<p> Double commentaire à cet article du "Monde et à ce billet de blog de Philippe Bilger: <p>
https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/09/l-avenement-de-la-societe-du-commentaire_6076109_3232.html <p>
Et <p>
https://www.philippebilger.com/blog/2021/04/faut-il-d%C3%A9noncer-la-soci%C3%A9t%C3%A9-du-commentaire-.html <p>
Substituons en effet "le commentaire de la société" à "la société du commentaire". J'aime la simplicité de votre aveu: "Le commentaire a toujours trouvé grâce à mes yeux. Parce que je n'ai jamais su faire que cela." Je le contresigne en avouant à mon tour avec Jean-Sébastien Ferjou: "On s'informe aussi [et on s'exprime encore davantage] pour passer le temps." La rédaction d'un commentaire est moins contrainte que la correction ou la mise en forme patiente d'un écrit qui vous prend toute votre énergie. Le commentaire est une espèce de divertissement et de désoeuvrement qui nuit à votre oeuvre si vous croyez qu'une oeuvre vous attend, mais "il faut faire avec ce qu'on est" et avec l'énergie qu'on a. Les artistes contemporains ont réduit l'"oeuvre" au "travail" et cette modestie est peut-être à leur honneur. Ils ne font qu'"installer" leurs efforts dans le cham d'un possible éphémère. <p>
J'ignorais que Guy Debord, qui fut relativement peu prolifique, avait écrit des "Commentaires" à sa "Société du spectacle". Nicolas Truong a bau jeu de retourner le propos: "Aujourd'hui, c'est précisément le commentaire qui est devenu un spectacle." eh bien non. Car l'intérêt de "la Société du spectacle" est de faire toucher du doigt que "le vrai est un moment du faux". Et pour faire la part du faux, rien de tel que le commentaire. L'oisif Guy Debord a au moins été utile à cela. Je me range derrière son panache blanc.
Dans un monde littéraire idéal, on dirait du commentaire ce que Montaigne en disait: "Nous nous entreglosons." Mais Montaigne ne craignait pas de se mesurer aux plus grands esprits des siècles passés. Sur l'agora du "commentaire de la société" où nous sommes de pâles figurants, nous ne faisons que commenter cette actualité où un clou chasse l'autre. C'est nous faire un mauvais procès que de nous opposer aux acteurs en démocratie représentative où nous ne faisons pas partie de la distribution. Et c'est nous faire un autre mauvais procès que de nous reprocher de réagir en 280 signes: tout d'abord, les réseaux sociaux ne donnent pas plus cher de notre message; ensuite, nous pouvons détourner la contrainte en transformant nos réactions laconiques en liens sur des billets de blog ou sur des vidéos; et enfin, nous ne faisons que répercuter l'ancien procédé des "petites phrases", à quoi se résumait tout un long discours politique, par le choix sans discernement autre qu'immédiat d'un journaliste, aujourd'hui jaloux de se voir confisquer le monopole du ministère de la parole par ce gloseur prétendument inculte que le citoyen de l'ombre, participant de l'opinion publique que le journaliste n'est plus seul à forger en service commandé et en détenant le quatrième ou le premier pouvoir, devient de concert avec lui. <p>
On croyait que l'éditorialiste avait la légitimité du terrain. Mais "le terrain pollue l'esprit de l'éditorialiste", comme osait le soutenir Christophe Barbier, qui n'est pas à une outrance près. Je m'amuse à entendre citer des interviewers politique connivents comme de "grands reporters". Et je cherche en vain ces "intellectuels spécifiques" dont parlait Michel Foucault et que, jeune étudiant à la Sorbonne, je m'étonnais de ne jamais voir comparaître sur le forum médiatique, où mes professeurs auraient eu plus de légitimité que les toutologues tous terrains.
Je m'amuse d'un Pierre Musso qui ose écrire une "Critique des réseaux" en s'imaginant qu'il existe, sur Facebook, une "alternative entre like et no like". Et le gars est professeur! Et son éditeur universitaire ne lui a pas signalé qu'il devrait faire un tour sur Facebook avant d'écrire une critique de ce réseau social que manifestement il ne connaît pas! Je m'amuse encore de voir Gérard Noiriel, qui n'a pas cru excessif de comparer Eric zemmour à Edouard Drumont, distinguer les "intellectuels de gouvernement" des "intellectuels critiques". J'ai toujours estimé Luc Boltanski depuis son livre sur l'engendrement, qui a fait prendre de la hauteur au débat sur "la vie" et sur l'interruption volontaire de grossesse. Je ne m'étonne pas qu'avec Jacques Rancière et quelques déconstructeurs auxquels les réactionnaires qui ne les ont pas compris reprochent d'avoir essayé de nous libérer de quelques chaînes, il mène une enquête pour analyser de quoi les réseaux sociaux sont le signe, plutôt que d'asséner leurs convictions défavorables à la démocratisation des supports (qui ne sont que des supports), comme le font Cécile Alduy et tant d'autres sémiologues, qui regrettent que le débat démocratique se soit élargi à d'autres sujets que ceux qui les intéressaient traditionnellement. <p>
Il y a certes, entre commenter et créer, une opposition du même genre que celle qui existe entre agir et contempler dans la vie monastique. Mais puisque tout le monde n'a pas le rang d'acteur dans la société du spectacle, oublions que la critique est aisée et l'art est difficile, croyons que nous sommes des influenceurs et jetons-nous sous les feux de la rampe du commentaire. <p>
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