Pages

mercredi 11 décembre 2019

Édouard Philippe et la retraite des mentors

Allez, y a pas de raison. La presse étant un grand bazar, j'ai bien le droit de faire mon politologue de bazar.

Je ne sais pas si Édouard Philippe a annoncé ce jour une révolution dans le système des retraites. (En langage macronien, on appelle ça une "refondation" ou plus modestement une "transformation".) Mais le premier ministre a pris date. Il a glissé plein de peaux de banane sous les pieds de son supérieur hiérarchique.

D'abord il a fait un discours clair et complet (d'après les économistes) là où Macron ne sait pas être concis et noie le poisson aussitôt qu'il prend la parole.

Et puis il s'est situé dans la continuité historique. Il a placé sa réforme dans l'esprit du Conseil national de la Résistance (CNR) -même si "la retraite des vieux" a été inventée par le maréchal Pétain, son gouvernement et sa synarchie-. Philippe (Édouard) s'est revendiqué du général de Gaulle, de Georges Pompidou et de Michel Rocard. Il a donc fait le contraire de Macron, qui ne cesse de se poser en opposition à ses prédécesseurs, les "rois fainéants" comme il les appelle, et ambitionne de refonder l'histoire ou de réinventer l'eau chaude.

Il s'est aussi posé en réconciliateur. Là où Macron récuse les corps intermédiaires, Philippe parle devant le CESE (Conseil écoonomique, social et environnemental), cette chambre consultative des corps intermédiaires, et il confie la valeur du point (de retraite) à la négociation des "partenaires sociaux". Il assure qu'une règle d'or sera fixée par la loi, au terme de laquelle on ne pourra dévaluer le point en fonction de la conjoncture. Bien sûr les syndicats ne représentent plus rien, mais c'est respecter la continuité sociale que de reconnaître un rôle aux partenaires sociaux.

Édouard Philippe va plus loin dans l'opposition au président de la République. En bon irresponsable, Macron voulait que "le nouveau système" entre en vigueur en 2025, après son quinquennat. Le premier ministre fait savoir qu'il a "proposé au président de la République" de le lancer en janvier 2022. Il en espère un double effet: à la fois prouver qu'il va plus vite que Macron; et puis, comme la nouvelle gouvernance essuiera les plâtres la séparant de la prochaine élection présidentielle, Philippe dira que l'impréparation et les premiers mécontentements sont la faute à Macron...

Aujourd'hui a vu Édouard Philippe s'émanciper de ses deux mentors, Juppé et Macron. Clair comme celui-ci est obscur et respectueux comme tous les deux sont arogants, il fait voir que l'intelligent de l'exécutif n'est pas celui que l'on croit. Juppé était "droit dans ses bottes". Le premier ministre qui a grandi à son école et l'appelait "chef" ne se montre ni cassant ni distant. Il se veut aussi proche des Français et des corps intermédiaires que ses deux mentors se sont montrés méprisants et lointains.

Édouard Philippe a réussi son "grand oral". Il a sonné la retraite des mentors.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire