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samedi 11 février 2017

L'universalisme de l'Incarnation

Hier soir, ma fiancée et moi avons beaucoup parlé du dialogue des religions. Nathalie a commencé cet échange dans un syncrétisme qui est bien dans son caractère conciliant. Tous, disaient-elle, devraient reconnaître que nous avons le même dieu. A quoi je lui ai répondu qu’outre que notre image de dieu variait significativement selon les confessions religieuses, on ne pouvait pas faire fi de toutes ces coutumes, par quoi les religions nous relient certes à Dieu au-delà, mais en-deçà et ici-bas à des cultures et à des civilisations. L’islam est une épopée religieuse qui ne s’est jamais départie de la violence, depuis la geste prophétique jusqu’à nos jours. Nos religions devraient dialoguer sans viser à tomber d’accord, sommes-nous convenus. Nous ne devons pas renoncer à nos vérités culturelles, ou plutôt à la manière dont l’Histoire a sédimenté que nos identités religieuses sont autant d’approches de la vérité de Dieu. Nous ne devons pas tomber d’accord pour être des frères. Nous voudrions nous inscrire dans le dialogue islamo-chrétien. Le pis est que nous le voulons à un moment où nous nous posons tous les deux la question du vote Le Pen. Comme quoi ce vote n’est pas toujours xénophobe. Mais comme, dans une République qui refuse d’admettre que la démocratie, c’est le clivage, et qui la transforme en mimèsis, on ne peut plus argumenter, on ne peut pas le faire comprendre. Le dialogue islamo-chrétien se porte mieux que les Amitiés judéo-chrétiennes. Peut-être que la condescendance de la charité chrétienne l’aborde de façon plus dépassionnée, car le christianisme ne dépend pas de l’islam, quand l’islam dépend de nous. L’islam nous reconnaît par définition, quand nous pouvons reconnaître l’islam par charité. Le dialogue islamo-chrétien est assymétrique. Les Amitiés judéo-chrétiennes se développent sur un trop vieux fond de repentance et de culpabilité pour ne pas s’abîmer dans des concessions excessives. Les chrétiens ont à se repentir du mal que leur civilisation dans sa ppartie germanique, c’est-à-dire luthéranisée, puis paganisée, a fait aux juifs. A condition de ne pas oublier que l’antichristianisme talmudique précède l’antisémitisme chrétien. Celui-ci s’est développé avec Saint-augustin qui bouclait la boucle du triomphe du christianisme en faisant des juifs les bibliothécaires de la Révélation chrétienne. Luther précède Hitler et le luthéranisme est un augustinisme allemand. Le jansénisme aurait pu être un calvinisme capitalistique (et sans doute l’a-t-il été à travers le caractère bourgeois de la révolution française qui fait de la propriété un droit sacré), mais il s’est développé un siècle plus tard que le luthéranisme dans un peuple parlant une langue classique, qui ne pouvait que tempérer les excès de cet augustinisme plus littéraire que politique. Les Amitiés judéo-chrétiennes filent un mauvais coton parce qu’elles croient devoir se prosterner devant le judaïsme, jusqu’à faire du christianisme une simple ramification qui croirait avoir déjà trouvé un Messie facultatif. Le christianisme ne doit pas céder au judaïsme jusqu’à en faire une voie parallèle et non substitutive de l’Alliance divine. La négation de la théologie de la substitution est une impasse. Les Juifs n’ont pas davantage à reconnaître le Messie s’ils ne le veulent pas que les chrétiens ne doivent avoir honte du christ. Ce n’est pas parce qu’il y a des aspects irréconciliables dans nos deux religions que juifs et chrétiens ne peuvent pas être des frères. Pour dialoguer à parts égales et sans hypocrisie, les juifs doivent se laisser interpeller par le fait que le christianisme est une histoire juive qui a réussi et qui désormais les protège. La civilisation chrétienne, cette ruse de l’Histoire, a servi de dhimitude pratique aux juifs, du jour où elle a compris tout ce qu’elle leur devait. Nous devons tous nous laisser interpeller par le fait que la promesse divine de donner à Abraham un héritage de nations aussi nombreuses que les étoiles du ciel a été tenue, à l’hyperbole près. L’élection de ce petit peuple à peine reconnu par l’archéologie de la plus haute Antiquité est tellement attestée qu’elle fait vivre spirituellement trois milliards d’humain, ceux que nos frères musulmans appellent des croyant des trois religions du Livre. Il y a des limites à l’antisémitisme. Cette phrase à l’emporte pièces est provocatrice, mais dévidons les vérités qui ressortent de cette provocation. Certes, le monde d’Après-guerre a voulu donner leur revanche aux Juifs. De là est né non seulement l’Etat d’Israël capté de façon laïque, mais aussi l’influence majorée dans un monde démocratique d’un peuple de représentants, d’un petit « peuple élu » dans toutes les sphères de la domination symbolique mondiale. Seulement nous ne pourrons jamais aller au-delà de cette dénonciation de la surreprésentation des juifs dans les sphères de la domination. C’est déjà véhiculer un préjugé blessant selon eux. Mais il ne faut pas céder à l’intimidation de l’époque de faire la guerre aux préjugées. Lorsqu’il a écrit son DICTIONNAIRE DES IDEES REÇUES, Flaubert n’a jamais prétendu qu’elles étaient fausses, mais qu’elles étaient assommantes oureçues de manière à être banalisées, à être intégrées avec le ridicule de Monsieur Homais. Tous les préjugés ne sont pas faux. Que les juifs soient « un peuple d’élite, sûr de lui » et non seulement « dominateur », mais dominant est vrai. Cette domination contribue d’ailleurs au mystère de l’élection du peuple juif. Nous pouvons exciper de ce préjugé qu’on pourrait penser antisémite parce que nous avons mis 70 ans à sortir du monde d’Après-guerre, comme la sainte russie a mis 70 ans à sortir du communisme. Seulement nous ne devons pas aller au-delà. Nous n’avons pas le droit d’être antisémites. Nous n’avons pas le droit de détester les juifs. Nous en dépendons et nous en descendons. Le juif est non seulement le frère aîné du chrétien, au risque de passer pour le fils aîné de la parabole de l’enfant prodigue ou pour Ezaü comme le disait saint-Augustin. Ce n’est peut-être pas encore son « frère aimé » comme l’espérait Jean-Paul II. Pour qu’on en arrive là, il faut que notre amour soit tout à fait exempt d’hypocrisie, et on flatte nécessairement celui dont on redoute la domination. Le juif est plus que le frère du chrétien, il est son père dans la foi. Et le chrétien, cet enfant de la « religion du fils », doit avoir le culte du père. Il doit garder le commandement qui l’enjoint d’honorer son père. Lui, l’olivier sauvage, doit se souvenir qu’il est greffé sur l’olivier franc. La greffe doit honorer son greffon. L’islam et le christianisme, ces deux histoires juives qui ont réussi, sont deux oliviers sauvages. Partout ils étendent leurs feuilles. A eux deux, ils recouvrent la presque moitié de l’humanité, et de l’humanité qui domine le monde ou la symbolique de la communauté internationale. Mais ils ne cesseront d’être sauvages que s’ils reconnaissent dépendre des quelques 60 millions de représentants de l’olivier franc. La gloire des oliviers sauvages (expression qui me fait penser au rôle de Benoît XVI, le pape qui a prononcé le discours de Ratisbonne, dans la prophétie de Saint-Malachie, «la gloire de l’olive) n’ira pas sans la gloire de l’olivier franc. Il ne nous est pas malaisé à nous, chrétiens, dereconnaître cette dépendance des fils vis-à-vis de nos pères dans la foi qui invoquent si souvent « le dieu de nos pères », d’abord parce que nous sommes les adeptes de la religion du Fils dont nous nous ressentons les membres ; ensuite parce qu’avant que Saint-Augustin n’ironise sur nos pères dans la foi, Saint-Paul nous a avertis qu’il ne saurait être question de nous réjouir aussi longtemps que le salut qui vient des juifs ne sera pas un salut pour les juifs. Et Saint-Pierre a employé des mots qui auraient dû préserver l’Eglise d’accuser les juifs de déicide, car il a dit que les responsables de la mort du christ étaient tous les hommes. Il a repris à son compte en ne l’ayant pas entendue cette Parole du christ qui demandaient de pardonner à ses bourreaux, « car ils ne savent pas ce qu’ils font ». Cette Parole a été connue si tôt dans l’Eglise que le premier martyr, Etienne, l’a aussi partiellement prononcée : « Seigneur, ne leur compte pas ce péché ! » Les chrétiens ont à rougir de tout un passé antisémite mortifère à grande échelle. Les musulmans n’ont pas ce passé. Aussi sont-ils présentement moins préservés contrela tentation de l’antisémitisme. Ils se posent aussi comme une religion de la désaffiliation, qui a du mal avec la notion de paternité divine. Le Coran explique l’engendrement de Jésus comme la Bible ne l’a jamais fait, mais les musulmans ne veulent pas l’appeler fils de Dieu. Ils appellent Verbe ce qu’ils décrivent comme Fils. « Dieu dit : « Sois et Jésus fut », dit le Coran. Donc ils ne peuvent pas immédiatement reconnaître que les juifs sont leurs pères dans la foi. A peine parviennent-ils à admettre que, si la Bible des juifs ne leur avait pas révélé l’existence d’abraham, ils ne l’auraient jamais apprise. Les musulmans ne consentent, ni à descendre, ni à dépendre. L’arabité ne veut pas (et c’est ethniquement compréhensible) se rendre à la captation laïque d’une part de la terre que les Romains d’abord et les Anglais ensuite ont nommé Palestine, d’un nom qu’ils se sont appropriés. Musulmans et chrétiens pourraient aimer les juifs au nom de la condamnation du fratricide. Personne n’a le sens de la fraternité comme les musulmans. Mais l’Islam s’est élevé comme la revanche du frère aîné indûment délégitimé. Du moins la chair de l’homme ne comprend pas la délégitimation d’Ismael. L’islam la nie et défend ses droits. Mais défendant Ismael que Dieu a partiellement déshérité en raison d’un Mystère spirituel, l’Islam réalise la prophétie, où Dieu disait à Agar que son fils serait le chef d’une grande nation, mais qu’il s’opposerait à tous ses frères et que tous ses frères s’opposeraient à lui. Un ami musulman m’a dit qu’il préférait brûler le monde entier plutôt qu’ilne le nie. Et le monde entier est en guerre contre l’Islam. Sinon le monde entier, du moins ce qui domine dans le monde. L’islam a la passion de la fraternité, mais c’est une passion égalitaire. L’islam a inventé les droits de l’homme et Robespierre le terrorisme… Le christianisme se croit à l’abri du fratricide parce que les chrétiens affirment être la descendance d’Abel. Les musulmans ont été imprégnés du récit génétique. Mais ils n’ont pas fait d’Abel un héros de la même envergure qu’Ismael parce que, dans leur passion de l’égalité, ils n’ont pas compris pourquoi le sacrifice d’Abel avait trouvé grâce auprès de Dieu alors qu’Ismael avait été rejeté. Le christianisme est une religion de cadets. Les chrétiens ont entendu Dieu dire à caïn : « Le sang de ton frère monte de la terre et crie vers moi. » Les chrétiens sont devenus des civilisateurs comme caïn, qui s’en excusent soit en pleurant aBel, soit en croyant qu’ils sont devenus Abel. En ce moment, Marine Le Pen bat le rappel du patriotisme. Je trouve cette notion étonnante, pour ne pas dire anachronique, dans notre société d’individus. Nous que consomme notre désir, nous nous croyons trop grands pour donner notre vie. Nous qui voulons prendre soin de nous, croyons que rien ne la dépasse. Car nous sommes des individus maternés. Nous avons remplacé le clanique par le clinique. Nous avons adopté le point de vue de notre mère pour qui rien ne vaut notre vie. Pourquoi donc en appeler au patriotisme auprès d’individus qui ont tué le père pour se placer dans la position fötale, alors que le nationalisme aurait mieux rendu compte de notre positionnement ? Le patriotisme en appelle à la terre des pères, à la terre et aux morts, à la terre et au sang. Le nationalisme se revendique de cet événement, « nascor », je suis né, le ventre parturiant de ma mère m’a fait naître, on a voulu de moi, j’ai grandi dans une matrice. Le nationalisme est matriciel. Le patriotisme réclame des gardiens du patrimoine. Il n’y a pas de place pour des peuples nouveaux qui viendraient se disputer un héritage que nous détiendrions du droit du sang. Le patriotisme ne reconnaît qu’un peuple de la terre et du sang. La matrice qui fait grandir et naître reconaît que plusieurs peuples peuvent s’adopter mutuellement et partager leurs héritages. Mieux, la nation désigne la gens et donc le peuple, là où le patriotisme ne met l’accent que sur la terre. Pourquoi donc parler du patriotisme quand on veut en appeler au peuple ? Parce que d’obscurs experts en détournement des mots ont inventé la fable selon laquelle le patriotisme serait honorable alors que le nationalisme serait la guerre. Ce sont les mêmes qui ont reproché à emmanuel berl d’avoir fait que le maréchal Pétain se réclame « de la terre et des morts ». Il en est allé de l’inversion du patriotisme et du nationalisme de la même façon que le sujet, ce qui est jeté sous et donc soumis, l’esclave, est passé maître en philosophie, et a passé pour le maître, l’individu, sujet de droit, l’individu autonome, presque prescripteur et édicteur de sa propre loi ontologique. « Un peu de nationalisme éloigne de l’universel, beaucoup de nationalisme en rapproche », fait-on dire à Maurras. Au contraire, si le patriotisme ne reconnaît que de la terre et du sang qui crie dessous la terre pour réclamer vengeance, le patriotisme, c’est la guerre. A moins que… Il n’y ait pour commencer libération de la dette du sang. « Le sang de ton frère crie de la terre vers moi », a dit Dieu à caïn. Il n’a pas dit qu’il a crié vengeance. Et quand bien même l’aurait-Il sous-entendu, caïn, après avoir esquivé : « Suis-je le gardien de mon frère ? », comme son père adam au souffle du jour de la première faute, prend peur : « Marque-moi d’un sceau pour éviter que quelqu’un ne me tue, à l’appel du sang de mon frère qui crie vengeance contre moi », supplie-t-IL Dieu Qui vient de l’exiler. Et Dieu le marque de ce sceau. « Et puis, me dit ma fiancée Nathalie, la patrie, c’est le Père et le Sang du Christ », Celui dont l’Esprit a accepté de prendre sur Lui toute vengeance. C’est sans doute une variante de ce qu’Henry de Lesquen appelle « l’universalisme de l’Incarnation », dans une formule sibylline, tant qu’on n’en a pas trouvé une explication comme celle-là. La terre et le sang ne crient plus vengeance, ainsi l’a voulu l’Esprit du christ, mais la terre veut être cultivée là où a été versé le sang des morts, qui veulent chanter avec ceux qui la cultivent. En cela peut consister « l’universalisme de l’Incarnation » en toute patrie. Il y a donc un certain patriotisme à défendre nos pères dans la foi. Il y a des limites à l’antisémitisme. N’est-ce pas, M. de Lesquen ?

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