Je déroule moins une pensée que je ne pose des questions, je suis un croyant questionneur, un croyant de la lutte avec l'ange. Et si je devais passer des apories du pardon aux apories de Jésus, je demanderais:
-Comment le Verbe ou le Fils de Dieu a-t-Il pu S'incarner s'Il n'a jamais péché? Comment a-t-Il pu embrasser la nature humaine, alors que la nature humaine n'est pas déchue, mais elle est mixte; elle n'est pas que pécheresse, mais elle construit et "rate sa cible", selon la traduction du concept hébraïque de "péché"-"hamartia". Dire que Jésus S'est fait homme à l'exception du péché, c'est presque prononcer un oxymore.
-Je sais bien qu'il en est pour douter que Jésus Se soit fait homme, et ce n'est pas ce qui me choque le plus. Beaucoup de rabbins doutent de l'existence de Dieu, je suis un peu rabbinique en cela. Car je me dis que si c'est l'homme qui a fait naître Jésus du besoin qu'il avait de le représenter comme son Sauveur, Dieu ne regarde qu'au bien qui en est résulté et que Jésus ait existé et aimé le premier ou que ce soit l'homme qui ait eu le premier besoin de l'existence de Jésus pour projeter en Lui l'image du salut, Jésus a fait beaucoup de bien.
-On doit pouvoir s'interroger sur le modèle anthropologique porté par Jésus. Jésus Se présente comme le Fils de l'homme, donc comme un modèle d'humanité. Or Jésus est dans un besoin d'affirmation de soi qui le ferait passer aujourd'hui pour un paranoïaque. Si n'importe quel quidam humain parlait aujourd'hui comme Jésus, on le traiterait de fou. Mais "médecin, guéris-toi toi-même" n'est pas la boutade dérisoire par où je renverrais à leurs leçons les marchands de bonheur. Mon médecin peut être efficace et plus malade que moi et je ne dis pas que Jésus le soit, car je suis incomparablement plus malade que Jésus et j'ai besoin de Sa médecine. Seulement Jésus ne réalise pas une condition anthropologique essentielle de l'homme moderne ou de la modernité humaine: Jésus ne tue pas le père; bien loin de là, il se fait tuer pour le père et devient la cible du père, selon la signification du mot "Fils" ("bar" en Hébreu), traduite par Annik de Souzenelle. Etre fils est l'entière direction de Jésus. Jésus se veut l'"instrument du Père", la chose du Père, la voix ou même le perroquet du Père, qui ne fait que la Volonté du Père, là où nous ambitionnons d'être des individus autonomes et responsables.
-Reste à vérifier que Jésus n'a point péché ou si Jésus a péché. Jésus est âpre, Jésus a mauvais caractère, Jésus rabroue volontiers même ceux qui se donnent pour des "petits chiens" dans l'espoir de ramasser les "miettes" qu'il ne leur donne pas de bon coeur; Jésus refuse de reconnaître les "vierges folles", ces fiancées inconséquentes à leur entrée au paradis; Jésus promet la condamnation à qui "refuse de croire", mais ferme aussi sa porte à qui croit en s'y prenant mal ou en ne donnant pas tout; il déclare indigne du Royaume qui ne Le préfère pas à tout ou proclame "la béatitude des persécutés", telle qu'il faut toujours "des pauvres", "la guerre" et "des persécutions" à l'accomplissement du Royaume de Dieu. Est-ce vraiment ne pas pécher que de parler et de se comporter ainsi? Est-ce parler contre la foi que de poser ces questions assez terribles? Ces questions, je les porte en moi, je les pose en conscience, elles risquent de "scandaliser" les plus petits d'entre mes frères, mais je m'inscris dans le sillage de Jésus en les posant, si toutefois j'admets, du fond de ma nuit de la foi, que Jésus n'est pas tant venu pour imposer un dogme que "pour une remise en question", et c'est Lui-même qui le dit (en Jn IX-39).
Bonnes questions qui méritent d'être discutées.
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