Le document de synthèse du synode est intéressant et trop mal diffusé et méconnu, mais hier matin, sans doute pris de culpabilité de ne pas en avoir achevé la lecture, une formule s'est imposée à moi: "Au fond le synode, qu'est-ce que c'est? C'est "bavardez, bavardez, il en sortira toujours quelque chose."
Plus prosaïquement, le synode, c'est de la "démocratie participative" façon "Désir d'avenir" de la non encore morte en politique Ségolène Royal. Et plus loin de nous, le synode sur la synodalité, c'est le référendum sur le référendum avec lequel François Mitterrand fit un enterrement de première classe à deux sujets dont le second ne le menaçait pas encore autant qu'il s'est montré dangereux pour Emmanuel Macron. Ces deux sujets de crainte du socialiste à l'antique étaient la battue du pavé par la bourgeoisie confessionnelle pour que ses rejetons sortent en tête de gondole de ses boîtes à bac et l'aspiration à la démocratie directe chère à tous ceux qu'on n'appelait pas encore des populistes et que Mitterrand faisait d'ailleurs monter en neige dans le débat public pour couper les jambes de la droite après avoir neutralisé le parti communiste.
Mais je m'égare et je vous perds. Le synode, c'est l'inquiétude de l'Eglise de ne pas avoir de relève et son désir d'avoir un avenir et c'est, pour s'en assurer un, la déconstruction par le bavardage. Là, je cède à ma veine caricaturale, mais il faut parfois écrire par provocation pour donner à penser sur les lignes de crête où les dérapages sont presque toujours incontrôlés.
Donc je continue dans la même veine. Le synode, c'est le bavardage, pardon le dialogue et peut-être même le dialogue inter-religieux, mais c'est le dialogue considéré comme fin en soi. Ce n'est pas le dialogue socratique dont la maïeutique était un procédé rhétorique pour faire accoucher de réponses celui qui ne se posait pas de questions avant que Socrate ne l'interroge en le conduisant dans son raisonnement comme un gourou corrupteur de la jeunesse et de la religion, chefs sous lesquels on le condamna à boire la ciguë.
Le synode définit le dialogue de belle manière comme une "conversation dans l'Esprit". J'ai essayé d'élaborer une "théorie de la musique" avec un ami musicien qui définissait le contrepoint comme une conversation qu'il distinguait du dialogue en ce que les différentes voix qui constituent l'accord (qui n'est pas une fin en soi, mais une conséquence et un concept d'après le contrepoint), que ces voix, dis-je, se confondent, monologuent sans soliloquer, ne s'écoutent pas, mais elles s'entendent. Avec le synode, "on va bien s'entendre", c'est déjà ça.
Mais un dialogue ou une conversation peuvent-ils être au service d'une parole , a fortiori quand cette parole se pose comme la Parole de Dieu?
Jean Madiran craignait avec raison si l'on doit craindre pour la perte d'autorité du magistère de l'Église catholique, apostolique et romaine, que la réception du Concile ne débouche sur la synodalité où ressurgirait l'idée que le concile (des évêques) est supérieur au pape et sa prétendue infaillibilité, même limitée à des déclarations émises ex cathedra sur la foi et les moeurs. Dès lors que les synodes sont progressivement devenus une conversation très courante, pour ne pas dire occupationnelle, dans les diocèses (je n'ai pas dit que le synode, c'est de l'occupationnel), j'ai perçu sans nécessairement en prendre ombrage que le synode, ce n'était pas seulement le concile qui prévaudrait désormais sur le pape, mais ce seraient les fidèles qui auraient une voix prépondérante sur les évêques comme avant eux, les évêques auraient renfermé le pape dans un silence arbitral et hiératique.
Le synode renverse donc la pyramide ecclésiale, il la met cul par-dessus tête. Or nous avions quelque chose à gagner à ce que l'Église s'offre à nous comme une triple pyramide, qui nous donnait la solution du monde et nous racontait son histoire depuis sa création jusqu'à l'apocalypse, qui nous mettait en rapport avec tous les vivants et les morts qui avaient jalonné l'histoire de l'humanité et qui nous donnait un toit hiérarchique sous lequel nous pouvions reposer notre tête de façon rassurante, étagé qu'elle était depuis la dame pipi des sacristies jusqu'au ministère pétrinien, qui tirait son infaillibilité de ce que Jésus ait pu lui dire: "Arrière Satan!" et son autorité de ce que lui-même ait rétorqué aux membres du Sanhédrin qu'il vaut mieux obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.
Le synode ne renverse pas la table, mais il renverse la pyramide pour que le Fils de l'homme n'ait plus une pierre où reposer sa tête et que l'Église soit une maison à ciel ouvert où l'homme puisse vivre sans toit ni loi, rassemblé sous le Symbole des apôtres. Mais pour opérer ce renversement, on doit aller jusqu''à dire que "le synode est la forme propre de l'Église". On atteint là au comble de la métonymie et de l'autoréférentialité. Le synode, c'est la partie Eglise qui se prend pour le tout du Christ en se mettant hors d'état de porter sa Parole puisqu'une conversation est adogmatique par définition, mais l'Église peut porter le regard du Christ. Et l'homme qui promeut cette autoréférentialité de la partie est celui-là même qui ne veut plus que l'Église soit autoréférentielle. Or le synode, c'est l'Église qui se parle d'elle-même à elle-même.
Le synode, c'est le "verus Israel" qui, dans le sentiment d'avoir failli, se prépare à vivre un nouvel exode et une traversée du désert sous la motion et la conduite de l'Esprit qui ira alternativement, comme la nuée, en avant et en arrière du "peuple de Dieu". Car c'est trop peu pour l'Église d'être Corps du Christ: il faut qu'elle se saisisse de ce privilège exorbitant d'être "peuple de Dieu", non pas à l'exception, mais en représentation du genre humain. Mais dans le peuple de Dieu, on n'est pas populiste, on pratique la démocratie indirecte et le référent suprême reste l'Esprit qui nous conduit.
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