J'observe que le handicap est agité comme un hochet compassionnel à chaque élection présidentielle. Je me souviens d'Emmanuel Macron y consacrant sa "carte blanche", me semble-t-il au cours du débat de second tour avec Marine Le Pen, et c'est le refus de la déconjugalisation de l'AAH qui a vérifié les bonnes intentions de sa ministre Sophie Cluzel, qui envisagea un temps un avenir de présidente de région contrarié par la querelle entre Renaud Muselier et Thierry Mariani. Auparavant, Ségolène Royal avait surjoué l'indignation dans son débat de 2007 en disant que Nicolas Sarkozy, pour souligner les difficultés de "l'école inclusive", qui n'ont fait que s'aggraver depuis, atteignait au "summum de l'immoralité politique".
Giscard fut notre dernier président social. Sa loi de 1975 fut la dernière à améliorer vraiment le sort des personnes handicapées. Pour en fêter les trente ans, on discuta, vota et promulgua la loi de 2005 dont la philosophie générale était que le handicap n'existait pas en tant que déficience ou qu'infirmité, mais seulement en tant que "situation", et qu'il appartenait à la société de compenser ces handicaps de situation en admettant toutes les "personnes en situation de handicap" dans toutes celles que traversait normalement sans dommage ni encombre quiconque n'était touché par aucune infirmité. Ceux qui, comme moi, dénonçaient une utopie d'où résulterait une moindre intégration et une précarisation des personnes concernées se voyaient taxer d'obscurantisme. L'avenir nous a donné raison, mais les personnes handicapées continuent de ne pas le reconnaître. Leur désir d'être acceptées à part entière, un désir idéaliste ou idéologique, l'emporte sur la considération empirique des effets de la loi de 2005, qui se retrouvent dans les conséquences des confinements de 2020, lesquels étaient présentés comme destinés à protéger les personnes vulnérables et fragiles, alors qu'ils ont contribué dans la pratique à les fragiliser en les isolant et en fermant la plupart des services qui leur étaient dédiés et leur venaient en aide sous prétexte de les protéger d'être infectés par la Covid.
Les premières à refuser ces constats objectifs sont les personnes handicapées elles-mêmes et peut-être plus encore leur entourage. Je me souviens de la bronka qui accueillit Marie-Christine Arnautu qui prononça un discours remarquable aux Etats généraux de la déficience visuelle auxquels je participai, elle était à peu près la seule à maîriser son sujet, avec Hamou Bouakkaz, alors conseiller de Marisol Touraine avant d'être écarté de son cabinet quand elle devint ministre, et qui résuma la situation de l'"inclusion scolaire" en préconisant le cas par cas avant d'ajouter non sans humour: "Je suis aveugle et d'origine algérienne. Chaque jour, je dois donc m'intégrer à un double titre. Le matin, j'essaie de m'intégrer; l'après-midi, je me demande si je suis intégré et le soir, je me désintègre." Marie-Christine Arnautu gâcha son discours en conchiant l'aide médicale d'Etat, laquelle ne coûte qu'un modeste milliard, qui compte bien peu au regard des milliards gaspillés dans la valse de l'argent magique emmenée par celui qui, en Guyane ou à Saint-Martin, refusa d'ajouter le "Père Noël" à la galerie de ses mauvais rôles, l'inénarrable président Macron.
Ma mère milita à l'ANPPEA, l'association nationale des parents d'enfants aveugles. Cette association éditait la revue "Comme les autres" et militait pour que le terme de "handicapé" soit remplacé par le terme "différents". L'association ne s'apercevait pas qu'elle n'était pas à un oxymore près. Mais elle était progressiste et son progressisme la préservait de voir certains pans du réel. Elle militait pour la fermeture des internats et l'intégration de plus en plus précoce des enfants dans des établissements scolaires ordinaires. On l'a prise au mot. Dans le monde du handicap visuel, la plupart des écoles spécialisées ont fermé ou n'accueillent plus d'élèves, mais font du suivi scolaire d'enfants handicapés qui font une quadruple journée :
-les apprentissages scolaires dans lesquels ils peuvent être "largués" à défaut de maîtriser les techniques de compensation de leur infirmité;
-le suivi scolaire et l'apprentissage de ces outils compensatoires
par les "professionnels" des établissements d'enseignement spécialisé reconvertis en établissements de suivi scolaire d'élèves "à besoins spécifiques;
-le ramassage scolaire où le premier cherché est souvent le dernier ramené, car la carte scolaire n'est pas si inclusive que les lycées accueillant des élèves "en situation de handicap" ne soient pas regroupés en pôles de manière à être plus efficaces dans cet accueil, moyennant autant d'éloignement des élèves des lycées qui les accueillent;
-et la compensation du handicap lui-même.
Ajoutons à cela que les accompagnants des élèves handicapés ont énormément perdu en qualification. Autrefois, il fallait deux ans, en dehors du cursus universitaire classique, pour devenir un enseignant spécialisé; aujourd'hui, il faut à peine deux semaines pour devenir AESH (accompagnants des élèves en situation de handicap). ET l'"école inclusive" est un des maquis normatifs les plus kafkaïens qui soient au pays des 300000 normes et des mille fois moins de fromages qu'est celui des "Gaulois réfractaires" qui n'y résistent guère. Alors peu m'importe qu'Eric Zemmour ait eu un mauvais mouvement et ait su d'instinct ou non de quoi il retournait en matière d'"école inclusive", mais il a dit la vérité, et c'est pourquoi ses adversaires l'exécutent en persuadant les ignorants qu'il a tenu des propos immoraux.
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