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mercredi 22 juillet 2020

Les deux versants de Ségolène Royal

Réaction en lien avec l'intéressant entretien qu'elle a accordé à Philippe Bilger, questionneur incomparable.

https://www.philippebilger.com/blog/2020/07/entretien-avec-s%C3%A9gol%C3%A8ne-royal.html#comments

Quelque chose m'a toujours interpelllé chez Ségolène Royal, c'est la synthèse hybride que sa personnalité constitue. D'un côté, elle "observe la France" et elle la ressent; et de l'autre, tout son discours est un concentré du bloubiboulga idéologique qui s'étire du féminisme, dans son cas victimaire, à l'écologie, et qui ne peut pas bâtir un modèle de société, tant c'est un anti-modèle, un modèle sans incarnation.

Et à peine ai-je écrit cela que je dois ajouter: "Pourtant elle avait raison de proposer une nation matricielle" intégratrice et acceptant d'être métissée, où les adoptants et les adoptés s'accepteraient mutuellement et changeraient ensemble la matrice. Comme elle le dit dès le début de l'entretien, c'est avant tout une "mère de famille" soucieuse de "garder les enfants" comme s'en est moqué Laurent Fabius, qui avait cruellement raison puisqu'elle se définit presque comme ça.

D'un côté elle parle vrai et de l'autre elle parle faux. Ce "parler faux" est même la raison pour laquelle elle a perdu l'élection présidentielle de 2007selon Carla Bruni que je suis dans son analyse.

Son parler faux vient de ce qu'elle a fait une "révolution sémantique" où ses trouvailles ont été moins foudroyantes que bourdoyantes, comme cette "bravitude" sur laquelle elle revient, qu'elle aurait dénichée au tréfond de l'ancien Français et qu'elle continue de défendre, alors que la poésie de ce faux néologisme a fait rire tout le monde et échappé à tous ses auditeurs, elle exceptée qui l'a proféré, et il la fait encore frémir comme une saillie de Christiane Taubira.

Et d'un autre côté sa révolution sémantique est de la plus parfaite "novlangue": le "reste-à-vivre" pour les fins de mois, "la vie chère" pour le pouvoir d'achat et la "démocratie participative" pour le mélange indigeste entre la démocratie représentative et la démocratie directe, pour ne prendre que les trois exemples qui me viennent, mais tout est à l'avenant.

D'un côté elle a trouvé des concepts qui ont fait date comme "l'ordre juste" qui mettait le liant de la fermeté dans sa société matricielle, et de l'autre ces concepts portaient déjà la marque de l'adjectif contredisant le nom commun qu'il qualifiait, et surtout appartenaient à une langue tellement étrange qu'ils paraissaient de la bouillie pour les chats.

En 2007, elle parlait interminablement, autre point commun qu'elle partage avec Emmanuel Macron, et je me souviens de m'être souvent dit: "Comme elle est soulante, comme elle est assommante, soporifique." Et pourtant j'aimais l'entendre.

J'ai voté pour elle aux deux tours en 2007et je crois ne l'avoir jamais regretté. Il est possible que la France serait devenue une puissance écologique avant l'heure, moins probable que le problème de la démographie africaine ait été réglé comme elle l'affirme, mais Ségolène aurait été plus climatiquement correcte et moins clivante que Nicolas Sarkozy. L'atmosphère de la société française aurait été plus respirable. Et pourtant Nicolas Sarkozy était plus compétent.

D'un côté elle dit que "dans la politique, il n'y a rien à prendre et tout à donner", ce qui est réellement beau et certainement sincère. Et de l'autre, elle ne peut s'empêcher d'être ambitieuse et candidate à tout.

Si l'occasion se représentait en 2022? D'un côté elle a raison de dire que d'avoir été finaliste de l'élection présidentielle vous installe de manière structurelle dans la vie politique et de l'autre que les Français n'attendent plus rien de la politique, et n'attendent plus personne, constat désespéré qu'elle fait comme en passant et qui est alarmant.

Si l'occasion se représentait, d'un côté elle se voudrait fédérative et de l'autre, elle a son âge et la classe politique s'est dotée dans tous les partis de jeunes loups dont les dents rayent le parquet d'une manière différente de celles de Ségolène et de François Hollande, ce couple dont les affaires privées avaient accaparé le parti socialiste, comme s'en plaignait inélégamment le flamboyant Arnaud Montebourg.

François Bousquet n'avait pas tort d'analyser en 2007 que Ségolène Royal et que François Hollande, c'étaient un peu les élèves du fond de la classe qui pouvaient être brillants sans être bons, mais qui nous marquaient et qui nous arrêtaient, car ils nous ressemblaient. Ils ressemblaient à la médiocrité de leurs compatriotes que nous étions. Et pourtant elle se prend pour l'une de ces "femmes charismatiques qui changent le cours de l'histoire", comme Barak Obama qu'elle assure (pas dans cet entretien) avoir inspiré avec sa plateforme "Désir d'avenir", autre invention linguistique gloubiboulguesque.

D'un côté Ségolène dénonce les "élites administratives" et de l'autre, cette façon de s'accrocher et de s'envisager candidate à vie en étant fière de son bilan sans avoir fait grand-chose est comme un comble d'arrogance.

Et pourtant si elle se représentait, je ne serais pas mécontent et je pourrais voter pour elle. Car Ségolène est un moindre mal qui pourrait faire du bien.

Entretien avec Ségolène Royal philippebilger.com 6 h

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