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jeudi 12 novembre 2020

De Gaulle, résumé par ses entretiens avec Michel Droit

<p> Je n'avais jamais écouté au long cours les entretiens de De Gaulle avec Michel Droit. Hier soir, grâce à eux, j'ai passé une nuit avec De Gaulle... <p>


N'ayant pas pris de notes, j'en retire de mémoire ces différentes observations: <p>


    1. Qu'a-t-on reproché à Michel Droit? D'être marqué à droite, car directeur du "Figaro littéraire". En tout cas, il pratique un journalisme que l'on voudrait voir exister encore, où le fait d'interrompre ne constitue pas un point d'honneur. Michel Droit pose des questions impertinentes au nom des Français,  ne prétend pas les poser toutes, puis laisse le général répondre en longueur à chacune, semblant avoir écrit une partie de ses réponses, notamment son analyse de "la société mécanique" dans son entretien du 10 avril 1969. <p>


C'est aussi le général qui marque la fin des entretiens, disant "car il faut que vive la République et que vive la France" pour conclure l'entretien du 15 décembre 1965, et laissant Michel Droit sur sa faim lors de l'entretien du 10 avril 1969 déjà cité, sans répondre à l'objection que ce référendum est un plébiscite. <p> 


    2. De Gaulle anti-européen ? Certes non.  Il ne croit guère à la confédération européenne qui pourrait résulter d'une relation de plus en plus rapprochée entre les Etats qui constituent "le marché commun". Il vise "une organisation de l'Europe occidentale" qui n'est que la moitié de "l'Europe de l'Atlantique à l'Oural", intégrant celle qu'il n'appelle pas "la Russie" dans ces entretiens, mais bien "la Russie soviétique", avec laquelle il n'est pas question de faire une alliance  entre Etats malgré ce qu'Henri-Christian Giraud a mis en évidence des liens secrets qui existaient entre De Gaulle et Staline et les partiscommunistes soviétiques depuis lors, mais il faut garder le contact avec la Russie et ce communisme que, sur le départ, il n'hésite pas à appeler une "entreprise totalitaire" et avec lequel il a bien joué, aussi bien pendant la guerre, où Staline interdit à Maurice Thorez de faire sortir le parti communiste français du Conseil national de la Résistance pour inscrire la France dans le Komintern, que pour résoudre la crise de mai 1968 où les contacts que De Gaulle prit avec les dirigeants du Komintern circonscrivirent l'agitation des communistes français, que De Gaulle accusa de vouloir "prendre sa place". <p>


Quant à l'"Europe des six" que De Gaulle voyait bien s'élargir à l'Angleterre et à l'Espagne (Pompidou n'a donc pas été infidèle à De Gaulle en organisant un référendum en ce sens), mais ni au Portugal ni à la Grèce, il ne la concevait pas même comme une "Europe des patries" (c'était trop dire), mais comme une "coopération des Etats". Il avait été échaudé en matière d'"intégration forcée" lorsqu'il subit la proposition de Jean Monnet d'une absorption l'une dans l'autre de la France et du Royaume-Uni. <p>


De Gaulle fait un constat très lucide quand il parle d'une défense à rechercher entre les Six et d'une "action" à mener, sans que cette action prenne le nom de "politique étrangère et de sécurité commune", tant les intérêts de l'Angleterre, qui ne fait pourtant pas encore partie des Six, sont éloignés des intérêts de la France. <p>


De Gaulle n'est assurément pas celui qui, comme Victor Hugo, aurait rêvé des "Etats-Unis d'Europe", mais ce n'est pas non plus un souverainiste français comme  ceux qui s'en réclament aujourd'hui, Paul-Marie Coûteaux, Florian Philippot, Pierre-Yves Rougeyron ou François Asselineau. <p>


     3. De Gaulle anti-américain? Ce n'est pas parce qu'il n'"accompagne" pas toujours les Américains "qui ne nous ont pas toujours accompagnés" qu'il ne sait pas que la France et les Etats-Unis ne sont pas des alliés" par nature", comme ils l'ont souvent été dans l'histoire. Si De Gaulle ne remonte pas à l'aide qu'apporta la France lors de la guerre d'indépendance des Etats-Unis, c'est pour ne pas rappeler que roosevelt voulut procéder à une partition de la France. Il a du mal à lui pardonner de ne pas l'avoir choisi comme seul interlocuteur pendant la guerre, ce qui lui valut de voir les GIs se faire tirer dessus "de tous bords", aux prises avec les soldats dont Vichy disposait dans l'armée d'Afrique, dont le ralliement était incertain.  De quoi tordre le cou à la volonté de Pétain de s'entendre avec les Américains et aux efforts qu'il faisait en sous-main en ce sens, efforts souvent évoqués par le général Jacques Le groignec dans ses livres panégériques sur Pétain? <p>


4. De Gaulle est sensible au "malaise paysan". Il introduit de force l'agriculture dans le marché commun, car lourd est le poids de l'agriculture française qui n'est plus autosuffisante ni autarcique, et doit exporter ses excédents de viande, de  lait, de fromage ou de vin parmi ses partenaires les plus proches qui doivent en être les premiers importateurs, ce dont il fait une condition sine qua non pour que la France reste dans le marché commun, décision qui sera à l'origine de la politique agricole commune (PAC), car le traité de Rome n'avait envisagé de dispositions que pour l'industrie. La PAC aura pour conséquence lointaine une mise au pas de l'agriculture française, incapable de vivre de son travail sans recourir aux subventions européennes. <p>


     5. De Gaulle n'est pas dépassé par une société à laquelle le progrès technique fait changer de conditions de vie comme jamais "depuis l'Antiquité", au point que les agriculteurs veulent "des chemins" pour parvenir à leurs exploitations et, pourquoi pas, "le téléphone", pour qu'il y ait plus de confort à vivre en paysan. Et il en va d'eux comme "de la ménagère", à qui il compare la volonté du chef de l'Etat, qui veut "le progrès, mais pas la pagaille". En cela De Gaulle dessine le portrait d'un dépassement de la gauche et de la droite qui les prenne en compte, sans que la définition du nouveau bien commun de la France s'enlise à devoir choisir entre tradition et Révolution. <p>


De Gaulle reconnaît que l'époque est "économique et sociale". En 1965, il pensait qu'elle était essentiellement "économique" et qu'il se devait d'assurer "la prospérité nationale" plus que la prospérité des Français, définie par intérêts catégoriels. En 1968, il corrige son diagnostic et voit qu'il lui faut agir sur le volet "social". Car le monome de 1968 est peut-être intervenu dans ce milieu qui s'agite toujours, celui des étudiants, lesquels s'"ennuyaient" parce qu'ils ne savaient pas qu'ils étaient saturés d'une paix péniblement conquise par les générations qui les avaient précédés. De Gaulle identifie néanmoins le malaise plus profond qui est à l'origine de la "révolution 68". L'ennui du consommateur n'en est qu'une source superficielle. Le pouvoir de consommer n'est que matériel et ne donne pas un idéal. Déprimante est l'impression de perdre tout pouvoir dans la "civilisation mécanique", dont le malheur est précisément d'être mécanique, note astucieusement le général. <p>


Pour sortir de la domination de la machine, De Gaulle cherche une solution "humaine" et oppose "la participation" au "communisme", "humainement mauvais" et au "capitalisme", moins "intrinsèquement pervers", mais non moins contraire à la dignité humaine. <p>


Au départ, on a l'impression que la participation est une part, fixée par la loi, que les salariés doivent prendre dans "l'affaire", et l'entreprise, la société, quelle que soit sa taille, même si Michel Droit en exclut les PME et que le général ne le contredit pas, dans laquelle ils exercent leur activité professionnelle. 


Mais "les milieux du travail" sont hostiles à la participation, regrette le général qui a déjà beaucoup milité pour elle, "notamment par la création des comités d'entreprise",car le projet dispose que les salariés élisent leurs mandataires sans mention ni appartenance obligatoire aux syndicats, dont le général rappelle que leur création est postérieure à la Révolution, suggérant qu'ils nuisent à l'indivisibilité de la République et que les conventionnels étaient, comme lui, plus proches de l'esprit des corporations comme on l'était au Moyen-Age, que favorables à ce que le corps social se scinde en "fractions" ou en segments, que De Gaulle cherche certes à intéresser aux décisions en rapport avec le travail, mais qui ne se montrent guère coopératives. <p>


    6. Le malheur de l'année 1968-1969, comme le note Michel Droit, est qu'on n'aura guère avancé dans la législation autour de la participation, qui se dilue dans la cogestion des universités par les maitres et par les étudiants, et dans la régionalisation, liée dans la question référendaire à l'intégration au Sénat des membres des corps intermédiaires, réunis avant ce référendum dans le Conseil économique et social, "qu'on ne consulte que confidentiellement et quand on veut bien le consulter". <p>


Loin de "la mort du Sénat", que ses oppositions accusaient De Gaulle de vouloir provoquer après qu'il l'eut recréé et qu'il lui eut redonné son nom dans la constitution de 1958, le progrès qui aurait résulté pour le Sénat de cette consultation référendaire, dont Michel Droit regrette à juste titre qu'elle n'ait pas été subdivisée en question sénatoriale et question régionale pour en "dramatiser" le résultat, aurait été que le Sénat, formé d'élus locaux et de membres des corps constitués, aurait été consulté avant l'Assemblée nationale, lors de l'élaboration des lois. <p>


Mais De Gaulle voulait en finir avec le pouvoir et cédait à la tentation du retrait qui l'avait toujours habité, et qu'il détaille dans l'entretien du 7 juin 1968. <p>


Claude Askolovitch écrivait de Lionel Jospin que la "tentation du retrait" était inséparable de sa pratique politique. Chez lui, c'était une forme de modestie venant corriger un orgueil essentiellement tiroÏdien. Chez De Gaulle, on sent que c'est le côté dépressif accompagnant un besoin de grandeur que la "réalité" d'une France, "puissance" universelle, mais "moyenne", contrariait. C'est comme une fragilité psychologique dont la lutte qu'il lui a opposée a fait de De Gaulle l'homme d'Etat qu'il a été, mais qui a fini par avoir raison  de son "pouvoir personnel", autorité cherchant pour lui succéder quelqu'un qui serait transpartisan, ou plutôt qui serait du parti de la France, faute duquel trouver, De Gaulle réfute en vain en 1965 ceux qui lui font observer qu'il gouverne en faisant ce chantage: "C'est moi ou le chaos". En 1968, profitant de la description d'un tableau primitif que lui fit l'un de ses amis ("il m'en reste quelques-uns. Cet "ami" était-il Jacques Chirac? Le portrait était assez courtisan pour lui ressembler), le dépeignant en "bon ange", qui se présente pour que la foule ne se précipite pas au "néant", foule qui lui revient quand elle s'est arrachée au "diable" qui, "s'il est dans le confessionnal... "C'est moi ou le néant" est peut-être une de ces formules apocryphes qu'il n'a jamais prononcées comme "l'intendance suivra", mais qui se tire encore de sa citation du "Roi des aulnes" pour comparer la situation du peuple français à son égard, et dénoncer la pulsion suicidaire de ce peuple s'il s'écarte de lui, pulsion suicidaire que De Gaulle avoue avoir eue au soir de l'élection présidentiellle de 1965 qui l'a mis en ballotage, où "une vague de tristesse a failli m'emporter au loin." Cette fragilité humanise le commandeur mythique, en même temps qu'elle déstabilise un pouvoir qui paraît constamment menacé par le chantage de celui qui l'exerce, qu'il ait été fait aux Français ou, pour la victoire de la France, aux dirigeants alliés. <p>

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