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lundi 3 décembre 2018

La France malade de sa Révolution

Billet écrit en réponse à Daniel Siccia, lecteur de Pierre rosanvallon, qui demandait sur le blog de Philippe Bilger: "La France est-elle malade de sa démocratie?" (On peut lire son commentaire ici: https://www.philippebilger.com/blog/2018/12/les-gilets-jaunes-jusquo%C3%B9-aller-trop-loin-.html) @Daniel Ciccia | 02 décembre 2018 à 12:08 Je dois à la critique au couteau de Robert Marchenoir de m’être penché avec un peu plus de gourmandise que je n’en ai d’habitude lorsque s’exprime ce philosophe grandiloquent et nébuleux (j’en suis un autre), sur les analyses de Jean-Claude Michéa dans sa lettre aux Gilets jaunes et sur le portrait dythirambique qu’en dresse le Figaro magazine. Je ne sais pas si robert M a raison de dire que Michéa est un « communiste enragé ». C’est à coup sûr un marxiste qui continue de parler le langage de la tribu de son gourou matérialiste. C’est une fausse valeur intellectuelle ou à tout le moins une valeur trop appréciée, même si je n’abonde pas dans l’ironie de Robert pour nier ces points marginaux que je trouve exacts dans le discours de Michéa : Macron est un thatchérien de gauche et il existe une extrême gauche libérale, dont les membres ne se vivent pas, selon sa théorie complotiste à bon marché si l’on peut acoler le « marché » à un philosophe de cet acabit, comme des agents du système ou ses idiots utiles. La France aime bien s’enticher de fausses valeurs intellectuelles du genre de Michéa, auxquelles on peut ajouter Emmanuel Todd. Quelle que soit l’acuité truculante de ce cartographe démographe qui se prend pour un anthropologue, ce pré-Christophe Guyllui pourfendeur des catholiques zombies (dans son ouvrage « Qui est Charlie ? »), avait auparavant pris ses désirs pour la réalité ennous vendant, en 2012, le « protectionnisme européen » du « hollandisme révolutionnaire », on n’avait pas remarqué... Ce matin, le même E. Todd, sur France Culture, était tout émoustillé par les Gilets jaunes, qui lui avaient rendu la fierté d’être français, mais banalisait aussitôt en appelant bourgeoisement, comme je le fais moi-même (ou comme le fait Patrice Charoulet qui a peur du désordre), à l’évitement du coup d’Etat. La France apprécie les fausses valeurs intellectuelles parce qu’elle a la passion pamphlétaire. Elle aime se surexciter. Un P. Rosanvallon calme et profond ne la chatouille pas plus qu’un Montesquieu lui faisant des papouilles. Pourtant Rosenvalon vaut mieux que Michéa ou Todd, y compris au service des « oubliés » comme ils disent. Témoin son site « raconter la vie » qui prête sa plume à ceux qui n’écrivent pas l’histoire. Non, « la France » n’est pas « malade de sa démocratie », elle est malade de sa Révolution. Je ne sais pas si le poisson pourrit par la tête, mais le mal pousse par la racine, et le péché originel de la démocratie française est de s’être bâtie sur la Terreur. Après quoi Michelet, historien républicain s’il en fût, a pu dire que « la France, c’est la Révolution ». Ce propos conclut son ouvrage « Le peuple ». La France, qui l’avait oublié dans l’intermède allant de la Révolution nationale à la fin des Trente glorieuses, ère Mitterrand comprise ou ajoutée, réaffirme depuis vingt ans son identité révolutionnaire. C’est ainsi qu’elle verse son obole à la radicalisation du monde et au réveil des nationalités qui a commencé depuis les guerres du séparatisme yougoslave. À peine avait-on détruit le mur de Berlin que l’histoire est rentrée en phase régressive, contrairement à ce que prévoyait Francis Fukuyama. La France s’est remise à parler Révolution et laïcité en plein réveil de l’ethnique et retour du religieux. Je me suis aperçu avec sidération du retour du champ révolutionnaire en recevant en 1995, en réponse à une doléance de Gilet jaune avant la lettre que j’avais adressée à Edouard Balladur, candidat de la droite orléaniste à l’élection présidentielle, à propos de la situation des hôpitaux, une lettre type s’étalant sur des pages où le staf à Doudou faisait au nom de son double menton l’apologie de la Révolution, j’ai cru rêver. La France est malade de sa révolution, ce qui n’est pas sans conséquence : la République n’est pas un régime démocratique, mais une idéologie épuratrice et vertueuse… La maladie se caractérisant souvent par le déni, le déni que l’on fait aujourd’hui de la violence des Gilets jaunes comme s’inscrivant dans le droit fil d’une France née de la Révolution, et qui a en outre imposé au mondela Révolution morale de mai 68,un tel déni de la violence révolutionnaire est stupéfiant. La maladie finissant par se prendre pour la santé, la France malade de sa révolution ne se rend pas compte qu’en trouvant normal de soumettre une manifestation à l’autorisation préalable de la préfecture de police, elle a oublié d’où elle vient. La « démocratie du rejet » s’inscrit-elle dans la suite logique de cette maladie révolutionnaire ? Comme vous, je l’apparenterais plutôt au nihilisme dont il paraît que doit mourir l’Europe (le déclin est inscrit dans le nom d’Occident), nihilisme dont Michel Onfray est un avatar même s’il le pare des atours du nietzschéisme tellement plus généalogique, lui qui conclut son livre « Décadence » par cette phrase-miscile : « Seul le néant est certain ». Quand, voici trente ans, l’enfant que j’étais en pinçait pour la démocratie directe et que tous le monde me traitaient de fous, camarades et professeurs, mais pas monpère, ni mon meilleur ami, moi qui ne croyais pas voir la guerre de mon vivant (j’ai déchanté depuis, je n’en suis plus certain), ne croyais pas non plus voir l’avènement de mon utopie. Je ne m’imaginais pas qu’en commençant tout doucement par la démocratie participative, le monde viendrait à cette idée et que les réseaux sociaux, même placé sous impérium américain et sous la protection du premier amendement de la constitution du pays auquel la France de Louis XVI contribua à donner l’indépendance, en serviraient de forum. Quoi que puisse en penser Pierre Rosanvallon, la démocratie directe, préférable à la République idéologique, est le remède que doit s’administrer la France malade de sa révolution. Elle est aussi l’antidot contre ce qu’on nomme mal le populisme puisque le populisme est l’essence de la démocratie, alors que ce qu’on nomme populisme nomme l’agressivité populaire à l’encontre de ses classes dirigeantes à l’intérieur comme de ceux qui pourraient envahir le pays de l’extérieur, en faisant revivre le paradigme de l’histoire conçue comme lutte contre les invasions. Vous-même êtes à votre insu plus démocrate que républicain. Vous croyez la France malade de sa démocratie quand elle est malade de sa République. Vous apportez une très belle définition de la contribution que vous voulez apporter à votre pays, votre société et à la postérité, vous qui dites vous préparer à voter pour le pire en renonçant jusqu’à vos propres idées si le peuple tourne mal pour mal tourner avec lui, non sans cesser de donner de vous-même. Bravo, Monsieur !

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