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vendredi 8 octobre 2021

Le rapport Sauvé, la révélation des abus sexuels sur mineurs, le secret de la confession, où sont les hommes?

Billet posté en commentaire sur le blog de René Poujol au pied d'un billet traitant de la question. 


Cher René,

 

Il est symptomatique que le premier dérapage épiscopal ait porté sur le secret de la confession. Quand je parle de dérapage, je prends date, estimant qu'en plein emballement d'effroi où chacun y va de son sac de cendres et verse des larmes de crocodile au lieu d'affronter le problème structurel et culturel des abus sexuels de façon globale, virile et théologique,  mais cela nécessiterait de vastes développements que je  ne ferai pas ici, tout n'a  pas encore décanté en moi, on cherche le dérapage mitré et on s'en voudrait de ne pas tenir une énormité comme le célèbre: "La plupart des faits sont prescrits grâce à Dieu" maladroitement prononcés par le cal Barbarin,  propos qui ont valu le tournage du film éponyme de François Ozon et l'éviction du collège épiscopal de ce prince de l'Eglise.

 

La focalisation du débat sur le secret de la confession est symptomatique à plus d'un titre, d'abord parce que le fond anticlérical de notre gouvernement civil et de la classe politique qui le forme a fait que ce n'est pas d'hier que l'Etat est venu chercher l'Eglise là-dessus. Je me souviens de Ségolène Royal interpellant mgr Pâtenôtre (le bien nommé) pour qu'on le lève, lequel ne voulut pas se coucher et répondit comme il put en essayant de rester patelin face à l'hostilité de la ministre de l'enseignement scolaire qui avait organisé la distribution des pilules avortives par les infirmières scolaires, et d'accomplir les promesses conciliantes et superstitieusement inquiètes contenues dans son nom de Patenotre, mais cette guerre clochemerlesque entre l'Etat et l'Eglise qui ne cessent de se chercher depuis plus de 200 ans est un symptôme périphérique.

 

Il y a plus profond: c'est que l'Etat traque les religions pour savoir si elles considèrent que la loi civile est supérieure à  la loi religieuse. Elles voudraient leur faire prononcer que oui et ceci est impossible en rigueur de foi, pour une raison que Jean Madiran a définitivement tranchée selon moi: il y a des lois non écrites supérieures à la lettre de la loi et prétendre le contraire est prendre le parti de Créon contre Antigone. Comme tous les croyants sincères s'y refusent et affirment par là la supériorité que revêt à leurs yeux la religion qui les relie au ciel sur le monde dans lequel ils font société, on les accuse de séparatisme. A cela s'ajoute un sentiment d'appartenance affectif qui fait que, personnellement et par exemple, je me sens plus catholique que Français et non seulement je comprends la position d'un musulman qui préfère la communauté des croyants à la nation française, mais je ne vois pas pourquoi on le lui reproche. J'irai plus loin, je ne vois pas en quoi l'oumma diffère fondamentalement, au sentiment des musulmans, de la communauté des croyants, c'est-à-dire de l'Eglise, au sentiment d'un catholique.

 

C'est pour ne pas a voir soutenu le point de vue d'Antigone et ne pas avoir affirmé courageusement qu'en tout état de cause, l'appartenance à l'Eglise l'emportait, au moins  pour un catholique affectif ou normalement constitué, sur l'appartenance à la République qui n'est  qu'une appartenance et une alliance de seconde zone, que mgr de Moulins Beaufort se voit aujourd'hui chercher des poux sur la tête à propos du secret de la confession par ceux du camp de Gabriel Attal qui pensent que "rien n'est supérieur à la République", secret qui prête à fausse polémique puisque la République a déjà établi une exception (bienvenue) au secret professionnel pour des abus commis sur des mineurs ou des personnes vulnérables, qu'elle fait obligation de dénoncer. Je sais bien qu'énoncer cela fait courir le risque d'horizontaliser toujours un peu plus l'Eglise (nos élites ne seront satisfaites que le jour où l'Eglise sera devenue une démocratie élitaire aux idées larges et à l'esprit ouvert sur les grandes abstractions imperméables aux personnes), avec des sacrements équivalant à l'exercice d'une profession garantie par le secret professionnel, limité par le risque et les délits pénaux, mais le fait est, le problème est réglé, l'obligation de dénoncer est devenue la norme, ce qui d'ailleurs est problématique.

    Mais à l'intérieur même de l'Eglise, il existait une pratique, merveilleusement et pittoresquement relatée par Maupassant dans "Une vie", d'après laquelle le prêtre pouvait offrir une absolution suspensive ou sous condition (Maupassant allait jusqu'à évoquer des "demi pardons" donnés par le prêtre "antiphysique" qui avait succédé à l'abbé Picot dans le village de Jeanne et de Julien). Autrement dit, le canon de l'Eglise pourrait tout à fait intégrer (ou l'Eglise pourrait recommander comme une bonne pratique) que le prêtre à qui un pénitent aurait avoué un abus sexuel sur mineur accorde une absolution si et seulement si le pénitent s'engage à se dénoncer, puis revienne le voir, faute de quoi le prêtre ne serait pas tenu par le secret de la confession et pourrait dénoncer lui-même la faute qui lui a été avouée.

 

Que le débat fasse diversion sur ce secret  est symptomatique en quatrième lieu parce qu'on a aujourd'hui tellement peur de la promiscuité des enfants et des adultes qu'il est devenu impossible à un enfant de confier porte fermée un secret à un adulte. Je l'ai souvent fait enfant et m'en suis trouvé consolé. Je ne sais pas à combien de maltraitances, de ravages et d'abus cette impossibilité pour un enfant de confier un secret à un adultes expose les enfants d'aujourd'hui.  C'est un peu comme pour la Covid: un jour on comptera les morts colatéraux de cette pandémie et des décisions  qui ont fait qu'en fait de protéger les personnes vulnérables, on les a livré à elles-mêmes, on les a abandonnées, on les a laissé seules, comme on a laissé se développer les maladies aux soins déprogrammés. 

 

Mais j'en viens à ce qui constitue pour moi le fond de l'affaire et au cinquième symptôme que la focalisation du débat sur ce secret nous expose et celuicelui-ci va très loin, vous l'exposez vous-même dans votre billet. Notre credo croit en "la rémission des péchés",  en "la résurrection de la chair", donc en la reconstruction du pécheur, en une seule victime qui a donné sa vie pour nous, "tous coupables", victime offerte qui a pris sur elle la responsabilité de nos actes pour sauvé nos âmes, qui devra nous juger et qui ne pourra pas le faire puisqu'elle répond de tout et tout est pardonné, ce qui est une manière de traduire le "Tout est accompli" qui est une des dernières paroles  du Christ en croix.

    Une institution, l'Eglise, qui repose sur un tel transfert de responsabilité, est-elle armée pour reconnaître sa responsabilité dans des abus structurels et culturels autrement que dans un emballement d'effroi qui retombera, passé le déballage des exactions,  une fois venu le déballage émotionnel qui suit tout emballement médiatique?

    Et à l'inverse, que dire de la tendance de notre société à ne voir partout que des victimes? Tous victimes, haro sur les coupables! Chasse à l'homme! Ce sont des monstres, qu'on les sorte de l'humanité! Ne prions pas pour ceux qui nous persécutent! Punissons-les avec la dernière sévérité en y mettant l'ardeur des primitifs. "Tous victimes", jamais coupables; tous blessés, jamais blessants; tous joués, jamais acteurs; tous mineurs, jamais adultes, majeurs et vaccinés, résilients; tous discriminés.  Où sont les hommes?

    

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