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mercredi 22 février 2023

La prière de Sédric Kahn

J'ai regardé hier soir "la Prière" de Sédric Kahn diffusé par "Arte", une manière indirecte et rare de saluer l'ouverture du carême où entrent les chrétiens qui respectent le calendrier grégorien. 


https://www.allocine.fr/film/fichefilm-250819/streaming/


Ce film n'est pas un film parodique. Il n'escamote pas la réalité que vivent les croyants quand ils prient. Il cite la liturgie telle qu'elle est et ne la réinvente pas en la bêtifiant, l'ignorant ou feignant de ne pas connaître leur sujet quand ils montrent des croyants, même si la communauté vousoie Dieu et utilise des traductions bibliques assez hébraïsantes, bayardisantes ou chouraquisantes, ce qui dénote plutôt un intérêt pour les psaumes et le texte biblique. 


Où Sédric Kahn est-il allé chercher le modèle de la communauté dont il s'est inspiré? Ne serait-ce pas à Pellevoisin où la communauté Saint-Jean avait créée une maison aussi dure (à défaut d'être sûre), et où un de mes amis a fait un passage contraint  dont il est revenu en en disant pis que pendre, ou plutôt en n'ayant pas aimé son expérience, et en n'ayant pas été convaincu ni déplacé dans son goût pour les stupéfiants.


Quel est le propos de ce monachisme à ambitions thérapeutiques dont on se demande s'il ne s'apparente pas aux thérapies de conversion et qui détourne la règle "Prie et travaille" au service d'un espoir de rédemption personnelle qui ne peut certainement pas être le ressort d'une vocation monastique, si elle peut être la conclusion heureuse d'une expérience de vie monastique?


Ce propos est-il de démontrer qu'il n'y a qu'une amitié virile et violemment intrusive qui puisse faire sortir de la violence de la toxicomanie? Qu'on ne sort d'une habitude extrême que par un autre extrême. Que, puisque la toxicomanie est une forme d'incarcération, il n'y a qu'en se mettant volontairement dans une autre prison qu'on parvient à se libérer?


Mais une telle retraite au long cours dans une chartreuse ne ressemble-t-elle pas  à celle du "Désespéré" de Léon Bloy qui n'en reviendra pas moins imprécateur asservissant la fille qu'il a tirée des rues, Véronique, qui coupera ses cheveux et se fera édenter pour n'être plus pour lui un objet de désir?


La prière à laquelle on s'astreint pour espérer guérir, tant l'addictologie est une science inexacte et une médecine balbutiante, où tous les mantras sont bons pour que les gens s'en sortent, n'a-t-elle pas le même effet que la drogue? Ou les meilleurs orants ne sont-ils pas les drogués, comme s'en abuse un des héros de "Feu follet" de Drieu la Rochelle, sur lequel je suis tombé par hasard avant de partir faire ma première cure il y a trois ans?


Et quelle est la valeur de la foi enseignée dans ces lieux-là? Elle n'a pas prétention à convertir tous les membres de la communauté, mais leur fait approcher qu'on peut croire en pratiquant comme l'appétit vient en mangeant. Ou qu'il faut croire pour comprendre au lieu de comprendre pour croire. Mai la foi du héros, Thomas, relève plutôt de l'expérience libératrice d'une prise de parole publique à partir de la "parole de Dieu", vecteur du chemin de guérison escompté dans cette communauté. Thomas reprend espoir quand il se met à faire la lecture au milieu de ses "frères". Thomas prend la parole en s'appropriant si bien cette "parole de Dieu" qu'il connaît presque par coeur tous les psaumes, se félicite le prêtre qui l'accompagne. C'est que les psaumes véhiculent tous les sentiments humains et peuvent être mobilisés pour mettre des mots sur tous les états d'âme, mais des mots que la liturgie décide pour nous au moment où l'on prie, car on ne dit pas en commun n'importe quel psaume en priant la liturgie des heures. Thomas s'approprie donc une parole qui lui permet de dire publiquement qu'il ressent quelque chose et met du baume sur ses maux.


Il connaît deux miracles durant son "incarcération" volontaire. Le premier relève du conte de fée et lui permettra de "faire une fin" à laquelle on a du mal à croire. Il tombe amoureux de la fille des amis que la communauté compte dans le village et qui partage son amour. Elle l'exhorte à rester dans cette communauté tout en n'étant pas dupe de la dureté du chemin qu'on y propose, mais Thomas ne peut que mourir s'il s'en écarte et ne va pas au bout de l'expérience. Y rester est une question de vie ou de mort et de se reconstruire avant de retrouver sibylle qui n'attend que lui, thomas a bien de la chance. Ses retrouvailles finales avec Sibylle le feront déserter le chemin du sacerdoce, le monde est rassuré, mais il l'avait pris pour de mauvaises raisons, parce que servi par un miracle qui démentait par contraste une autre règle de la communauté.


Dans la communauté, on n'a jamais le droit de se retrouver seul, mais Thomas se retrouve seul en montagne. Il appelle ses camarades et court à perdre haleine dans les rochers pour ne pas les perdre de vue. Mais ceux-ci ne cherchent pas la brebis égarée et Thomas se brise une jambe dans sa chute. Sa jambe est réparée en une nuit, c'est le miracle, mais ses camarades l'ont à peine cherché, c'est le démenti de la règle et la déconvenue, une sorte d'assomption de solitude sur laquelle le film ne s'appesantit pas, c'est une de ses apories.


Le prêtre qui l'accompagne n'a pas forcé Thomas à entrer au séminaire, mais je me demande ce que penseront de lui ses compagnons s'ils apprennent qu'il a déserté le chemin du sacerdoce qui lui ont fait un pont d'or d'amitié et de reconnaissance quand il les a quittés pour s'engager sur ce chemin. Pas sûr qu'ils aient à son égard la même mansuétude que soeur Myriam, figure équivoque de fondatrice de la communauté, célébrée et adulée devant laquelle Thomas se prosterne pour prier avec elle, mais qui le gifle parce qu'il n'ose pas lui avouer qu'il n'est pas heureux et qu'il ne prie pas vraiment quand il prie. Soeur Myriam le ramène sur un chemin de vérité, preuve qu'elle n'est pas sectaire, mais la fascination qu'elle exerce sur lui ne lui permet pas de refuser l'affront de la gifle. 


Si "la Prière" s'est voulu un film à thèse, justifiant la violence des thérapies de conversion par la violence de l'intoxication, sa force est de nous donner les moyens de ne pas en être convaincus. 

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