Je suis un drôle de zèbre, même si j’ai une âme religieuse. Quand
je suis malade, couché ou paresseux, quand je cuve ou que j’incube, quand j’ai
envie de ne rien faire, ce qui entretient ma léthargie et ma neurasthénie est
le contenu de vidéos des radicalisés de la pensée close et ayant été malade une
bonne partie de la semaine dernière, ces vidéos ont fait mon pain quotidien. Jusqu’à
écouter une apologie de mgr Williamson dont il m’arrivait de lire les commentaires
elleison que je trouvais d’une grande élévation intellectuelle et
spirituelle, mais qui sentaient le soufre. Son apologie émanait d’un prêtre
français passé dans sa résistance et qui semble vivre en Belgique. »Il
était la douceur incarnée, maissavait taper du poing sur la table », résumait-il.
Tissier de Maleray et Williamson constituaient la phalange intellectuelle des
quatre évêques sacrés voici trente-cinq ans. Les continuateurs de l’œuvre de
mgr Lefebvre ont déjà perdu deux de leurs évêques sur quatre et ne sont pas
pressés d’en sacrer deux autres, comme si cette continuité de l’œuvre n’était
pas le premier, mais était le cadet de leurs soucis. Mgr Williamson a lui nommé
pas moins de six évêques et peut-être davantage. Avec ou sans la volonté du
pape, le fait de sacrer un évêque est un acte valide quand celui qui le sacre
est lui-même évêque.
L’apologète de mgr Williamson dégageait leprofil spirituel
deMgrrLefebvre et Williamson. Pour mgr Lefebvre, « Dieu était indépendant »
et c’est ce qui fascinait le maître d’Écône. « Nous sommes « ab aliis »
quand Dieu est « a se », complétait-il. La devise de mgr Williamson
aurait pu être : « Ut veritas ». Une vérité qui faisait
volonteirs fulminer celui qui « ne manquait pas d’énergie ».
Et de signaler un sermon pour des ordinations à Écône, en
2002, je crois. Le thème en était l’encyclique Pascendi . Comme j’ai
lu cette encyclique et que je la crois un document très important, très fin,
très subtil, comme par ailleurs, je voulais écouter la voix de mgr Williamson
et savoir s’il y avait de la vodka dans cette voix, comme le jour où il donna
son interview en Allemagne ou au Danemark qu’on ressortit après la levée des
excommunications et où il tint des propos révisionnistes ou négationnistes qui jetèrent
une ombre sur l’acte de Benoît XVI et firent préférer à l’évêque qu’on le jette
de la barque pour qu’il entre dans le ventre de la baleine s’il était un
obstacle à la réconciliation, pour toutes ces raisons, j’ai écouté ce sermon.
Je l’ai écouté et je l’ai aimé. Il paraît que Dieu vomit les
tièdes. Si j’en suis un, je ne le suis pas sur le plan intellectuel. J’aime
ceux qui manient des idées fortes qui entretiennent en eux le souffle chaud d’une
vapeur capable de leur faire prendre le train et de faire circuler la machine.
Dans ce sermon, mgr Williamson commençait par faire
référence à des paroles de Notre-Dame d’Akita promettant d’engloutir le monde
sous un déluge de feu si celui-ci continuait de s’enfoncer dans des péchés qui
croîtraient en gravité et en nombre. Dieu ne s’était-Il pas repenti du déluge
et n’avait-Il pas promis de ne plus jamais recourir à une telle submersion ?
Mgr Williamson était connu pour attacher du prix aux apparitions mariales et
aux plus catastrophistes et controversées, Garabandal, Fatima et Akita, là où
les prêtres de l’ »Église conciliaire » ou de l’Église main stream,
de l’ »Église bolchevique « entendue comme majoritaire , ne
citent presque jamais de révélations privées qui ne sont pas objets de foi,
préférant s’en rapporter à « la Parole de Dieu », Parole de Dieu qu’ignorait
superbement mgr Williamson dans sonsermon, lequel est une conversation, à la
différence d’une homélie qui est un commentaire de la Parole de Dieu. Mais les
prêtres qui n’ont que le mot de « Parole de Dieu » à la bouche
seraient bien embêtés si Dieu venait leur parler en personne et bousculer leurs
habitudes de se saisir du corpus de ce qu’Il a dit sans être jamais contredit
par Celui qui n’inspire plus que dans des locutions intérieurs au pouvoir
discrétionnaire extrêmement discret. Mgr Williamson à l’inverse en pince
tellement pour la catholicité de l’Église qu’il préfère la Tradition aux
Écritures et qu’il ne lui paraît pas très nécessaire de se référer à celles-ci.
Pour les uns, Dieu parle de manière à ne plus pouvoir être sollicité dans un
quotidien où Il aurait envie de dire des choses actuelles et pour l’autre, IL continue
de parler à ses « voyants ». Dans les deux cas, la Parole de Dieu est
hors-sol.
Dans son sermon, mgr Williamson va au cœur du réacteur de l’encyclique
Pasciendi et rien que pour cette raison, on est frappé de la pénétration
de son esprit. Pasciendi va décrire et décliner toutes les figures de chercheurs
modernistes (l’historien, le théologien),mais chacun d’entre eux est dépendant
du « philosophe moderniste », dont le déconstructionnisme avant la
lettre ne va plus le faire croire au surnaturel, mais au « phénoménisme
agnostique » : les apparences ne sont plus trompeuses et la foi ne
peut plus les qualifier. « Ceci est un principe négatif », note mgr
Williamson ; mais come la nature a horreur du vide, ce principe négatif
doit être contrebattu par « l’immanence vitale », qui garantit le
développement interne du dogme par le croyant et par le théologien, en fonction
du vide creusé par le besoin inassouvi du « phénoménisme agnostique »
et que doit désormais remplir le dogme,
qui n’est plus que la friandise dont l’enfant a besoin puisqu’o l’a délesté d’un
bien plus fondamental qui remplissait sa vie spirituelle. Je suis l’auteur de la
métaphore sur la friandise, mais je la crois fidèle à une époque devenue encore
plus feuerbachienne que la pente quifait de moi un chrétien pas loin d’être
allégorique, qui a beau jeu de dire qu’on n'abrite sa foi qu’à l’ombre d’une
théologie négative, souffrît-elle de puiser dans l’idéalisme occidental un
surcroît très ordonné de pulsion de mort.
Et mgr Williamson d’ajouter que les tenants du phénoménisme
agnostique ont renié la nature et l’ont laissée pour morte. Ils voient le monde
par intention. Donc ils peuvent dire que « deux et deux font quatre »
pour ne pas devenir fous, mais cette manière de garder un rapport au réel est
subordonné au fait que deux et deux pourraient tout aussi bien faire cinq, pour
peu que je le décide, car « le monde ne vaut que par la façon dont je l’intentionnalise »,
me disait Mademoiselle Labesse à la Sorbonne, et j’avais envie de lui faire une
honte de cette idée saugrenue enla provoquant : »Imaginez que je
décide que, pour me rendre à votre cours, il n’y a pas cinq marches
descendantes, mais seulement quatre. Je pourrais bien me retrouver les quatre
fers en l’air et vous ne seriez pas fière si, m’étant fait très mal, je disais
au médecin que je me suis rapporté à vos principes sur l’intentionalisation du
monde.
Mgr Williamson disait que les « phénoménistes
agnosticiens » sont de mauvais arithméticiens, comme la plupart de ceux
qui ont gardé la foi aujourd’hui, qu’on ne peut pas accuser de l’avoir perdue, « ils
peuvent être braves et sincères et il faut faire envers eux preuve d’une
véritable charité, il faut beaucoup les aimer », bien que le vice de leur
raisonnement dont ils sont assez peu responsables, car ils sont des enfants de
leur époque, tienne à ce qu’ils peuvent penser « en même temps » que
deux et deux font quatre et que deux et deux font cinq. « Car la foi est
pour nous aussi indiscutable que l’arithmétique et si nous ne voulons pas que
la foi soit une arithmétique, nous sommes perdus et nous sommes errants. Nous
pourrions devenir fous si notre instinct desurvit ne nous ménageait pas quelques
points d’ancrage. Mais nous ne savons pas qui nous sommes, caril nous
plaît d’avoir une doctrine flottante là où nous devrions aspirer à avoir la foi
comme on connaît l’arithmétique.»
Eh bien cette idée-là me plaît. Quand je regrette que ma foi
vacille, c’est un véritable regret. Et quand je constate que les croyants mes
contemporains ne savent plus à quel saint se vouer, s’ils croient en la
Création ou en l’évolution, en un Dieu vrai ou en un Dieu mythique, en un Dieu
vivant ou en un Dieu parodique, quand je vois que les prêtres ne savent plus
sur quel pied danser, qui ils sont ni à
quoi ils servent,
Ça me fait de la peine et j’identifie avec mgr Williamson
que c’est parce qu’ils croient « en même temps » que deux et deux
font quatre et pourraient bien faire cinq. Décidément, le « en même temps »
n’a pas fait du mal qu’en Macronie.