<p> Je suis assez éberlué d’avoir découvert Frantz Fanon
grâce aux « Grandes traversées » de « France culture » qui
m’ont presque toutes intéressé cet été, à commencer par celle qui retraçait la
vie de Karl Marx. Frantz Fanon est un penseur violent et subtil tel que je ne l’imaginais
pas. Il a baigné dans le milieu sartrien sans s’apercevoir que derrière la façade
bonenfant des « Temps modernes » ou de Michel Leiris, ce pilleur d’Afrique,
se pavanait un élitisme qui voulait bien « lâcher l’homme » sans le
circonscrire à sa condition ethnique ou sociale, mais ne partageait pas avec Frantz
Fanon l’urgence de mettre du sens derrière les choses et de situer l’homme face
à l’être, ce dont l’existentialisme est une pure négation en un sens, si l’existence
précède l’essence. Ce qui a pu voiler à Fanon le caractère insensé de la pensée
sartrienne qui ne s’en est pas dédommagé en écrivant « l’Orphé noir » qui n’engageait pas à
grand-chose, réside en partie, je crois, dans l’aveu de Simone de
Beauvoir de sa confiance dans le langage, confiance qui ne la faisait pas le remettre
en cause à la manière d’un Roland Barthes, mais qui était de pure forme et de
pur confort pour pouvoir écrire à loisir, et qui n’était pas telle que celle d’un
Frantz fanon qui pensait que « parler, c’est exister absolument pour (autrui) »,
et qui par conséquent allait droit au but, non seulement en n’hésitant pas à traiter
d’imbécile qui il croyait tel, mais encore en regrettant que « parler petit
nègre à un nègre » ne soit pas simple condescendance, mais assignation à rester
où il est et suspicion qu’il n’a pas de culture originale, alors que d’un
Allemand ou d’un Russe qui ne parlerait pas Français contrairement à des
Antillais qui n’aspirent qu’à bien le parler, en l’aidant par gestes pour qu’il
s’en sorte malgré ce handicap de langues, on ne supposerait pas qu’il n’ena pas. <p>
À la fin de sa vie, Fanon avait été passablement
déçu par Sartre, mais le compagnonnage de Sartre et de ses amis n’était qu’un
milieu que Fanon s’était choisi peut-être à tort, et cela n’avait qu’une
importance relative au regard de sa position ontologique : Fanon situait
encore une fois l’homme face à l’être qu’il doit en quelque sorte dépasser :
l’homme doit trouver son dépassement en clarifiant sa situation face à l’être
et en ne la laissant s’inscrire dans aucun déterminisme. Fanon regrette avec
Nietzsche que le malheur de l’homme soit d’avoirété enfant. Il se sent
redevable du cosmos, mais il affirme qu’il « appartien(t) irréductiblement
à (son) époque et que c’est pour elle qu’(il doit) vivre. « L’avenir doit
être une construction soutenue de l’homme existant. » Loin de penser comme
Camus que l’homme est là pour empêcher que le monde se défasse, Fanon pense que
l’homme est là pour changer le monde et que c’estcela qui nous requiert constamment.
On présente Fanon comme plus violent que Césaire,
ça paraît assez discutable, sinon que ces deux penseurs n’ont pas fini leurs
jours dans le même pays. Pas plus que Césaire, Fanon n’a pris une option maximaliste
pour l’indépendance de la Martinique et des Antilles, ce que je n’ai jamais
compris d’ailleurs, même lorsque j’ai séjourné là-bas. Césaire a allègrement
confondu la condition des Africains et celle des Antillais descendants d’esclaves.
Fanon aurait voulu avoir le temps d’en entreprendre une étude séparée. Et pour
autant que je ne commette pas de contresens en tirant la négritude du côté d’une
essentialisation de la relation de maître à esclave qui ne devait cesser de
perdurer entre le Noir et le Blanc selon Césaire, Fanon se situe au contraire dans
le refus du déterminisme du Noir et du Blanc, qui leur font oublier leur
caractère d’homme. <p>
Jacques Bainville aurait dit qu’en introduisant
le racisme dans la politique, on a ouvert la boîte de Pandore, car dès lors que
les guerres avaient changé de nature, étant passées de féodales à nationales,
puis s’étant transmuées en conquêtes lointaines, la composante ethnique ne pouvait
plus cesser de poser problème une fois considérée. Je ne suis pas sûr que Fanon eût dédit ce jugement de Bainville s’il
l’a effectivement prononcé, même s’il ne se serait pas reconnu dans le milieu
nationaliste où Bainville évoluait. Fanon était moins revenchard qu’Aimé Césaire.
On peut me reprocher d’émettre ce jugement sous
le bénéfice de n’avoir pas lu « Les
damnés de la terre » qui est plus violent que « Peau noire
masque blanc » par lequel j’ai
commencé, qu’on compte sur moi pour m’y atteler. <p>
Que si on se demande pourquoi Frantz Fanon s’est
battu pour l’indépendance de l’Algérie, c’est qu’il y a été muté et qu’on ne
lui a pas proposé de poste ailleurs. Et ce psychiatre qui avait commencé par
vouloir se battre pour l’empire français avant de rencontrer le racisme dans l’armée,
ayant vu le combat des Algériens et l’ayant trouvé juste, il l’avait épousé. Je
redis que moi-même m’étant trouvé en Guadeloupe, je ne comprenais pas que les
guadeloupéens ne se saisissent pas de la question de leur indépendance. Les marinas
des Békès me semblaient une insulte à la créolité et si j’avais été des leurs
ou résidé chez eux, j’aurais appuyé ce combat, qui m’aurait semblé juste.
Ironie du sort, car chez moi tout finit par des
sarcasmes, mais c’est bien involontairement, la faute à ma causticité. J’ai noté
un fait un peu drôle dans la prose de Frantz Fanon s’appliquant à l’exploitation
de l’affaire George Floyd. Frantz fanon écrit explicitement ceci : « S’il
est vrai que je dois me libérer de celui qui m’étouffe parce que véritablement
je ne puis pas respirer, il demeure entendu que sur la base
physiologique : difficulté mécanique de respiration, il devient malsain de
greffer un élément psychologique : impossibilité d’expansion. »
Étonnant que personne n’ait songé à citer cette phrase. <p>
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