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mercredi 22 juillet 2020

François Sureau, ses fulgurances et mes acquiescements

Entretien de Philippe Bilger avec François Sureau librement retranscrit et commenté.

https://www.philippebilger.com/blog/2020/07/entretien-avec-fran%C3%A7ois-sureau.html#comments

« L’esprit de condamnation a remplacé l’esprit de controverse ». « Gide nous a fait grand tort quand il a dit qu’on ne faisait pas de bonne littérature avec de bons sentiments. La littérature naît d’un désir du bien empétré dans ses contradictions. » Gide est un immoraliste qui a essayé de remonter sa pente.

PB : « On parle de vous comme d’un homme d’engagement, je vous perçois davantage comme un homme totalement désengagé. »

FS : « Dans une vocation littéraire, on ne sait jamais si on a réussi ou raté. »

« Gracq quand il compare Junger à Sartre, distingue les auteurs de l’acceptation des auteurs de la révolte. Ma pente naturelle est l’acceptation. Mon acceptation cesse quand une conception intime d’une réalité que j’aime me paraît menacer cette réalité, comme aujourd’hui celle de mon pays. »

« Ce qu’il y a d’absolutisme religieux en moi considère comme des idoles toutes les institutions auxquelles la plupart des hommes s’intéressent : la justice, la nation. » « Je suis un aussi mauvais chrétien qu’on peut l’être. N’importe quel chrétien devrait avoir honte de se voir affecté ce qualificatif. » (Alan Blum)D’accord avec ces deux assertions, raison pour laquelle je me contente de dire que j’essaie d’être chrétien et je m’interdis de juger du christianisme des autres.

« La notion d’égalité métaphysique des conditions est une notion qui m’est extrêmement proche et présente. Je ne considère pas du tout normal d’être né en haut du panier et que des gens qui valaient infiniment mieux que moi se retrouvent en bas. » Sans doute, même si la mégalomanie propre à tous les gens qui réfléchissent les pousse à se complaire, voir à se consoler dans ce qui passe à leurs yeux pour leur intelligence, je me mets dans ce panier-là même si je n’en suis pas fier.

« Il ne faut pas étendre l’égalité des talents intellectuels dans des sujets où elle n’a rien à voir. » Sans doute. C’est ce qui me fait répéter à qui veut l’entendre que la démocratie directe à laquelle je suis favorable depuis l’enfance, devrait être tempérée par un indice de discernement et par un indice de concernement, décrété par le citoyen lui-même, dont je suis sûr qu’il aurait la plupart du temps la modestie d’évaluer correctement en quoi un problème le concerne et en quoi il se sent la capacité d’en juger.

« (Saint] Ignace qui est quand même l’artisan absolu de la contre-réforme était plus proche des réformateurs que n’importe quel théologien de son temps. »Remarque profonde, même si le libre examen diffère du discernement en ce qu’il n’est pas une prémisse à l’individualisme, mais se réfère à la volonté de Dieu.

Thomas d’Aquin : « La conscience étant la trace de Dieu, si la conscience de quelqu’un lui dictait de ne pas croire en Dieu parce que Dieu n’existe pas, il vaudrait mieux qu’il soit athée plutôt qu’il ne se déclare croyant sans l’être. » Cet justification de l’athéisme par le « docteur angélique » est plus qu’un beau paradoxe. C'est un puissant aveu de liberté chrétienne.

« Doit-on être prêt à payer le prix d’une diminution de la liberté pour un accroissement de sécurité dans des sociétés qui ne sont plus prêtes à s’améliorer par un accroissement de liberté ? » Non bien sûr. Mais nos sociétés devraient avoir le courage de regarder ce qui leur arrive au lieu de s’abandonner, par paresse intellectuelle, à une information issue d’une presse libre et qui en a gardé le ton souriant et bienveillant, sans que les nouvelles qu'elle distille au compte-gouttes et en en retenant beaucoup aient jamais autant ressemblé à de la propagande.

« Je ne voudrais pas que le discours de haine ne soit jamais en mesure de s’exprimer en étant réprimé a priori, quitte à ce que les arguments du bien acquièrent la même force que les arguments du mal auquel le bien ne saurait plus répondre. » La haine n’est pas une dissidence. Mais elle a une fonction cathartique. C’est pourquoi les partisans de la liberté d’expression confondent aujourd’hui la haine avec la dissidence.

« Le représentant de l’Etat est rarement incontestable. »

« La puissance n’a aucun sens dans un métier de service à composante anarchisante comme celui d’avocat. » « Je ne suis pas un vrai avocat. Je ne peux défendre que des innocents. Je ne peux m’investir complètement que dans des causes justes.»

« Ce n’est pas mon amour des libertés publiques qui m’a fait prendre des positions compréhensives à l’égard des Gilets jaunes. La répression des émeutes me paraissait moins choquante que la restriction de la liberté de manifester. Il y a une incohérence républicaine à ce qu’une République née de l’émeute proscrive l’émeute. J’avais aussi du respect pour la France des simples gens que j’avais connue de manière absolument fortuite. » J’ai toujours souligné que la République fille de la Révolution et qui glorifie mai 68 au point d’avoir voulu célébrer son cinquantenaire l’année des Gilets jaunes, ne pouvait pas reprocher à ceux-ci d’être moyennement respectueux de l’ordre public.

« Des citoyens innocents ne sont pas brimés par un Etat coupable. » » Nous sommes des citoyens responsables qui avons les politiciens que nous méritons. « Mais l’Etat qui devient illégitime à ses propres yeux s’établit en arbitre des différents conflits d’intérêt communautaires. «

PB : Macron-Fillon, vous êtes partout pour vous mettre en surplomb ? » FS : « Mon avis n’a servi absolument à rien ni avec l’un ni avec l’autre. »

PB : « N’avez-vous pas la vanité de côtoyer le vrai pouvoir ? » FS : « Ma vanité est moins politique que littéraire. Fréquenter les allées du pouvoir est flatteur. Mais le sentiment de vanité disparaît quand vous vous apercevez que le duc de Chatellerault qui vous parle n’est pas celui de la croisade. »

« Je ne me suis intéressé à la vie politique de mon pays qu’il y a une quinzaine d’années, quand je me suis aperçu que le socle politique sur lequel nous avions vécu s’effondrait. »

« Le général De gaulle est plus souvent réaliste que prophète. »

« Emmanuel Macron a résolu les trois dernières crises par un contournement systématique de la démocratie représentative, sans dissolution de l’Assemblée nationale ou appel au référendum, mais par un tour de France des maires ou le tirage au sort des [agents climatiques.] »

« Il ne suffit pas que le parquet soit indépendant, il faut qu’il le soit, mais aussi impartial et responsable, indépendamment de la question de savoir si les juges devraient en être élus comme aux Etats-Unis. »

« Dans l’affaire Fillon, je suis réticent à la thèse du complot, car il suffit qu’une institution, surtout si elle est nouvelle comme l’était le parquet national financier, se saisisse de son « influx moral » pour choisir le candidat propre. » Cela n’empêche que la dernière élection a été confisquée par l’autorité judiciaire, le tribunal médiatique et peut-être quelques combines politiques. Mais François Fillon l’avait bien cherché, qui avait demandé à Jean-Pierre Jouyet de débrancher Nicolas Sarkozy.

« Je suis né par hasard dans ce pays qui est le mien. » J’ai toujours pensé la même chose et je souscrit à cette phrase de Patrick Braouezec : « Je ne suis pas fier d’être Français et je n’en ai pas honte. Car on ne peut être fier ou avoir honte que de ce dont on est responsable. » Mais François Sureau ajoute et j’y souscris aussi : Je suis beaucoup plus séduit et blessé par mon pays maintenant que lorsque j’étais jeune. Il me séduit et il me blesse comme un étranger qui aurait choisi de venir y vivre. » Ça me fait le même effet.

PB : « Est-ce que, dans « L’or du temps », votre dernier ouvrage (qui donne lieu à des chroniques tout l’été sur « France culture »), vos dilections qui ne sont jamais banales ne cherchent pas à se distinguer des choix communs ? » FS : « Je suis parfois tombé par l’effet du hasard sur des personnages de second ordre qui me sont apparus comme des frères, comme le Richelieu de la Restauration ou le commissaire Maigret. On peut être guidé par des saints inconnus. Gide a raison, il faut suivre sa pente en la remontant. »

« Il est regrettable que Maupassant décrive des passions extraordinaires en s’arrêtant là et sans soulever le voile qu’il y a derrière leur réalité. » C’était moins la réalité qui importait à Maupassant que la présence. Maupassant était un sensualiste de la présence qui souffrait tant de la solitude qu’il ne voyait que l’absence. Il ne sentait jamais assez de présence pour remonter à la réalité. Et cela l’a englouti au moins autant que la syphilis.

Entretien avec François Sureau

philippebilger.com

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