Personne ne comprend ce que je vais essayer d'expliquer, mais il est tard et j'ai beaucoup vécu.
Une femme toute simple (elle devait être taxie ou vendeuse) me demande avant-hier si je comprends la différence entre la misère et le malheur. Je lui réponds que je la comprends parfaitement et elle me dit que je suis bien l'un des seuls à qui elle ne parle pas Chinois. J'en discute avecMarie-Noëlle Mulle,r, qui peint des coeurs en bois les yeux fermés, pour moi, ça veut tout dire, c'es tune de "mes" choristes et je lui ai demandé un coeur pour Nathalie, elle m'a dit qu'elle n'en trouvait pas à sa dimension, alors elle en fabriquerait un rien que pour elle.
Et nous reparlons de la distance entre la souffrance et le malheur. Cette distance infinie entre la misère et la souffrance d'une part, mais surtout entre la souffrance et le malheur d'autre part,"(Il y a une distance infinie entre la misère, la souffrance et le malheur", a écrit Simone Weil, en propres termes ou peu s'en faut.), je vais essayer de l'expliquer, c'est redoutable.
Qu'est-ce que le malheur? C'est un truc qui t'arrive tellement fort qu'il n'y a plus personne entre le monde et toi. Il y a un mur, ça s'apparente à l'autisme, mais ça ne circonscrit pas l'autisme. Toi qui te crois "normal" (et tout le monde se croit normal, quelle est la différence entre le normal et le pathologique? René Leriche a mieux répondu que ce médecin féru de sciences humaines inexactes qui se croyait intelligent de Georges Canghillem: Canghillem s'est contenté de citer Leriche sans donner une définition qui dépassât la sienne: "La santé est le silence des organes", C'est ça. La santé, c'est quand tu n'as pas de gargouillis ni de ballonnements. Donc c'est quoi la différence entre la souffrance et le malheur? Disons que toi, le souffrant, le souffreteux, le mélancolique, le romantique, , tu voudrais entrer dans le monde du malheureux et tu essaies de traverser le mur qui sépare le malheur de la souffrance, mais tu n'y arrive pas et tu ne comprends pas pourquoi. Pourquoi le malheureux te rejette-t-il et a-t-il raison de te rejeter(il a raison par définition puisqu'il souffre plus que toi)? "Nous ne sommes pas du même monde, il te dit, "il y a un abîme entre toi et moi" pourrait dire le pauvre Lazare au mauvais riche si ce dialogue avait lieu antemortem. "
Il y a une scelle interjetée entre la souffrance et le malheur, mais la brèche qui se fait naturellement dans cette scelle est le chagrin. J'ai connu le trauma, j'ai connu la souffrance, j'ai vu le malheur de près, mais je ne l'ai pas subi. J'ai essayé de l'appréhender, je ne l'ai pas compris et pour cause: je ne l'ai pas vécu. Mais quand même, mais tant pis, j'ai essayé de le rejoindre.
Le chagrin s'était simplement chargé de me rendre malheureux, j'aurais dû m''en tenir là, ne pas revendiquer davantage de malheur, par romantisme et goût de la mélancolie.
Mais voici le chagrin. Le chagrin pleure et il veut être reconnu par le malheur. Le chagrin est la seule toute petite brèche qui existe entre la souffrance et le malheur.
Mais que dire de la misère? C'est une hérédité sociale de pauvreté qui fait que les parents ne transmettent aucune valeur à leurs enfants parce que personne ne les leur a transmises (la méritocratie républicaine n'est pas pour eux), Même des gens bien disposés come j'en étais pensent que la misère reproduit la misère=invention du quart monde, et la misère fâche tellement tout le monde que l'Evangile (qui est un manifeste d'économie libérale, c'est la seule chose intelligente qu'a dite Charles Gave) appelle les miséreux les pauvres, et n'appelle pas les pauvres les "miséreux". Au contraire, "des pauvres, [il faut que] vous en [ayez] toujours avec vous.")
Pourquoi?
Enfin bref. Si je me définis par rapport à ces catégories que j'ai moi-même inventées, découvertes ou mises en lumière (mais qu'est-ce que la lumière? C'est de l'air qui entre dans des yeux aveugles et comment je crois? Si "Dieu est lumière", j'aimerais donner quelque chose de ce petit air qui entre dans mes yeux à travers ces petits airs que j'ai dans la tête. Maisz je ne sais pas si je crois, je ne sais pas ce que je fais.) si donc j'essaie de savoir si je suis malheureux (je n'en suis pas digne),, miséreux (ça va encore !) ou simplement ultra-torturé (et ça, c'et sur!), je suis un souffrant souffreteux et pathologiquement compassionnel qui aurait voulu offrir toutes les peines du monde à ma première petite amie Stéphanie qui ne les connaissait pas, car c'était une petite fille heureuse, sauf qu'elle avait du chagrin, sauf qu'elle avait perdu la vue, sauf qu'elle devait vivre dans un internat stupide, lugubre et méchant chaque semaine du lundi au vendredi. Mais son bonheur apparent, rural et bourgeois rendait amoureux d'elle, à l'idée que rien ne lui suffisait, même pas d'être chouchou des profs, même pas qu'on lui accroche son manteau avec plaisir parce qu'elle était petite alors qu'elle nous traitait d'imbéciles. Quand on a tou, on n'a rien. Ma poupée avait du chagrin. Et J'étais trop bête pour le comprendre et pour voler vers elle, la prendre dans mes bras (elle m'aurait donné une claque) et tenter de la consoler. Ma poupée avait du chagrin, C'est toujours ma poupée, elle peut me traiter tous les jours d'imbécile. Je l'adore, quarante ans après. Pourquoi? Juste à ce niveau-là, parce que c'est moi, pas parce que c'était elle. D'"elle et moi", il n'y en aura jamais qu'entre Nathalie et moi.Je n'adorerai réciproquement que mon bébé Nathalie, mais je continue d'adorer toutes les femmes que j'ai aimées, car j'ai compris de quoi elles soufraient. Elles étaient petites, mais elles avaient un très grand bobo. J'aurais dû lui souffler dessus. Elles avaient un très grand bobo, mais Nathalie avait très mal.
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