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vendredi 2 octobre 2015

L'Eglise et les migrants


(Lire au préalable :


 

 

IL y a des moments où l'exercice non obligatoire et la figure que l'on s'impose du commentaire trop systématique est quasiment criminelle... En l'occurrence, il serait criminel de ramener l'effort de hauteur que vous  essayez de prendre avec une actualité dont l'urgence a besoin qu'on y réfléchisse profondément,  à un  effort de justification identitaire d'autant plus intellectuellement confortable qu'il est très élaboré. Même si vous faites quelques risettes à votre milieu ("Ne vous y trompez pas, j'ai choisi le pacte de reims...)", votre réflexion ne saurait s'y réduire,  ne serait-ce que parce que vous commencez par énoncer la majeure: Jésus ne nous a pas seulement demandé d'accueillir l'étranger, mais la sainte famille est la première figure du migrant.

 

Toutefois la migration de masse à laquelle nous assistons nous pose assurément un problème identitaire. Or à un premier stade, spirituel et non pas politique, il me semble que le risque dont doit se garder un chrétien est celui de l'attachement qu'il faudrait rompre partout, excepté, pour lui qui aime à se voir disparaître ou anéanti  dans l'Infini du "milieu divin", s'il s'agit de se perdre. Notre réaction n'est pas politiquement chrétienne si nous cédons à un simple réflexe de survie, qui consiste à ne pas vouloir nous perdre, si naturel que soit ce réflexe.

 

D'autre part, l'universalisme d'analogie que vous nous décrivez comme étant l'apanage du catholicisme a un revers: c'est qu'il constitue la société dans son individualisme pratique, dont le matérialisme pratique autrefois dénoncé à l'encontre du marxisme avec son athéisme pratique, et aujourd'hui son individualisme social-émotionnel, n'est que le prolongement naturel.

 

Dans la grande babylone sociétale qui a l'air de vouloir multiplier les voyageurs aux pas perdus dans des sociétés détricotées, chassez l'origine, elle revient au galop! Le monde a nié le péché originel, et la psychanalyse a organisé l'accusation perpétuelle des parents déshonorés qui avortent pour y échapper... Michel foucault a dénoncé l'illusion du "retour de l'origine", mais et l'antiracisme n'est qu'une obsession de l'origine inversée, avec cette dernière tartufferie hollandaise de  vouloir chasser des dictionnaires un mot, le mot "race", dont la réalité n'existerait pas, tout en poursuivant ceux,  les racistes, que l'on  tient pour se définir à l'aulne de cette seule réalité. Il y a là une mascarade linguistique où les nouveaux bien-pensants de "C'est dans l'air" en ont hier soir perdu leur latin ou leur franglais.

 

Le retour à Benoît XV et à Pie XII montre un changement de paradigme de l'immigration. Celle-ci n'obéit plus à des motifs invasifs comme les voyages ne forment plus la jeunesse, et la déformeraient plutôt, car on émigre pour fuir... Pour autant, l'étranger ne cesse pas  d'être désigné comme un ennemi potentiel, et la palme de l'hypocrisie revient à ceux qui nous placent depuis trente ans dans l'insupportable alternative d'avoir à choisir entre un internationalisme xénophile et antiindigène et un nationalisme xénophobe. La condition de l'étranger fascine les "cosmopolites" au point que la société est focalisée, non comme autrefois sur la survie de la patrie, mais sur cet autre fusionnel, dont il faut dissoudre la condition d'étranger, et la naturalisation est là pour cela, qui singe l'adoption par la Grâce baptismale à travers la sémantique, et la désignation par  l'opposé de la Grâce, la nature,   de ce que fait la nation quand elle adopte celui dont elle ne permet plus qu'on l'appelle étranger, sans s'être assurée qu'il consent à être adopté et qu'il se sent de son nouveau pays. Et malgré cela, on ne cesse de distiller que cet étranger est l'ennemi, non en lui-même ni par sa religion ("pas d'amalgame"), mais enfin si tous les musulmans ne sont pas islamistes, tous les islamistes sont musulmans, et il n'y a qu'à regarder d'où proviennent les attentats depuis trente ans....

 

Bref, on dissout l'origine et l'étranger, et en les dissolvant dans une naturalisation abusive, dans une naturalisation qui n'est pas naturelle, on les rend les ennemis d'eux-mêmes, puis nos ennemis de l'intérieur...

 

C'est ici qu'il nous faut être vigilants et que le rappel au gaullisme et à l'histoire longue qu'a risqué Nadine Morano est peut-être salutaire pour savoir qui accueille et qui est accueilli, pour garder certains droits du premier occupant, non pour assimiler, mais pour accueillir. Et il n'y a un accueillant et un accueilli que si l'accueillant reste maître chez lui et si l'accueilli demeure un étranger non dissout dans l'"étrangeté" (comme disait Jacques Prévert) de sa condition ni fascinante, ni enviable.

 

Alain finkielkraut disait à raison ce matin (je suis d'autant plus content de le dire que je suis rarement d'accord avec lui) qu'il y a deux écueils à éviter devant cet afflux migratoire: c'est l'indifférence du front national jusqu'à la négation du droit d'asile, et c'est, d'autre part, cette espèce de béatitude d'un accueil anarchique et sans lendemainqui pourrait nous être fatal, non à court terme, mais dans le processus de tiers-mondisation de nos pays développés qu'il signifie, et qui s'amorce depuis une quinzaine d'années avec la bénédiction de nos dirigeants politiques démissionnaires.

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