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samedi 9 octobre 2021

Par amour de la liberté

                Par amour de la liberté


N'est-on jamais aussi libre qu'on le voudrait? 


La chère hôtesse de mes villégiatures tourangelles me disait à l'instant: "Il ne faut pas toujours être contre, il faut être avec." L'extrême droite d'il y a trente ans se mettait constamment en porte-à-faux et se posait en contre-société qui voulait changer la société. On était tellement contre elle qu'elle était tout le temps contre le monde entier. C'est un changement peu négligeable que ce "contre" se soittransformé en "avec". Il a fallu pour cela que quelques commanditaires forcent le pluralisme et que les plus radicaux se civilisent. Zemmour n'a pas une gueule d'ange, mais de petit garçon inoffensif. La radicalisation française adopte la gentillesse française dont parlait Claude Guéant, mettant au ban la radicalité islamiste, en guerre ouverte avec ses moeurs pacifiques. La droite n'est plus le pays "où l'on n'arrive jamais" comme l'écrivait Yves-Marie Adeline, il y a un espoir d'y arriver si elle continue de se montrer aussi aimable et civilisée. Le discours d'Alain Finkielkraut était sur une double défensive de la France et d'Israël. Le discours de Zemmour garde le silence sur Israël et défend la France avec le sourire. N'était #Meto et le néo-puritanisme que charrie ce refus du baiser volé, des avances et des regards adipeux, on pourrait croire au retour de la galanterie française.

Quant à la liberté, j'ai une très belle histoire sur elle. Je fus pendant vingt-cinq ans l'ami de l'ancien économe du séminaire saint-Sulpice sis au six, rue du regard où j'ai vécu pour vivre le comble d'un aveugle, habiter rue du regard. Cet homme était assez guindé et je ne sais pourquoi, a lâché toute bride à son verbe durant les quinze dernières années de sa vie, si bien que sa table était un lieu où se déchaînait la liberté à propos de tout. Il me faisait souvent l'honneur de m'y inviter en face de lui parce que nous avions tous les deux le goût de renverser les autorités morales qu'on gobait sans discernement. Nous eûmes ainsi la joie mauvaise de chahuter soeur Emmanuelle et quand ce fut fait, nous nous sommes dits: "Nous avons fait un excellent dîner" en nous frottant les mains, au grand dam de mon frère, qui était de la partie, mais n'avait pas la même tournure d'esprit anarco-catholico-conservatrice.

La semaine avant sa mort, je lui ai téléphoné et je lui ai dit: "Vous me faites irrésistiblement penser à Michael Lonsdale lançant, dans le film "Des vivants et des dieux" où il interprète le frère Luc, médecin, à qui il est indifférent de partir ou de rester et qui déclare vouloir se plier à la décision de la majorité des moines: "Laissez passer l'homme libre." Et le Père dugué de me répondre: "C'est incroyable, ce que vous me dites, car à l'instant même où vous me le dites, je vois passer sous mes fenêtres (il a fini ses jours chez les petites soeurs des pauvres avenue de Breteuil) Michael Lonsdale en personne, qui va prendre son déjeuner au restaurant le Vauban."

Au lendemain du 21 avril 2002, le Père Dugué me raconta que beaucoup de gens se confessaient d'avoir voté Le Pen.

"Et que leur répondez-vous?

-Que ce n'est pas forcément un péché, cela dépend. Si vous avez voté pour lui par xénophobie, cela va contre l'Evangile, mais si vous l'avez fait à la suite d'une analyse politique, ce n'est pas un péché. J'étais dans le second cas, lui-même était gaulliste.


Justice au Singulier: On n'est jamais aussi libre qu'on le voudrait ! (philippebilger.com)

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