Le problème avec les définitions
de Dominique reynié, c'est qu'elles sont imprécises, mélangeant du structurel
et du conjoncturel.
Le choix du mot
"populisme" est le premier sujet à caution. Le populisme devrait être
l'essence de la démocratie puisque celle-ci est le gouvernement du peuple, par
le peuple et pour le peuple. Mais ne trouvant pas le mot de
"démagogue" ou de "démagogie" au service de ce qu'il
voulait discréditer (parfois le mot juste nous reste sur le bout de la langue),
le premier sociologue ou éditorialiste qui a balancé, puis popularisé le mot de
"populisme" a intenté sans le savoir un procès à la démocratie.
Examinons quelques-unes des
pièces de ce procès. Et d'abord, le populiste donnerait-il effectivement le
pouvoir au peuple s'il arrivait qu'il parvînt au pouvoir ? Je voudrais le
croire, mais quelque chose me dit qu'il l'affirme aussi longtemps qu'il se pose
en tribun de la plèbe. Que notre plébéien devienne un patricien dictateur et il
pourrait oublier ses promesses de partager le pouvoir. Pour autant, est-il
démagogique de recourir au référendum ? Je ne vois pas pourquoi, tant que
le référendum n'est pas un plébiscite qui conforte un pouvoir personnel.
Examinons maintenant les termes
de la définition de Dominique reynié.
« Le qualificatif de populiste
désigne les partis qui cherchent à tirer profit de la crise en développant un
discours contre les "élites", contre les immigrés, contre l'euro,
contre l'Europe, contre la globalisation, contre les économies budgétaires,
etc. » (in "Populisme, la pente fatale", Paris, Plon, avril 2011).,
"Le qualificatif de
populiste" s'appliquerait donc à des "partis" et non à une
attitude. Pourquoi ?
Que font de mal ces partis ?
Ils "cherchent à tirer profit de la crise", c'est-à-dire qu'ils se
repaissent des problèmes qu’ils posent sans y apporter de solutions? N’est-ce
pas un procès d’intention ?
Dominique Reynié ne se pose pas la question. Il n'examine pas les
solutions des populistes, il s'en prend au "discours" qu'ils
développent en qualité de "[profiteurs] de crise".
Qui vise le discours produit par
ces partis ? "les "élites", les immigrés, l'euro, l'Europe, la globalisation, les économies
budgétaires, etc.»
Les élites ou les immigrés sont
des constantes de la société, mais les autres éléments visés sont
conjoncturels. IL y aura toujours des " élites", des immigrés et une Europe, par contre on
peut sortir de l'euro et la zone euro peut éclater, et même si le fait est
improbable, les nations peuvent se lasser de la "globalisation" et
chercher à sortir de l'interdépendance pour retrouver une identité propre. Seul
l'Occident n'a rien d'animiste et se délecte de l'internationalisation des
goûts et des couleurs, de la standardisation de la culture et de
l'impersonnalisation du producteur et du consommateur. Pour faire aimer leur
musique, il arrive que des Japonais ou des Africains lui mettent une sauce ou
une farce internationale, mais elle ne perd jamais tout à fait son sel.
"Adieu ma concubine" reste un opéra chinois comme les films de
bollywood n'ont repris que certains éléments de la culture américaine. Nous lui
sommes beaucoup moins résistants, l'américanisation nous a beaucoup plus gagnés
et rendus serviles que le reste du monde, comme nous en avertissaient
Baudelaire ou Léon XIII.
Dominique Reynié introduit des
éléments conjoncturels dans sa définition du populisme et cela me semble être
une erreur de méthode, sinon une légèreté.
Est-ce que, selon Dominique
Reynié, un gouvernement sain serait nécessairement favorable a tous les items
qu'étrille le populisme et donc aux "élites", aux immigrés, à l’euro,
à l'Europe, à la globalisation et aux économies budgétaires ?
D'abord, pourquoi Dominique
Reynié met-il le mot "élites" entre guillemets ? Nierait-il,
comme l'aurait dit Bourdieu (mais Dominique Reynié est beaucoup plus centriste
et ne réduit pas, àjuste titre, la sociologie à un rapport de dominateurs à
dominés), qu'un capital culturel distingue les héritiers et se transmet de
manière à sécréter des élites dominantes issues de la bourgeoisie, qui est
l'aristocratie républicaine ayant recyclé à son profit les privilèges arrachés
aux nobles et abolis sous la Révolution? Certes, à présenter les élites sous un
jour aussi peu amène, je puis difficilement poser la question qui suit :
pourquoi le populisme se forge-t-il systématiquement contre les élites ? Bien
sûr, si l’on pense que les élites ne sont à la fois pas issues de la
méritocratie républicaine et qu’elles sont déconnectées du réel, on ne peut pas
les aimer. Mais est-ce une fatalité ?
Ayant fait un sort aux élites,
voyons quel est celui des « immigrés ». Les premières roulent-elles
nécessairement pour les seconds ? Les associer dans le « discours »
produit par les partis profiteurs de crise dans un immigrationnisme fantasmé
est certes un facteur de dissociété et de dissolution de la société, mais il ne
faudrait pas oublier que, jusqu’à l’après-Seconde guerre mondiale, l’histoire a
toujours été xénophobe. C’est une lente désaccoutumance que de changer de
paradigme. Si les partis populistes s’y refusent dans leur « discours »,
tout comme à abandonner le parler poissard, on peut en conclure qu’ils se
comportent comme des alcooliers qui soulent le peuple des restes de sa haine
recuite en le méprisant, mais aussi que le populisme prouve à son corps défendant
que le nationalisme ne peut être que xénophobesous peine de ne pas être. Et si
le nationalisme est xénophobe, c’est que le nationalisme, c’est la guerre.
Vouloir vaincre le RN n’est pas une condition suffisante, mais nécessaire et quand on lit le rejet des déracinés qui ont le malheur d'"avoir des origines", on en sent la
nécessité poignante. Mais ceux qui semblent ne pas vouloir le faire, ou
voudraient bien le faire, mais abordent continuellement les thèmes serinés par
le RN, cèdent à un réflexe de fascination dans l’attrait sémantique duquel je
ne puis me défendre de croire que consiste le fascisme, qui est une sorte de fascination
des archaïques.
Reste à examiner trois items. L’euro
n’est-il pas une monnaie condamnée de naissance du fait de la disparité des
niveaux de vie des pays qui se sont réunis pour l’adopter et n’est-il pas une
trappe à bas salaires, à inflation et à baisse du pouvoir d’achat, bref à grand
déclassement des classes moyennes inférieures, à l’origine de la crise des
Gilets jaunes ? L’ »Europe », que Dominique Reynié confond
avec l’Union européenne, n’est-elle pas en train de mourir de sa bureaucratie et
de ce que les peuples n’en veulent pas parce qu’elle s’est faite dans leur dos ?
L’Europe a été faite pour brider des peuples peu pacifiques, et les passages sur
l’Allemagne que contient le livre de Robert Schumann, Pour l’Europe, dont
l’auteur était un catholique mosellan, ne dissimulent pas qu’il s’agit d’éviter
que le démon belliqueux des Allemands les reprenne. Un projet fait pour brider un
élan immaîtrisé est condamné à ce que ceux qu’on veut brider demandent qu’on
leur lâche la bride. Les peuples veulent consumer leur histoire de manière débridée.
Si l’Europe se défait comme elle
en prend le chemin, le naturel des grandes aires d’influence reviendra au
galop. Le Brexit en a donné le signal et la mort d’Élisabeth II rappelle l’existence
du Commonwealth. L’Allemagne est attirée vers la Mitteleuropa et la France a la
francophonie pour faire communauté au sein de la latinité. Nicolas Sarkozy n’aurait
jamais dû entraîner l’Allemagne dans l’Union méditerranéenne qu’elle a
peut-être détruite. L’implantation des valeurs occidentales dans une Ukraine de
koulaks consuméristes montre que ce genre de greffe ne prend pas à côté d’un
Empire russe qui veut se reconstituer sur une arche de valeurs conservatrices
plus en rapport avec la réalité que le monde reconstruit qu’on veut nous
imposer de toutes pièces jusque dans la négation des genres.
Ce »nouveau monde » (« libéral
conservateur » ?) est-il assujetti à l’interdépendance économique ?
Il semble que oui et que la révolution des transports s’allie à la révolution
numérique pour que la circulation des personnes n’aille jamais aussi vite que celle
des biens, mais soit tout aussi inévitable.
Qui peut être contre « les
économies budgétaires » ou la baisse des dépenses publiques ? Pas
plus les partis populistes que les partis dits de gouvernement. Mais si « le
cercle de la raison » décide que la compétitivité doit primer sur l’affectation
des recettes de l’État aux dépenses de santé, au maintien de l’hôpital et de l’école,
de la police et de la justice, à un service public qui tienne sur ses agents et
sur ses guichetiers pour tenir la route, au lieu de privilégier les ronds de
cuir, pondeurs de normes, sans être démantelé par un État dérégulateur, les
partis populistes sont-ils infondés à dire que l’on pratique une politique d’austérité
injuste, même si la campagne de Jean-Luc Mélenchon a promis un arrosage
tellement général que le tournant de la rigueur qui s’en serait suivi aurait
été d’autant plus douloureux ?
Bref, il existe un discours alternatif qui ne cherche pas tant à profiter des crises qu’à trouver d’autres solutions pour vivre les crises sans affecter le moral du peuple et du pays, et c’est ce que Dominique Reynié s’entend à ignorer dans sa disqualification très tempérée, façon Fondapol, dont les études accusent une certaine superficialité, de l’objet populisme.
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