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mardi 24 décembre 2019

Flaubert, la stylistique et le formalisme

Écouté cet après-midi sur @franceculture #LaCompagnieDesOeuvres consacrée à Louise Collet où il était lu des extraits de lettres qu'elle recevait de Flaubert, les siennes ayant été brûlées par le grand homme qui ne voulait pas que l'on étalât les confidences de ses épistolières, il préférait leur donner de la voix.

Incroyable, le ton paternaliste dont il usait à l'égard d'une maîtresse écrivain de 11 ans plus âgée que lui, plus lancée aussi et se voulant une femme indépendante, mais qui acceptait l'impertinence sentencieuse de son ton péremptoire, car elle le savait meilleur écrivain qu'elle et elle reconnaissait du génie à cet homme, son homme, un homme, encore un homme?

Le romancier redressait une poétesse de style parnacien, académique et raide comme le Parthénon... Pourtant j'ai fait une découverte au cours de cette émission: c'est que la stylistique existe bien. "Observe de suivre tes métaphores", lui recommande-t-il. Il lui fait aussi une explication de texte en bonne et due forme, très critique, d'une de ses "pièces", un poème, où elle s'adresse à sa fille devenant femme en rêvant sous sa "couverture". "Couverture, que ce mot est laid", assène ce dépressif qui ne pouvait pas dormir sans une bouillote.

Donc l'explication linéaire n'est pas une invention de nos pédagogues pour nous dégoûter de la littérature? Donc la stylistique existte bien et elle est en effet l'étude des effets produits par l'auteur qui sait ce qu'il veut obtenir en écrivant et veut être le déterminant de son oeuvre, loin d'être déterminé par son génie? Encore faut-il ajouter que la stylistique a été inventé par "l'idiot de la famille" qui a osé dire de Balzac: "quel homme eût été Balzac s'il eût su écrire!"

Pauvre Flaubert! Balzac écrivait beaucoup mieux que toi qui confirme les idées reçues, mais il se perdait dans les détails. Ah, mais je vois. Tu lui reproches de n'y avoir pas mis les formes, d'être sans forme. "Ne donne aucun détail qui s'écarte du sujet", conseilles-tu à cette "pauvre chère Louise". Tu prétendais en remontrer aux classiques après que tu eus énoncé que l'art es tsubjectif. Les classiques mettaient les formes sans être formalistes. Tu t'es, toi, posé en formaliste pour te distinguer des classiques. En cela, tu as fait une chose dont la modernité te sait un gré infini: la modernité est peut-être "l'hérésie de l'informe", mais elle est informe dans la mesure où elle n'a pas de fond, et c'est encore parce qu'elle est informelle et sans fond qu'elle est formaliste sans fondement.

Où tu certis une esthétique du précis qui délire et ne dit rien car rien ne compte, Balzac foisonne et ne hiérarchise pas description, dialogue et analyse, car il a un monde en lui, alors que tu es obligé d'aller voir le monde pour le repoudrer à ta sauce responsable et bourgeoise, autrement plus bourgeoise que Musset, ce dont tu l'accuses par jalousie quand il n'est plus au mieux de sa forme et plus qu'une épave qui voudrait draguer ta Louise.

Tu n'es pas le père de la déconstruction. Tu ne soutiens pas exactement qu'il faut s'écarter des préjugés. Au contraire, tu les fais tiens. Notre époque aussi les fait siens pour les démonter, dans l'espoir de transformer les préjugés, d'avoir d'autres préjugés, mais de n'avoir que des préjugés: "La théorie du genre n'existe pas, mais il ne faut pas donner une éducation genrée à ses enfants. La biologie n'existe pas, l'homme et la femme ne sont que les purs produits d'une construction sociale. La société n'existe pas ou elle existe à peine comme société des individus, mais l'individu n'est que le moment de son espèce et il faut détruire le communautarisme qui n'est pas un phénomène naturel résultant de ce que dit Mireille dans sa chanson: "Quand un vicomte rencontre un autre vicomte, qu'Est-ce qu'is s'racontent? Des histoires de vicomte." Les races n'existent pas, mais il faut privilégier les racisés." Par exemple.

Flaubert avait le culte de l'art comme travail. Or la raison d'être de l'art est de déboucher sur une œuvre d'art. L'art n'est que la base artisanale de la production d'une œuvre qui ne créée rien, mais combine et découvre en faisant que l'énigme s'éloigne d'un pas après chaque découverte, dans la ligne d'horizon, qui n'est pas la ligne bleue des Vosges, incise gratuite. Aujourd'hui, les artistes contemporains parlent de leur art comme de leur "travail". Cela leur écorcherait la bouche de le présenter comme une œuvre. Hannah Ahrendt a pourtant magnifié l'œuvre en l'opposant au travail et à l'action. Un artiste comme moi est précisément désoeuvré et souvent dans l'inaction et dans l'incapacité de travailler parce que son esprit est lancé à la poursuite de son œuvre. Mais mon œuvre ne se formalise pas en moi. En conséquence elle n'a pas lieu. Elle n'est qu'un chaos torrentiel et jaillissant qui déracine quelques pierres pour les lancer dans le jardin des conventionnels et "scandaliser les bourgeois" comme je l'ai proféré un soir en pissant dans la rue Mouftard.

Faire œuvre est mettre de l'ordre. C'est surprendre, mais pas à tous les coups. Ce n'est pas créé par principe un écart esthétique. Ce n'est pas systématiquement accomplir un prodige stylistique.

Ce qui me met à l'écart de mes contemporains, c'est certes que je ne suis pas formaliste, mais c'est surtout que je suis indiscipliné. Je ne suis pas littéraire, je ne suis pas philosophe, je ne suis pas musicien, je ne suis pas théologien, je suis tout ça à la fois et je ne suis rien de tout cela.

L'éveil suppose certes le décloisonnement comme me l'a dit Jean-Paul bourre, mais elle suppose aussi un foisonnement bien cloisonné.

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