1. La guerre et les crises participent à la baraka.
En 2002, j'écrivais dans mon "Journal intimement politique" (texte que j'envisageais de retravailler, mais à quoi bon? Quel intérêt aurait-il maintenant, sinon documentaire?) que Jacques Chirac avait beau s'y être repris à trois fois avant d'arriver au pouvoir et de n'en rien faire, le fait de se retrouver, grâce au piège mitterrandien, face à Le Pen qui servait d'épouvantail national, au second tour de l'élection présidentielle, reléguant un Lionel Jospin qui n'avait pas démérité, tenait de la baraka d'un arriviste, finalement arrivé, mais en vain.
Emmanuel Macron a le même genre de baraka pour arriver plus vite en le désirant moins, en ayant une vision sans être visionnaire, bénéficiant de pis qu'une crise, une guerre et en se tenant à équidistance du bellicisme des "casques à pointe" et d'un pacifisme de la diplomatie à tous prix portée par un Mélenchon dont les positions sont les plus équilibrées depuis le début de ce qui nous arrive, bien que la vie aimant jouer de paradoxes, l'équilibre politique soit porté par le candidat le plus caractériel, pour qui je crois que je ne pourrai plus résister à voter, ma religion est presque faite pour cette élection, mais je suis un très mauvais baromètre de la victoire: tous les candidats que j'ai votés ont systématiquement perdu à plates coutures.
Si Macron l'emporte, ce sera, au-delà de la chance et des paradoxes dont aime à jouer la vie, l'effet d'une sorte d'injustice transcendante, car Macron aura concentré une haine sans pareil, qui aura quelquefois fait craindre pour sa vie, au point que j'ai moi-même dû intituler un billet de blog, toute honte bue, "Macron ne doit pas être décapité" s'il doit être destitué; il aura énucléé ses gens et traité le sentiment de déclassement avec un mépris de classe inédit sous la Vème République qui était celle de l'égalité des chances dont il feignait de se réclamer tout en étant lui-même l'archétype de l'héritier bourdieusien; il aura mis sous cloches covidienne ses Gilets jaunes rentrés à la niche; et il va repasser au prix d'une crise extérieure, où il donne l'impression de "faire le job" et d'être à la hauteur en faisant des moulinets, qui n'ont strictement aucun impact pour ramener les belligérants à la table de négociation, Poutine ayant fait une proposition (la neutralisation de l'Ukraine) qu'il ne prend pas la peine de discuter. Mais il a l'habileté de se placer dans le camp des modérés, en mettant au premier plan rhétorique l'humanitaire au détriment de la "guerre économique" de son ministre Bruno Le Maire ou de "l'alliance nucléaire" de son autre ministre Jean-Yves Le Drian, qui mettent pourtant en musique la politique présidentielle.
Macron a le génie de donner l'illusion de la pondération malgré son exaltation.
2.Zemmour pâtit de son tropisme nistorien: à force d'expliquer la politique par l'histoire, il ne sait plus l'incarner et paraît dépourvu quand le présent lui impose de trouver des solutions qui pourraient l'obliger à se déjuger momentanément. L'avertissement lui a souvent été lancé, il ne l'a pas écouté, il risque d'y manger son chapeau et sous certains aspects, c'est dommage, car il n'est pas le plus incompétent.
3. Le seuil d'incompétence a été (à nouveau!) atteint par Marine Le Pen qui se contorsionne pour faire oublier qu'elle est poutiniste.
Quand j'ai commencé de regarder son émission "Face à BFM" et que je l'ai entendue bégayer et paraître se pâmer de respect devant Macron au travail, j'ai bien cru qu'elle nous faisait, dès ses cinq cents signatures obtenues, une resucée du grand débat raté sans même qu'elle ait des contradicteurs face à elle, car les journalistes ne lui ont pas glissé beaucoup de peaux de banane: il leur suffisait de la faire tomber mollement de sa chaise sur l'air de Madame Michu ("le bon sens près de chez vous") et de: "Maintenant que j'ai du coeur, je suis un peu seulette. Tout le monde me fuit, cui cui, cui cui."
4. Elle n'a même pas pensé à exciper que la guerre en Ukraine lui donnait raison d'avoir voulu sortir de l'Union européenne si celle-ci se mettait au service de l'escalade après qu'on nous l'eut présentée comme ayant été pensée pour éviter la guerre.
L'Union européenne préfère en effet redonner ses chances à sa communauté de défense sur les ruines de la guerre en Ukraine que jouer les arbitres de la désescalade en pratiquant une politique de sanctions limitées aux oligarques et au système financier qu'elle étend aux mondes sportif et culturel russe, sans parler de l'interdiction de Sputnik ou de Russia today, qui sont certainement des agents de propagande de la Russie autorisés depuis quelques années, mais alors que ne s'est-on demandé s'il était normal qu'une chaîne informant sous pavillon étranger puisse le faire, plutôt que de s'insurger depuis l'élection de Trump que l'argent russe infiltrait les campagnes occidentales. Comme si l'argent américain qui n'a pas d'odeur ne circulait pas au milieu de notre vassalité culturelle, indifférente à son addiction aux séries qui véhiculent des valeurs émollientes et qui nous hypnotisent, nous qui ne sommes même plus capables, non pas d'offrir un asile diplomatique à Julian Assange ou Edward Snowden (ce serait légitimer le hacking), mais de ne pas souffrir que notre hégémon espionne tous ses alliés jusqu'au plus haut niveau sans que cela entraîne ne serait-ce qu'une rupture provisoire et symbolique de nos relations diplomatiques pendant quelques semaines.
6. Cela passe comme une lettre à la poste, car l'Occident aime la paix des Lumières . En Occident, il suffit de dire qu'on est pacifique et d'être ému au spectacle de la guerre pour être au diapason d'une sensiblerie qui nie à la face des peuples que la géopolitique est un rapport de forces. Pour être un artisan de paix à l'occidentale, il faut montrer une émotion de paix.
Et il ne s'agit plus de discuter en démocratie, surtout avec les psychopathes inaccessibles à l'émotion. La démocratie se réduit comme peau de chagrin. Mêlez-vous d'interpréter le réel et vous êtes complotiste. On ne peut même pas discuter la politique sanitaire, qu'en serait-il d'une guerre? La guerre est une affaire trop sérieuse pour qu'on la confie aux soldats, surtout si la conscription n'est plus de mise. Mais à la table des bourgeois, on entend quelquefois le grand-père saillir: "Ce qu'il nous faut, c'est une bonne guerre", mais ça glisse entre la poire et le fromage, Macron n'est-il pas le président des riches?
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