<p> Commentaire à l’article de Philippe Bilger : « Cnews est-il d’extrême droite » ? (Je précise que ce n’est pas du tout mon sujet de savoir de quel bord est Cnews, mais le billet est consultable ici : <p>
https://www.philippebilger.com/blog/2020/09/cnews-nest-pas-dextr%C3%AAme-droite-.html ) <p>
Cher Philippe,<p>
Vous concernant, je me souviens que naguère, vous aimiez mieux vous qualifier de réactionnaire que de conservateur et je préférais cela. Car enfin que vaut le qualificatif de conservateur? On comprend ce qu'il désigne et ce n'est pas précisément "la civilisation du bonheur" dans la bouche de ses promoteurs habituels. Je préfère à ce qualificatif celui de traditionaliste. Le conservateur défend une civilisation basée sur des traditions, au besoin capables de muter au gré des changements d'habitudes ou des progrès techniques, voire au gré des moeurs si elles se modifient à la marge. <p>
Face aux conservateurs que je préfère appeler des traditionalistes (je ne me reconnais pas tout à fait en eux), m'est avis qu'il n'y a pas les progressistes. Je suis comme Lionel Jospin, je n'aime pas ce mot ou n'y crois pas. Surtout quand on voit à quoi il se réduit sous Emanuel Macron que je perçois comme l'incarnation de ce que prophétisait Bernanos. Emmanuel Macron est l'homme qui fait advenir "la France contre les robots". On savait qu'il gouvernait par algorithmes et qu'à l'exemple de Jean-Luc Mélenchon, il aimait les hologrammes. On n'imaginait pas qu'il nous musellerait avec nos masques de terrorisés du coronavirus psychotant. Le progressisme macronien n'est qu'un pragmatisme, un consentement au prétendu réalisme économique commandant le dérèglement du monde, un technicisme important après avis des consultants les impératifs de la technique dans le management des hommes. <p>
Et comme tel, le macronisme est bel et bien un progressisme, car la nature humaine ne progresse pas ou progresse peu. On ne peut lui soustraire sa part animale qui la rend cruelle aux faibles quand même elle en a compassion. Il y a peu de progrès moral. S'il y a un sens de l'histoire (et j'en doute), celui-ci fait avancer lentement le progrès moral. Mais le progrès technique confondu avec le progrès moral en assure la régression. Le progressisme macronien est de l'ordre de la régression morale, car comme vous l'écriviez dans un autre billet, Emmanuel Macron est "humaniste par culture et cynique par politique, empathique par obligation et altruiste par tactique". <p>
Or à l'opposé des traditionalistes, il y a ceux que ceux-ci appellent volontiers -et qui se désignent eux-mêmes comme- des transhumanistes. Il est facile de les montrer du doigt; or, si ce ne sont pas des altruistes au sens classique, ils ont un véritable amour de l'humanité, qu'ils rêvent d'élever et de transformer selon ce qu'ils croient être le meilleur pour elle. Ils croient que c'est un bien que l'homme soit une femme comme les autres et une femme un garçon manqué. Ils croient que c'est un bien et une chimère possible qu'un homme augmenté qui simultanément n'embarrasse pas la planète. Ils croient que l'espèce humaine mérite de conquérir l'immortalité, mais que la nature qu'ils nient doit s'en débarrasser. Ils croient que la négation de toutes les constructions biologiques et leur dépassement sont un bien. Ils croient qu'il n'y a pas de nature, mais que l'homme est un être culturel et que toutes les coutumes peuvent se transformer par de nouvelles habitudes, que dis-je, par de nouveaux habitus. Il n'y a pas, selon moi, les conservateurs et les progressistes, il y a les traditionalistes et les transformistes à coups d'habitus, ceux qui déconstruisent et qui dégenrent ou travestissent, mais pour eux, le travestissement fait partie de la transformation. <p>
Vous allez me dire que tout cela n'est que querelle de mots, telle que celle qui opposa sans force politique Gérald Darmanin et Éric dupont-Moretti, dont vous conviendrez bientôt que c'est Nicole Belloubet en pire, comme Nicole Belloubet était une aggravation de Christiane Taubira, moins, paradoxalement, sur le plan du verbe qu'elle contrôlait mieux, que sur celui d'une politique pénale, qui assumait de complètement libérer la délinquance du quotidien pour exaspérer les gens de peur après les avoir asphyxiés de normes, pari fou qui les tient tranquilles jusqu'au jour où cette exaspération et cette asphyxie provoqueront une révolte dont la violence pourrait bien être inédite. D'autant que nous sommes gouvernés par les mots en proportion inverse de la puissance politique. Pardonnez à votre commentateur de trop aimer les mots. I l vous concède volontiers que les mots ne sont pas là pour dénoncer, mais pour créer, entraîner de l'action et qu'on est loin du compte. <p>
C'est que pour créer, les mots ne doivent pas seulement jaillir pour faire le buz, mais étudier. N'importe en ce qui me concerne l'entre-soi de "Cnews" ou de "France inter", j'aime le pluralisme. J'aimerais que cet entre-soi puisse débattre entre autres et me méfie des monopoles, ils sont dangereux. La gauche a eu trop longtemps le monopole culturel. Il se lézarde, mais au prix que parlent entre elles des sociétés qui s'ignorent, les gauchistes et les Cnewsistes, les chrétiens tolérants ou les agnostiques "en terrasse" et les islamistes énervés, que considèrent les Amish incrédules sous l'oeil gauguenard de Macron. Rien n'est plus dangereux que l'ignorance mutuelle. <p>
La culture n'est ni de gauche ni de droite. La gauche ne devrait pas avoir le monopole culturel. Les intellectuels ne devraient pas tous être de gauche sous peine d'être taxés de n'être pas sérieux ou d'être des salauds. En France, l'intellectuel est né avec l'affaire Dreyfus. Mais dans la matrice juive dont notre civilisation descend beaucoup plus profondément que la République ne procède de l'affaire Dreyfus, l'intellectuel, c'était le scribe, le scrutateur des Écritures, non point le prosateur, mais le glosateur, le commentateur des textes sacrés. Méfions-nous de l'arbitraire culturel, mais gardons à l'esprit la sacralité de la culture et de la création qui font vivre et agir. <p>
Marc-Alain Ouaknin introduisait un de ces récents "Talmudiques" par cet heureux oxymore: la "tradition du nouveau". Cultivons la tradition du nouveau! Créons à l'intérieur de la loi, soyons les aèdes de nos textes! <p>
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