'homme", c'était le Père Martelet, dans un train qui nous ramenait de Laferté-sous-Jouarre. Nous voyagions avec une peintre de ses amis. Nous lui disions elle et moi: "La grandeur de l'homme, mazette! Jusqu'à ce qu'elle déchante, car la nature humaine est bien toujours la même, et que peut l'homme sans Dieu?" Les dévotions réagissent à la peur du malin. Il est trop facile de dire qu'il y a plus de peur que de mal. De cela, frère François en convient : "Il y a toujours eu la même quantité de mal." Cela devrait nous inciter à être modestes.
Ces jeunes chantent "le répertoire" indigent de l'Emmanuel, qui "[cache] Jésus dans un peti morceau de pain, c'est imbuvable." Mais non, c'est du pain!!! Le frère François préfère un Christ apophatique: "Jésus est grand et je ne sais même pas qui il est." Moi aussi, quand les paroles du Christ me scandalisent, je crois avec l'Eglise au Christ apophatique dont je ne sais pas qui il est, je crois au Christ qui me brise ("car c'est le bon Dieu qui nous fait, et c'est le bon Dieu qui nous brise", chantait Raphaël), et je chante avec Jérémie et avec le psalmiste: "Le sacrifice qui plaît au Seigneur, c'est un pot brisé." Je crois en étant sur la brèche et le tour du potier. Mais pourquoi le Christ ne serait-Il pas entre les "deux infinis" de Pascal? Pourquoi notre moine se montre-t-il, contre cette jeunesse, péremptoire comme l'homme d'une génération? Pourquoi ne les aime-t-il pas comme un grand-père pourrait aimer la génération de ses petits-enfants?
Il dénonce "les démolitions, la violence dans les manifestations", "ces enfants qui tuent d'autres enfants, ces élèves qui tuent leurs professeurs" en prédisant "des violences" aussi pernicieuses qu'en Ukraine. Il fallait s'en inquiéter avant que cela ne devienne des phénomènes de masse. Je me permets de le dire, car je m'en suis inquiété, dans l'absence de notoriété de ma parole publique: je me suis inquiété entre autres de la dégénérescence de l'hôpital public dès 1995. Et que ne s'interroge-t-il sur la violence d'un monde politique qui génère ce sentiment de perdition sociale? Il n'y a pas que la violence physique ou la violence verbale, il y a la violence psychologique et la violence symbolique, on connaît bien cette dernière depuis Pierre Bourdieu.
"Jadis, le monde était plus grand que nous et nous étions bien à l'intérieur", reconnaît-il." Aujourd'hui, nous savons que la planète est entre nos mains et qu'elle dépend de nous." Mais ne s'agit-il pas d'une erreur de perspective? Une inversion écologiste ne nous suggère-t-elle pas une conversion écologique qui nous fait mettre la terre à la place du ciel que le monde nous a volé? Ne faut-il pas retrouver "le monde plus grand que nous" et avoir l'ambition modeste de sauvegarder la Création?
"Le seul Dieu, c'est la vie, il n'y en a pas d'autre, ce Dieu-là est souverain et nous pouvons même mourir pour Lui, la vie exige que nous mourions pour elle: "Si le grain de blé ne meurt, il reste seul. Mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruits."" La formule est belle dans son paradoxe. La vie doit être restaurée comme inclusive ou non exclusive. N'est pas la vie cet énoncé constatif du malheur des vivants: "Celui qui a recevra encore, et celui qui n'a rien se fera ôter même ce qu'il a."
"Le décor du christianisme" est tombé, son folklore n'est plus compris, mais "son coeur commence-t-il à peine de battre?" Illusion d'une génération, utopie d'un "monde nouveau" qui n'en finit jamais de commencer. Le coeur battant du christianisme est question de foi, mais elle est aussi question rituelle. Quel autre folklore inventer, découvrir, trouver? Quelles "outres neuves" pour le "vin nouveau" des Evangiles en dialogue avec nos âmes?
"Ce qu'il nous faut, c'est des poètes." Ce qu'il nous faut, c'est moi?
"C'est vivre en altitude que vivre en interrogation." "En philosophie, les questions sont plus essentielles que les réponses." (Karl Jaspers)
"Le Je suis" divin est très dépendant du "tu es". C'est déjà ce que disait Martin Buber dans "le Je et le tu". Et pourtant nous ne pouvons nous affranchir du "monde du cela" qui fait partie du jeu des trois personnes. Il y a aussi une "pensée magique" d'une conscience au centre de laquelle il y aurait un "je" qui ne ferait que me tutoyer. La relation à Dieu si c'est un "nom provisoire", ne peut faire l'impasse sur une certaine neutralité ontologique.
Le "chant nouveau" du frère François se veut ouvert sur l'ouvert, mais il y a en lui une fermeture qui ne me rassure pas. Le monde a surtout besoin qu'on lui rende le ciel, le ciel ne veut pas être inhumé. La matrice est faite pour rester cachée à l'intérieur.
https://www.youtube.com/watch?v=ghTYIL99cLA
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