Il est important de contextualiser cet article. Sinon, on va n'y rien comprendre.
Depuis le 9 février dernier, j'ai accepté, suite à la défection de celui qui avait inventé cet OVNI littéraire qu'il appelait le "remue-méninges" et dont je vais vous expliquer le principe, de reprendre la main qu'il m'avait passée par défi, sous réserve que ce jeu ne serait plus désormais confié à un seul, mais à un collectif comprenant pour le moment deux autres camarades, dont le croissant de lune, familier des lecteurs de ce blog.
Le "remue-méninges" tel que l'avait pensé son concepteur ne consistait, ni plus, ni moins, qu'en un jeu de charade, dont il prenait occasion pour poster des comptes rendus magistraux, véritables morceaux de bravoure et chroniques littéraires qui tenaient de la chronique grammaticale et linguistique, intime et autobiographique, encyclopédique, avec une place notable laissée à la créativité des réponses faites par les joueurs (appelés dans notre jargon charadeurs) au charadin ou maître charadier, poseur de la charade et auteur de son compte rendu.
On peut considérer que prendre la responsabilité d'un jeuqui paraît si futil relève de la perte de temps. Mais il y a:
1. que la vie est un jeu;
2. que j'ai peu de responsabilités;
3. qu'il faut "jouer collectif" (on peut même en faire un jeu littéraire);
4. que cela permet de décliner ses obsessions et de les faire partager à d'autres locuteurs.
En somme, à mon corps défendant, me croyant homme du livre, je suis homme de dialogue, le pratiquant à tout va, à tout rompre, mais en n'y croyant pas, pas assez, gêné, gainé, engoncé par mon utilitarisme.
Si quelque lecteur de ce blog voulait participer à cette charade à périodicité trihebdomadaire au jour où j'écris, voici la marche à suivre: il suffit de m'adresser un courriel à l'adresse que voici :
julien.weinzaepflen@numericable.fr
Ayant présenté la chose, cet article va vous fournir tout le processus d'une charade telle que décrit ci-dessus et mené à ma sauce.
Mais avant que je ne vous répercute la charade, vous verrez qu'elle renvoie en écho à un article que l'on peut trouver dans les archives de ce blog, intitulé "charade métaphysique" et où le précédent charadier, homme de douleur et qui fait mal bien que se croyant sincèrement résilient, renvoyait au "déterminisme".
Voyons donc, en écho, sans en changer un mot, la charade que j'avais posée le 15 février dernier. Je la cite intégralement :
Elle vous est... "
Postée après le crépuscule pour que vous l'ayez bien avant l'heure du crémier, mais aujourd'hui, il ne sera pas question de crème, malgré ce guillemic charadier, qui pourrait vous induire en erreur (et ne pas vous enduire d'horreur). Enduisez vos mains de crème et caressez-vous, caressez-vous, en ce lendemain de fête de saint-valentin, où vous devriez ce conseil prodigué par Yves Jamet dans une de ses chansons, intitulées :
"Caresse-moi", commençant par :
"Je hais les dimanches"
et dont le refrain dit :
"Caresse-moi, caresse-moi,
Ne laisse pas ce jour vieillir
Sans poser avant qu'il expire
Ta main sur moi, caresse-moi."
Existe-t-il une dépendance affective ?
Mon premier est l'interjection qui hèle le laitier
pour qu'il m'apporte de quoi mettre du lait dans mon deuxième,
ou dans le biberon de mon bébé qui, après l'avoir bu,fera mon troisième,
avant qu'en famille, nous allions voir "adieu ma concubine", qui est un film-opéra chinois, et non pas un drame japonais comme mon quatrième :
je ne mange pas de ce pain-là, je n'en mange (mon cinquième), adverbe de négation substitué à "pas" quand on voulait parler de pain au lieu de marche.
Mon tout est le contraire de l'autonomie.
Ca existe ? Décomposez, vous allez voir, et le compte rendu vous en dira plus.
Mais avant, envoyez-moi vos réponses à cette adresse :
julien.weinzaepflen@numericable.fr
et n'oubliez pas de transférer nos charades, leurs comptes rendus et classements à toutes les listes que vous connaissez.
Ca donnera peut-être envie à d'autres participants d'y jouer, et aussi de nous relayer, car on ne serait pas trop de quatre pour diversifier le jeu, et aussi parce que vos charadiers s'adonnent à d'autres travaux. Si quelqu'un veut renforcer notre équipe, qu'il s'adresse à l'un de nnous, par exemple à moi, aujourd'hui.
Bonne journée et creusez-vous bien les méninges.
La charade est une échelle syllabique vers la marche des sens et des mots.
La marche des sens ?
"caresse-moi, caresse-moi !" (Yves Jamet)"
Et en voici le compte rendu, qui va nous permettre,entre autre, d'entrer dans le développement de notions intéressantes bien qu'à mon avis impassuées, comme le fera connaître, à la fin de cet article, un échange entre le croissant de lune et moi survenu après publication de ce long compte rendu.
"La charade a dû être facile au ludomètre puisque le ludomètre, cet instrument météorologique du "journal de la charade" qui mesure la météo du passé, ne s'est même pas donné la peine de parler, si ce n'est par l'intermédiaire de Ludo, que je m'étais promis de ne pas citer, tant il me fait rougir, mais j'aime bien rougir devant tous (j'ai de l'orgueuil sans être fier) :
"« Bonjour, Julien,
Bravo, superbe, j'adore ta façon de poser la charade."
Finalement, j'adore qu'on m'adore. Ludo, ça te vaudra une citation au tableau d'honneur, mais patiente un peu, j'ai d'abord à citer babeth, arrivée en deuxième position, et dont la décomposition est un modèle du genre, sauf qu'elle a mangé mon quatrième, qu'elle me restitue spontanément dans le mail suivant :
"
hé
le thé pour allez avec (avec quoi, babeth ? Avec le lait du crémier bien sûr !)
le rot du bébé après son biberon
le nô
et mie pour le pain."
Rien à dire, tout est bon, aucun élément ne manque, mais Ludo, lui, veut avoir des points supplémentaires. Il en gagnera trois, voici sa création, la parole à Ludo :
"...Donc ma réponse,
(...) "Mon tout est donc hétéronomie H, é, t, é, r, o, n, o, m, i, e, »"
1 H, é, pour héler aussi bien le postier que le laitier (un point pour le postier, qui ne figurait pas dans l'énoncé de la charade) ;
2 T, h, é, pour moi ce sera un café et sans lait, s'il vous plaît (un point pour le café, parce que c'est aussi le goût du charadier du jour, même si le thé me détend, ne m'énerve pas du tout),
3 R, o, t, chez les mexicains, il faut mieux en pousser un si on ne veut pas
offenser le cuisinier (un point pour cette information capitale : on dit toujours que le rot ne doit couronner un repas que pour rendre hommage à la cuisinière (ou à la couscoussière) dans les pays d'outre-Méditerranée, voici que la coutume s'en trouve être la même en bordure de l'Amérique latine),
4 N, ô, je connais grâce aux mots fléchés mais je n'ai jamais eu l'occasion
d'en écouter un (cet aveu, Ludo, aurait pu te rapporter un point, mais c'eût été un point apophatique, un point négatif, donné pour une chose que tu n'as pas faite, j'ai préféré le garder en réserve, pour te donner l'envie de voyager),
5 M, i, e, c'est vrai que c'est le meilleur du pain, surtout quand il est
frais (ça n'est pas tout à fait ce que je voulais entendre, mais je suis plus content de ce que tu me dis de la mie que de ce que m'en dit le croissant de lune, dont j'ai eu deux sujets de mécontentement, pour lesquels j'ai voulu lui garder des points, ce dont il s'est défendu comme un beau diable, en se rattrapant comme il a pu, pour le plus grand bénéfice des chevaliers de la charade, vous allez en profiter sur l'heure.
Dans sa décomposition, le croissant de lune me dit de la mie :
"Ton dernier doit être la mie du pain, ouais, pour ta définition, à peu près recevable." Insolent, non ? D'autant que ce n'est pas ce que ma définition voulait recevoir, j'y reviendrai après vous avoir retransmis le cadeau du croissant, qui n'est autre qu'un poème de clément Marot (Cahors, 1496 ou 1497-Turin, 1544), .
"Dedans Paris
Dedans Paris, ville jolie,
un soir passant, mélancolie,
je pris alliance noujvelle
avec la plus gaie demoiselle,
qu'il soit d'ici en Italie.
D'honnêteté elle est saisie,
et crut selon ma fantaisie,
qu'il n'en est guère de plus belle,
Dedans Paris.
Je ne vous la nommerai mie,
sinon qu'elle est ma grande amie,
car l'alliance se fit telle,
par un doux baiser que j'eus d'elle,
sans penser aucune infâmie!
dedans Paris."
Notre Marot n'est pas un maraud ni un mufle et ne veut nous nommer mie sa mie, de peur que nous la découvrions et attentions à son honneur, tandis que le croissant de lune voudrait que notre ami Karim nous dévoile celle que "son coeur tant aime", pour reprendre une poésie de Louise Labé de la même époque.
Or ma définition était formulée comme ceci :
"
je ne mange pas de ce pain-là, je n'en mange (mon cinquième), adverbe de négation substitué à "pas" quand on voulait parler de pain au lieu de marche."
Autrement dit, on disait "je ne marche pas et je ne mange mie, je ne bois goutte, puis, la confusion aidant entre le verbe "boire" et le verbe "voir", je ne "vois goutte". C'est que, si, aujourd'hui, "ne...pas", "ne...point", "nne...plus" forment, dans leur complémentarité, un seul adverbe de négation, "pas" ou "point" étaient autrefois considérés comme des substantifs, le pas renvoyait à la marche, le point à ce qu'on parvenait plus ou moins aisément à voir, à lire, à écrire.
Voici ce que dit à propos de ces négations rares un extrait d'un article très intéressant de wikipedia
"Ces constructions employées comme variantes de ne… pas sont des survivances de l'époque où la négation habituelle était ne, suivi de n'importe quel objet dont la fonction, l'existence, la possession, etc. étaient niées (cf. On trouve encore aujourd'hui des exemples de ce type de négation : je n'ai domestique ni valet signifie je n'ai pas de domestique, ni de valet ou je n'ai ni domestique ni valet. Cette construction peut être aussi une double négation comme dans cet exemple de Charles d’Orléans :
Il n’y a bête ni oiseau / Qu'en son jargon ne chante ou crie."
Je reprends ici le commentaire pour montrer que ce vers est construit en un chiasme, lequel est une figure de style qui croise quatre éléments : la bête crie et l'oiseau chante, charles d'Orléans dispose son vers comme suit :
"Il n'y a ni bête (A) ni oiseau (Bé qu'en son jargon ne chante (b, puisque se rapporte à l'oiseau) ou crie (a). telle est toujours la figure du chiasme :
A.B.B.A.
Le chiasme reprend en stylistique le schéma de nos rimes croisées.
Mais redonnons la parole à nos grammairiens :
Dans ces constructions, certains noms se sont spécialisés à la manière de pas et sont à leur tour devenus adverbes :
goutte associé au verbe voir. N'y voir goutte signifie ne rien y voir ;
point : ne même pas avoir un point ;
mie : ne même pas avoir une mie (une miette) ;
rien : autrefois substantif, rien (ancien français : ren, de l'accusatif latin rem, « chose »), est le terme le plus utilisé aujourd'hui.
L'expression ne… guère…, surtout utilisée à partir du XVIIIe siècle, provient à l'origine du francique waigaro qui signifiait « beaucoup »
Il n'y a guère, il n'y a pas beaucoup de temps, il n'y a pas longtemps.
La contraction d'"il ney a guère" est "naguère", l'"autrefois d'"il n'y a pas longtemps", par opposition à "jadis" (venant de jam diu, jam, déjà, diu, longtemps, il y a déjà longtemps"),
"tu ne vas plus guère voir ta grand-mère", tu ne vas plus beaucoup la voir.
Une génération à peine sépare clément Marot de françois vilon (Paris, 1431-1463, et pourtant, quelle différence dans le style !
Voulez-vous réentendre à nouveau "la ballade des pendus" avant que de poursuivre ?
"Frères humains qui après nous vivez
N'ayez les cœurs contre nous endurcis,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez cy attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça devoree et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s'en rie :
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
Se frères vous clamons, pas n'en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutesfois, vous savez
Que tous hommes n'ont pas bon sens rassiz;
Excusez nous, puis que sommes transis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l'infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz:
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d'oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!
Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu'Enfer n'ait de nous seigneurie :
A luy n'avons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n'a point de mocquerie;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre.
(Transcription : Lagarde et Michard)
Encore que l'esprit primesautier de Clément Marot n'ait guère souffert les rigueurs de l'austère calvin, son admiration pour Luther lui fit écrire, recommandation le premier psautier en français, sur des mélodies dont beaucoup nous sont réfugié à genève, sur recommandation de calvin, une traduction du psautier. Ilne put achever cette oeuvre, répertoire mais Le grand humaniste français et poète Théodore de Bèze (1519-1616) la poursuivit, et en 1551, paraît le psautier genevois qui comprend les 150 cent cinquante psaumes.
Pour plus de documentation à propos de ces psaumes, où l'on apprend notamment que calvin considérait les orgues comme "la cornemuse du diable", lire ici :
Home
http://dictionnaire.sensagent.com/musique+dans+les+%C3%A9glises+r%C3%A9form%C3%A9es/fr-fr/#Le_chant.2C_rien_que_le_chant.2C_mais_un_chant_d.E2.80.99assembl.C3.A9e
En cliquant sur cet autre lien,
http://psautierdegeneve.blogspot.com/
vous pourrez trouver des psaumes traduits par Clément Marot et leur partition musicale à une seule voix. On ne trouve malheureusement pas mieux sur la toile. Il faut aller dans une médiathèque chez un discaire pour se procurer l'intégralité de ce premier psautier en français, si on s'y intéresse. Il diffère de la liturgie luthérienne en ce que n'ont été traduits que des psaumes, tandis qu'à la suite de Luther, on a mis en musique des chorals, librement inspirés de la Bible. La polyphonie a été tolérée dès l'origine pour compenser l'absence d'orgue, mais le psautier de genève se démarquait du chant grégorien dans la tradition choral, en ce qu'une note était associée à une syllabe et que, pour favoriser le chant d'assemblée, l'amplitude vocale (ou ambitus), de la note la plus basse à la note la plus élevée, dépassait rarement une octave.
Mais quittons la Renaissance où jamais, cette charade n'aurait dû nous faire stationner si longtemps si le croissant de lune n'avait quelque chose de renaissant, qui nous a fait nous arrêter avec profit sur Clément Marot, et revenons à la raison, en rien innocente, pour laquelle j'avais posé ce mot.
Les quelques réflexions qui vont suivre ne sont que le prélude à une série d'autres interrogations que je m'autoriserai d'une prochaine charade pour porter sur notre place publique.
Arrivons-y par degrés.
Et c'est encore une erreur du croissant de lune qui sera le meilleur chhemin vers ce que je voudrais essayer de montrer.
"Ton tout est l'hétéronomie, dépendre des autres", m'écrit-il.
Croissant de lune : pour définir un nom par un nom, il aurait fallu dire : ton tout est "la dépendance des autres". Mais tu n'y es pas tout à fait, et même, cette erreur t'a coûté un point. Comme nous pouvons aller du trivial à l'essentiel, mais je veux vous appâter par le classement qui viendra ci-après, si vous me conservez encore un peu de patience !
Cette erreur du croissant de lune a été confirmée, voire amplifiée, par un nouveau joueur, Jean-Michel de bretagne, qui ne m'a pas fait de proposition pour cette fois, sinon pour me dire qu'à ses yeux, le contraire d'"autonomie" était la "dépendance."
NB : pour faire connaissance avec JM, vous pouvez :
- écouter ses créations sur son site :
http://www.yann-ar-dall.com/contactjoueryad.php
ou son site de chants de marins :
http://www.yann-ar-dall.com/
La première fois que j'ai lu hétéronymie, c'était sous la plume de Pierre bourdieu : je ne connaissais pas le terme, et je n'avais pas un dictionnaire à ma portée. Il n'est pas exagéré de dire que l'auteur de "Ce que parller veut dire", qui fait tout pour disqualifier la parole distinguée des mandarins et a lui-même accepté d'être professeur au collège de france, n'avait pas le langage facile et qu'il faudrait traduire l'un de ses passages en français courant, ce serait un exercice qui pourrait bien faire une alternative à la charade pour un jour (il viendra) où l'un de vos trois charadiers (si vous n'en grossissez pas la liste) manquera d'inspiration.
La première fois que j'ai lu "hétéronymie", je ne vais pas vous le traduire, vous avez tous les éléments pour savoir ce que ça veut dire, je vous en ai dit les circonstances, mais quand je vous raconterai comment j'ai fait connaissance avec "hétéronomie", vous comprendrez le choc que ç'a été pour moi.
Mais, avant de vous narrer ces circonstances, faisons une parenthèse didactique et de critique sociale.
Le préfixe "hétéro" s'oppose à la fois au préfixe "auto" et au préfixe "homo". Quelqu'un qui est autocentré est centré sur lui-même. Quelqu'un qui est hétérocentré est centré sur l'autre.
Le préfixe homo signifie "le semblable". On le retrouve dans "homogène" (de même origine), "homologue (de même fonction), homozygote (quel est l'état des zygomatiques des jumeaux homozygotes) et bien sûr, plus couramment, dans "homosexuel" (adjectif qui désigne une attirance vers les personnes du même sexe).
Or nos sociétés modernes ont le goût du semblable par différencialisme. La différence serait le seul facteur commun qui les relie. L'hétérogénéité comme facteur de reliance. Nos sociétés sont pour ainsi dire altérophiles, que dis-je, hétérophiles, par homophobie. Au point qu'on se demande parfois si elles ne seraient pas tentées de verser dans l'inverse et se voudraient tellement homophiles qu'elles deviendraient hétérophobes. Elles voudraient tellement aimer l'autre qu'elles en détesteraient le semblable, et pourtant elles sont hétérophiles par amour du semblable, un "différent" "comme les autres", qui ne nous est pas indifférent. Elles n'ont jamais imaginé de substituer au contraire de la "philia", l'amitié, un suffixe grec qui traduise la haine, peut-être parce que la haine n'existe pas en grec. Aussi, le contraire du "phile", c'est le "phobe", le "phobique", comme si le contraire de l'amour, c'était la peur, et c'est peut-être vrai. Beaucoup de courants spirituels nouveaux entendent ramener nos sentiments à deux émotions fondamentales que seraient l'amour et la peur, la "philie" et "la phobie". Parfois, on n'emploie pas le préfixe "phile" à bon escient : ainsi, le "pédophile" serait celui qui abuse des enfants, alors qu'il serait plus juste de l'appeler un "pédomane", quelqu'un qui nourrit envers eux une obsession maniaque.
Tout ça ne vous dit pas comment j'en suis venu à découvrir l'"hétéronomie" et moins encore ce que c'est.
Voici pour le comment :
je publiais un commentaire sur le métablog, espace d'expression de l'abbé de tanoüarn, où je disais qu'il me paraissait impossible de vouloir appliquer sans réserve une volonté extérieure à la sienne, fût-ce celle de dieu, sous peine de se minimiser en tant qu'homme.
Voici ce que je lui écrivais le 15 mars 2011 àà 9h34 à la suite de son article consultable ici:
http://ab2t.blogspot.com/2011/03/septieme-billet-de-careme-mercredi-de.html
journal torrentiel de Julien WeinzaepflenMar :34 PM
Celui qui ferait mieux de se taire pour mettre son coeur en carême ne peut pourtant s'empêcher de vous demander, comme les disciples du christ après qu'Il a parlé au jeune homme riche:
"Mais mon Père, être hétéronome, est-ce possible? N'est-ce pas schizophrène?"
Et je vous entends déjà me répondre que vous m'avez déjà répondu que oui,
Bien sûr que c'est fou. Ou encore que
"Pour les hommes, c'est impossible; mais rien n'est impossible à dieu."
Vous allez me prendre pour un homme qui a de grand biens et qui n'arrive pas à les vendre, qui n'arrive pas à se rendre, et vous aurez raison. Mais comme je ne veux pas céder sans me défendre, je voudrais retourner la proposition:
"En connaissez-vous beaucoup, vous, des gens qui soient hétéronomes? Qui le soient avec naturel, bien que ce ne le soit pas du tout? Et qui le soient avec bonheur, sans névrose, sans le faire payer au prochain? Je sais bien que nous n'en sommes plus au temps de Saint-Paul qui enjoignait de le prendre pour modèle; mais je veux vous prendre à parti: vous croyez-vous hétéronome, vous qu'on sent si libre, si dégagé? Quelles sont les marques de votre hétéronomie? Quand actionnez-vous la pédale de frein, quand réfrénez-vous votre intelligence et votre pensée libre pour vous accomplir dans la Loi d'un autre, fût-il Dieu, votre bien? Comment concrètement devenir hétéronome sans devenir répressif à force de se réprimer? Est-ce que nous ne crevons pas de deux excès, l'un se trouvant dans "l'autonomisme" de ces gens qui se veulent moins sans loi que sans attache, et l'autre étant l'hétéronomie de ceux qui, de peur de s'affirmer dans leur risque personnel , mettent leur pensée entre les mains d'un Maître à Penser ou d'un "livre d'idées" sans faire confiance à cette manière d'autre bible qu'est notre sens de dieu, dépôt sacré complémentaire du livre de la Parole et du dépôt de la tradition? Je sais bien qu'en théorie, vivre, c'est perdre sa vie. Mais comment faire pour que ça ne devienne pas de la théorie morbide et surtout pour que ça devienne de la théorie pratique et praticable?
Et voici ce qu'il me répondit le lendemain, 16 mars 2011, je vous le cite in extenso :
"Cher Julien, j'ai senti la profondeur de vos questions sur le septième billet de carême. J'ai senti cette profondeur parce que, comme vous l'indiquez, ce sont des questions que je me suis posées moi-mêmes... pour moi-même.
Comment peut-on être hétéronome ? Comment peut-on laisser agir en soi une autre loi que la sienne propre ? Comment peut on s'en remettre à un autre que soi pour soi ? Sommes nous des esclaves ?
Saint Paul au début de l'épître aux Romains se dit "l'esclave de Dieu". Esclave : en grec doulos, en latin servus, il n'y a pas d'erreur. Dieu est-il un grand esclavagiste ?
J'ai beaucoup aimé la mise au point de Giorgio Agamben dans Le temps qui reste, à ce sujet : "Le syntagme 'escalve du Messie' définit pour Paul la nouvelle condition messianique, le principe d'une transformation particulière de toutes les conditions juridiques". Autrement dit, riches ou pauvrres, esclaves ou hommes libres, prolétaires ou bourgeois, nous sommes tous à égalité des esclaves du Christ. Agamben cite deux autres textes de Paul.
Voici le premier I Cor 7, 23 : "Qui a été appelé en tant qu'esclave dans le Seigneur est un affranchi du Seigneur. de la même manière qui a été appelé libre est esclave du Messie". "A été appelé", grec kletos : c'est la vocation qui est au fond de toute conversion. Il y a un ordre de la vie civile, qui reste ce qu'il est (Paul ne veut pas faire la Révolution) ;et il y a un ordre nouveau, celui de la vocation. Dans cet ordre, peu importe que l'on soit esclave ou homme libre, on est libre dans le Christ (ou esclave dans le Christ mais c'est la même chose).
Voici le second, Philémon 16 : "Peut-être bien Onésime, ton esclave fugitif qui a trouvé refuge auprès de moi, n'a-t-il été séparé de toi momentanément que pour t'être rendu pour toujours, non plus comme un esclave, mais comme un super-esclave (hyper-doulos), comme un frère chéri". Saint Paul ne parle pas immédiatement de Dieu, maios cela revient au même, l'amour de Dieu et l'amour du prochain s'identifiant. Le super-esclave est en même temps un frère chéri, comme dans le texte de Matth. qui fait l'objet du Septième billet, celui qui fait la volonté de Dieu est en même temps un frère du Christ. Le christianisme ne vient pas POUR abolir l'esclavage, mais pour faire des super-esclaves, qui, parce qu'ils sont des super-escalves, sont aussi des hommes libres : des frères.
Trop compliqué ? Mais qu'y a-t-il d'autre ? Vous ne voudriez tout de même pas vous débrouiller tout seul dans l'existence ? Direz-vous comme Sartre à la fin des Mots : "Ma seule affaire était de me sauver (...) Je me suis mis tout entier à l'oeuvre pour me sauver tout entier". Etonnons-nous qu'ensuite le même Sartre ajoute avoir "rangé l'impossible salut au magasin des accessoires". il a voulu se sauver... lui-même. Le protestant qui sommeillait en lui savait bien que c'était impossible. Il ne restait que... le magasin des accessoires ou la tendre confiance en un Dieu qui sauve toujoujours celui qui l'invoque. Un Dieu qui nous demande... l'hétéronomie.
Mais voyons ce que donne le magasin des accessoires. Le salut est impossible ? Dieu n'est pas souhaitable ou plutôt pas souhaité ? [Dans L'existentialisme est un humanisme, cette phrase : "Si Dieu existait, ce serait une raison supplémentaire de le combattre"]. Rigoureusement Sartre en tire les conséquences : "Que reste-t-il ? Tout un homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui". Le Magasin des accessoires nous renvoie un immense "A quoi bon ?" dans lequel a sombré plusieurs fois même l'humanisme de Sartre. Tout vaut tout ? Tous valent chacun ? Alors Rien ne vaut rien et personne ne tire son épingle du jeu.
Pour tirer son épingle du jeu ? Il faut parier. ".
(Fin de citation).
Et voici, pour finir, quelques tout petits extraits de ma réponse :
"1. IL y a peut-être d'abord ceci: le christianisme, c'est la victoire du "mono" sur le "multi", (...) du "mono" sur le "poly", même si ça ne plairait guère à alain de benoist qui dit "préférer généralement le "poli" au "mono", et pourtant de l'"hétéro" sur l'"homo". Disons qu'avant d'être hétéronome, on ne doit pas être l'homologue de soi, tout comme on ne doit pas se complaire dans son monologue intérieur, suivez mon regard et pointez du doigt votre serviteur!
2. Certes, cela libère: sortir de l'homologie qui est une forme d'esclavage, pour entrer dans l'hétérophilie. Se faire des amis, se chercher des frères, avec lesquels il fasse bon vivre. Des frères dont on soit le gardien. Même dieu se cherche des frères, même dieu se cherche des amis:
"Je ne vous appelle plus mes serviteurs, Je vous appelle mes amis."
Mais c'est ici que ça se corse: être ami, c'est se mettre au service, répondre à une demande, ceindre un tablier et laver les pieds de ses amis.
"Vous êtes mes amis si vous faites ce que Je vous commande", "parce que vous êtes en mesure de comprendre où je vais, n'étant pas de simples suiveurs puisque vous connaissez Mon Dessein et vous savez où va Mon Père: Nous vous avons indiqué la destination. Si vous doutez de la route, vous connaissez la destination, c'est donc librement que vous pouvez choisir si vous voulez vous y rendre avec Nous à Ma suite. Et, si vous y consentez, c'est dans l'autonomie que vous choisissez l'hétéronomie. Donc vous pouvez me suivre, me servir, en amis."
Or donc, est-ce qu'être autonome, c'est être à soi-même sa propre loi ? C'est être indépendant de toutes les circonstances ?
La sutie à un prochain numéro.
Mais en attendant, voici le classement du jour :
premier : abdel (à 7h21) avec 13 points, 4 points pour avoir bien répondu seul à la charade et l'avoir bien orthographiée, trois points pour être arrivé le premier, quatre points seulement pour sa décomposition (tous les éléments y étaient, mais j'ai soustrait un demi point pour l'approximation concernant mon cinquième et un autre demi point pour l'approximation concernant mon tout), un point pour s'être racheté en nous envoyant le poème de Clément Marot qui a fait nos délices, et un point pour le démarquer de babeth et de Ludo, dont il était ex aequo, prime dans ce cas à l'ordre d'arrivée ;
Deuxième : Babeth à 8h17 avec 12,5 points
Troisième : Ludo à 9h19 avec 12 points,
Quatrième : Jean-Nicolas à 18h09, 8,5
Cinquième : guy (à 8h36), 7,5 points"
Voici la réaction que m'adressa le Croissant de lune, et qui est un redressement (une rectification en bonne et due forme) de la notion d'hétérocentrisme:
"Je présume que l'instinct de préservation, ce qu'on nomme ainsi, détermine de façon primaire et initiale, une situation d'égoscentrisme et d'égoïsme, on veut prendre ou garder sans partage. Or, comme la chose est impossible, on s'aperçoit en second lieu, que ne pouvant pas tout avoir, ni tout garder toujours pour soi-même, on trouve régulier d'avoir autant que son rival, son vis-à-vis. Ainsi naît la justice basique, dès la toute petite enfance, et au fond, elle est secondaire et dépendante de l'égoïsme primaire. On ne peut pas tout avoir pour soi, et on veut être aimé, alors on donne, on partage. Ce n'est qu'après que des doctrines plus complexes et plus élaborées nous sont enseignées. Elles n'abrogent pas, le principe de justice basique.
Donc, l'égoïsme complet, existerait en phase toute initiale, encore que le besoin d'amour, téter le sein de sa mère, vivre la caresse, tout ça fait de l'échange. C'est au début, un échange où on reçoit, où on n'a pas conscience de donner, ou bien on se donne soi-même, sans que cela nous coûte consciemment. Comme dès le début on ne peut pas vivre seul, qu'il y a concurrence, on trouve satisfaisant d'avoir autant que les autres. En définitive, personne n'est totalement égoïste ni totalement altruiste. Les plus altruistes, ce sont ceux qui ont eu assez de bonheur, pour s'aviser de ce qu'ils croient être l'intérêt et le bien des autres. De là naît l'engagement. Le lumpen militant, ça n'existe hélas pas! Dans la vraie misère, il n'y a pas de conscience de classe.
Peut-on être hétéro-centré? Pas totalement. Quoi qu'on fasse pour les autres, cela procède d'abord, de soi-même. Quand notre être en a la force, nous allons à la rencontre des autres. Si nous sommes bons, ceci n'étant en fin de compte, qu'un reflet d'un état d'équilibre et d'harmonie intérieur, alors nous aimons le monde, nous aimons les autres qui génèrent pour nous, cette harmonie merveilleuse, nous voulons agir pour eux, leur porter secours. Car, en définitive, le monde nous pénètre jusqu'à la racine de l'être, l'harmonie est un écho plus ou moins parfait entre notre être et tout ce qui lui vient. Il est donc naturel, comme Dieu le commande, qu'on porte secours d'abord aux plus proches de nous, puis, ainsi faisant, de loin en loin, notre sollicitude finit par s'étendre à toute la création. L'être généreux est d'abord un être qui a vécu du bonheur, et s'il a vécu le bonheur, c'est parce qu'il a le mieux intégré les principes de justice basique, qui règlent harmonieusement ses rapports avec ses semblables et toute chose. Est heureux celui qui a conscience d'avoir bien agi et d'en être récompensé.
En conclusion, je retiendrais qu'il n'y a personne qui soit totalement hétéro-centré ou bien auto-centré.
Croissant de lune."
Et voici ma réponse, qui est de moindre valeur:
lundi 20 février 2012
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