Il eût été beaucoup plus franc de rendre la vaccination obligatoire sans dire auparavant, dans une parole présidentielle totalement inconstitutionnelle et monarchienne: "Je ne rendrai pas la vaccination obligatoire", comme si c'était au chef de l'exécutif de décider. Puisque le président avait choisi de renoncer à convaincre, ce qu'il dit aimer plus que tout, pour contraindre, ce qu'il a fait pendant tout son quinquennat, il se serait grandi en annonçant la couleur, mais il serait sorti de l'ambiguïté à ses dépens, ce qu'il déteste par-dessus tout. Cette attitude est, selon qu'on aime employer des mots à la mode ou des mots plus anciens, d'un machiavélien, d'un manipulateur ou d'un pervers narcissique. L'obligation vaccinale imposée d'emblée aurait eu un effet politiquement délétère pour notre président illibéral: elle aurait entraîné une râlerie qu'il aurait été difficile de contenir. On s'insurge contre une contrainte franche, on se contente de fronder contre une contrainte subtile.
Mais celui qui, malgré des agacements sporadiques, a un tropisme macronien aime en Macron cette ambiguïté présidentielle qu'il prend pour de la complexité, miroir de ses nuances. Il aime l'ambiguïté de l'obligation vaccinale déguisée. Mais ce n'est que de l'ambiguïté qui s'assume dans son cynisme. Quelqu'un dont je ne retrouve pas le nom (et c'est dommage, car c'est une personnalité de premier plan) a dit que Macron était le premier dirigeant de l'histoire de France à, non content de ne pas le connaître, ne pas aimer le peuple qu'il a eu l'ambition de gouverner. J'avais tweeté au début de la campagne de 2017: "Macron veut être le président d'un pays qu'il ne connaît pas et gouverner un peuple qu'il n'aime pas." Je crois avoir fait mouche.
L'obligation vaccinale imposée aux soignants est une humiliation qui contraste macroniquement avec la stupide habitude de les applaudir en début de pandémie alors même qu'ils demandaient une revalorisation significative et durable de leur rémunération et une nécessaire amélioration de leurs conditions de travail pour que l'hôpital ne craque pas. Le président leur avait déjà fait un pied de nez en nommant, à la place d'Edouard Philippe, un des grands saboteurs de l'hôpital en la personne de Jean Castex qu'il flanquait, dans les marges de la culture (car la culture est marginale dans le macronisme) de l'inénarrable Roselyne Bachelot.
Dire qu'on allait sanctionner les soignants en les privant de salaire et, pire, en les licenciant s'ils ne se conformaient pas à leur obligation vaccinale après leur mise à pied du 15 septembre, apportait le comble à cette humiliation et non seulement n'endiguait pas le flot des démissions qui désengorgent l'hôpital au pire moment comme elles privent tous les services publics, au premier rang desquels est l'Education nationale, de leurs employés souvent les plus motivés et les plus dégoûtés qui ne se sentent pas une vocation au martyre; mais au lieu de payer leurs heures supplémentaires à des soignants qu'on oblige à travailler gratis en infraction flagrante aux fondamentaux les plus élémentaires du code du travail, on veut les priver de salaire.
Menacer un restaurateur de 75000 euros d'amende et d'un an de prison parce qu'il ne contrôle pas les pass sanitaires est proprement orwellien, et cela n'est pas relevé par des journalistes qui nous parlent sans arrêt de résistance et de désobéissance civile.
Toutes les allocutions d'Emmanuel Macron depuis le début de son quinquennat et singulièrement depuis le début de la crise sanitaire allient un lyrisme de façade et de pacotille à des annonces qui se voudraient tellement effectives que l'intendance ne devrait pas suivre, mais précéder ses annonces, qui demandent à être traduites dans les faits, puisqu'elles vont dans le détail. Or il n'est pas un discours qu'il ait prononcé depuis le début de cette crise qui ne se soit défilé au fil des jours qui suivaient, car les mesures annoncées se sont toujours révéles inapplicables.
On n'a pas assez souligné que faire appliquer les mesures sanitaires au 19 juillet ou au début août aboutissait à fiche en l'air les projets de vacances de tous les non vaccinés qui n'ont pas été prévenus puisque, pour obtenir un pass sanitaire, il faut s'être fait injecter ces deux doses (de vaccins pouvant éventuellement entraîner une modification génétique, le débat reste ouvert entre généticiens), ce qui demande au moins un mois. Même le citoyen de bonne volonté pragmatique qui aurait voulu se faire vacciner en faisant exploser le site de Doctolib pendant le discours de Macron, ne sera pas payé de son civisme tardif puisqu'il n'entrera en possession de son précieux laisser-passer que dans un mois ou dans un mois et demie, selon la facilité avec laquelle il obtiendra un rendez-vous.
Mais Emmanuel Macron sait pouvoir compter sur la docilité des Gaulois réfractaires, car 20000 rebelles étant sortis manifester hier ne pèsent qu'1 % de ceux qui se sont précipités illico pour essayer de se faire vacciner en se laissant tordre le bras sans tenter un bras de fer.
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