(Message publié sur le forum catholique en réponse au professeur Luc Perrin).
Cher Luc Perrin,
J'ai conscience, par ce message, de ne pas complètement répondre au vôtre, ce dont je ne ferais que m'excuser si je n'avais aussi l'ambition d'en expliquer l'arrière-plan à travers un préalable qui n'est pas de moi, mais qui a été proposé hier soir, sur "radio courtoisie", par M. l'abbé de tanoüarn, que j'ai trouvé lumineux, et que je vais essayer de vous restituer de mon mieux, en l'assortissant de quelques considérations personnelles.
L'abbé de Tanoüarn expliquait que le contexte de la condamnation de l'action française s'inscrivait dans une volonté du pape Pi XI, à travers l'action catholique, de confessionaliser l'ensemble de la vie des catholiques. Cette confessionalisation, allait-il jusqu'à dire, a rétréci "l'horizon spirituel" de sorte que, là où les catéchismes diocésins eux-mêmes répondaient avant Pi XI:
"Je suis chrétien" à la question:
"De quelle religion êtes-vous?"
après Pi Xi, ils répondaient:
"Je suis catholique."
Ici, je reprends les rennes de l'analyse et vous aurez donc tout le loisir d'en contester la pertinence.
Se reconnaître catholique avant de se reconnaître chrétien, c'est faire valoir sa propre identité culturelle ou spirituelle ou, si vous préférez, son milieu d'appartenance aux dépends ou avant le dieu Personnel Auquel on a donné sa foi, auquel on appartient: le verbe incarné, le christ, de Qui procède l'adjectif chrétien, quand celui de catholique insiste sur l'aspect universel du Corps institué par le divin Sauveur, bref, anticipe sur "le Christ cosmique". Je sais bien qu'il est facile de m'objecter l'interprétation de "Dominus Iesus" sur le "subsistit in", qui aboutit en pratique à une indivision entre le christianisme et l'Eglise catholique. Inutile de vous dire que je ne partage pas ce point de vue, mais ce désaccord étant subjectif, je n'en ferai pas ici matière à discussion par respect du refus du subjectivisme professé par la plupart des liseurs de ce forum. Je dirai simplement que ce recentrage de "dominus Iesus" peut être un effet éloigné de la confessionalisation amorcée par Pi XI.
En voilà un premier, en voici quelques autres:
-La confessionalisation a conduit l'Eglise qui a reçu le dernier concile à un certain éclésiocentrisme, tout comme elle a conduit ceux qui refusaient le concile vatican II à ce que j'appellerai du tradicentrisme.
-Pour donner un exemple flagrant d'éclésiocentrisme post-conciliaire, je vous citerai "les cahiers de l'école cathédrale" publiés par mgr d'Ornellas, encore évêque auxiliaire de Paris, à l'occasion de la rencontre "Paris toussaints 2003" (je me trompe peut-être d'une année). Il y était dit que l'eglise était le peuple des "bienheureux", le peuple des béatitudes, que nous étions le peuple des "pauvres de coeur", des "doux", des "artisans de paix", des "miséricordieux", sans que nous ayons rien à faire pour devenir ce que nous étions ontologiquement déjà. Du moins je n'ai vu nulle part, dans ce document, d'exhortation à pratiquer les béatitudes. La pratique en était facultative puisque nous les avions reçues par notre baptême.
-Quant au tradicentrisme qui est symétrique à l'éclésiocentrisme post-conciliaire, il n'est qu'à voir les préoccupations qui s'égrainent sur ce forum. Elles sont essentiellement d'ordre liturgique, elles sont souvent en opposition violente ou larvée avec certaines mauvaises pratiques (ou dénoncées comme telles) de l'épiscopat, elles sont parfois d'ordre politique, elles abordent souvent avec des points de vue intéressants des sujets théologiques, elles citent abondamment les docteurs de l'Eglise, le droit canon ou les encycliques papales, elles sont rarement dans la relecture fine, attentive et personnelle de la Parole de dieu.
Un autre effet de cette confessionalisation concerne l'anathème le plus grave que jettent les fidèles sur leurs frères d'une autre sensibilité catholique, d'autres herméneutiques, mais qui habitent pourtant la maison catholique. Cet anathème est:
"vous n'êtes pas catholique."
Il est jeté par des fidèles qui ne sont pas en droit d'excommunier un autre fidèle. Il est jeté par des personnes qui regrettent que l'eglise n'anathématise plus, mais que, depuis Vatican II, elle ait trouvé plus opportun de parler un langage plus conciliant. Opportunité réelle! Car à quoi servirait, sinon à l'en éloigner davantage, d'anathématiser un monde qui s'est éloigné de la simple compréhension du langage de l'eglise, pour ne rien dire de ses prescriptions morales? Qu'on le veuille ou non, "l'ouverture au monde" était une nécessité; si elle n'a pas réussi à l'eglise, c'est qu'en dépit de ses intentions, elle a continué de parler un langage alambiqué, moins sur le fond que sur la forme. Honnêtement, les encycliques ou les décrets du dernier concile, à l'exception peut-être de certains passages de "gaudium et spes", voire les prières eucharistiques de la messe ordinaire (dont je m'étonne, au passage, cher Luc Perrin, que vous prétendiez que seule, la première (dite canon romain) est prescrite par le concile), ne sont digérables que par des phraseurs tels que moi, amateurs de longues phrases qu'ils prennent pour de la littérature. Quand j'étais enfant, j'avais coutume de dire que j'aimais bien la messe parce qu'elle était très littéraire.
Un effet encore plus innatendu de cette confessionalisation, mentionné explicitement par l'abbé de tanoüarn (et sur lequel je ne doute pas que votre expertise ne soit précieuse) est que la plupart des évêques qui sont actuellement en fonction sont issus de l'action catholique, laquelle relevant moins de la spiritualité que d'un "agir" et d'une "praxis", est devenue de plus en plus subjectiviste à mesure que la sécularisation gagnait du terrain et que l'action catholique examinait moins le contenu de la foi qu'elle ne procédait à des "révisions de vie" ou à des "relectures" permanentes de la semaine écoulée, Conséquence de cette origine des mouvements d'action catholique de la plupart de nos évêques:
-ils n'ont pas perdu la foi, mais il n'est pas certain qu'ils la connaissent intégralement, si tant est que cela puisse être;
-ils sont conditionnés à croire dans la structure de leurs mouvements plus qu'à développer une compréhension claire des articles de foi;
-Partant, ils se noient dans un structuralisme pastoral qui enfonce les prêtres dans l'activisme et dans la réunionnite, sans gouverner leur diocèse autrement que d'une manière bureaucratique et qui ne consolide pas, ce qui me paraît le plus grave, les liens de la charité à l'intérieur de leurs diocèses, non seulement pour qu'il n'y ait pas un mur du silence entre les prêtres de différentes sensibilités catholiques qui y exercent un ministère, mais pour que les plus démunis ou les plus esseulés d'entre leurs fidèles (ou d'entre ceux qui vivent là où s'exerce leur juridiction épiscopale) ne soient pas seulement évoqués au moment de la prière universelle, mais qu'ils soient effectivement visités, accompagnés, soutenus par des conférences saint-vincent de Paul qui aient encore de vrais vestiaires (comme à saint-Nicolas du chardonnet), ou qui sachent à l'occasion orienter les SDF (ou les clochards) vers des hébergements d'urgence.
Philippe Prévost, qui était invité conjointement à l'abbé de tanoüarn dans cette émission, pour analyser la crise de l'eglise à travers le prisme de son dernier ouvrage:
"L'eglise et le ralliement", dont j'avais lu une partie de la première édition, a ajouté cette remarque qui me paraît pleine de bon sens et que je ne suis capable que de reformuler de mémoire:
"Comme l'avait compris Napoléon bonaparte, tant que le pape était en possession de ses Etats, il devait s'affronter à des problèmes temporels qui ne l'éloignaient pas des préoccupations naturelles. Une fois qu'il ne les a plus eus, la diplomatie vaticane s'est évaporée dans le surnaturel."
Je vois une autre conséquence à tirer de cette remarque:
Le catholicisme confessionaliste (différent du catholicisme confessant) a majoré le surnaturel tout en minorant le merveilleux, pour, sous prétexte de majorer le rôle de la "loi naturelle" confondue avec l'idéalisme de "l'ordre naturel", confondre la nature en l'opposant plus que jamais à la grâce... En l'opposant pour l'y soumettre. Mais, comme l'homme n'est jamais à un paradoxe près, ce mouvement de "retour à la nature" qui cachait mal une méfiance profonde pour le naturalisme, voire une dénaturalisation en bonne et due forme, s'est faite sous couvert de rationalisme. Non pas que le magistère ait appelé à pratiquer "une religion dans les limites de la simple raison"; mais il a estimé que la raison pouvait être confirmative de sa dogmatique alors que, si les dogmes sont surnaturels, la raison ne peut pas les confirmer.
Il est exact que les années 1970 ont paru exalter la conscience. Mais, à bien lire "veritatis splendor" par exemple, on s'aperçoit que ce n'était nullement pour en faire une instance de décision, mais seulement une instance de jugement de la conformité des actes moraux au bien révélé par la loi naturelle et le dépôt sacré de la Révélation.
En vous priant de m'excuser de vous avoir infligé ce pensum
J. weinzaepflen
mardi 2 août 2011
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire