Mon Cher Torrentiel.
Certes, Jehanne entendait les voix. Tel doit l'admettre le croyant, l'homme pieux, et celui qui, comme moi, est inondé d'amour pour elle. Si j'en crois mon coeur, Jeanne d'Arc est vraiment une sainte, un être merveilleux. Non pas absolue, Dieu seul est absolu, mais un être merveilleux, parce qu'il ressemble à l'absolu, se rapproche de l'absolu, au point que son existence ne semble pas relever de l'ordre des choses. On dit qu'elle est surnaturelle, à juste titre, puisqu'elle ne semble pas obéir aux lois et contraintes de la nature, souvent la dépasse. Mettons que c'est un être improbable, presqu'irréel. Merveilleuse plutôt qu'absolue : Jeanne n'entendait pas les voix en permanence à toute heure du jour et de la nuit. L'être divin, est seul absolu en permanence, et sa parole jamais faillible. Donc, Jeanne n'est que par instants, inspirée. Toutefois, elle devait être le récipient le mieux choisi, pour ce dépôt. Ce qui revient à dire, qu'en dehors des voix, la vie de Jeanne, bien qu'être faillible, reste une vie merveilleuse, de loin meilleure et supérieure envers nos vies ordinaires. L'inspiration, du reste, même très discontinue, embellit la vie du réceptacle, le force à cheminer vers la perfection. Donc, cela aussi, doit être pris en compte par le croyant : la vie de Jeanne, conserve, quoi qu'on fasse, un reflet de l'inspiration. Nous devons prendre en compte le peu que nous croyons savoir des voix et ce qu'elles ont transmis, et en même temps la vie et les paroles de Jeanne. Cet être inspiré ne l'est pas constamment, et il sait faire la différence entre ce qui vient de lui-même et ce qui lui est inspiré.
Certains se plaisent parfois à comparer Jeanne d'Arc au prophète Mohamed, en vertu du fait qu'il fut comme elle chef de guerre et a, comme elle, livré bataille. Si le prophète fut inspiré, il ne le fut pas sans cesse, et savait lui-même faire la part des choses. Voici une anecdote illustrative.
Il advint que les Mékois se résolurent à mettre une fin définitive, à l'expérience Médinoise, en livrant une bataille finale. Il était pour eux question d'anéantir la communauté des Croyants, ce qui faisait fi des lois de la guerre Arabique du temps, plutôt économes en fait de sang versé. Dans ce but, ils cohalisèrent des alliés, parvinrent à grouper une armée de 30000 hommes, chiffre énorme en ces temps. Quand la nouvelle de leur aproche fut connue, sur l'ordre du prophète, on creusa un grand fossé autour de la petite ville. Les Mékois étant très supérieurement montés en chevaux, en dépit de la supériorité qualitative des gens de Médine, il fallait faire ce fossé, pour couper l'élan des cavaliers, puisqu'il n'y avait pas de remparts. Ce fut un siège qu'on a nommé "la bataille du fossé". Cela fonctionnait au début, il s'agissait d'empêcher les assiégeants de franchir l'obstacle, de débarrasser et creuser à mesure que ceux-ci comblaient le fossé. Or, ils étaient plus nombreux, et vraissemblablement, ils eussent réussi à passer l'obstacle si chétif. Le siège durait depuis quinze jours, les gens de Médine s'épuisaient des travaux et alertes. Mohamed imagina de dissocier la cohalition, en négociant avec l'une des tribus assiégeantes, un accord particulier. Il voulut offrir le tiers des récoltes de dattes, en échange de son départ, ce qui, pensait-il, entraînerait une dynamique de défections, et des mésententes parmi les cohalisés. Quand il proposa son plan, les Médinois s'en émurent. Ils lui dirent :
"Envoyé de Dieu, cela vient-il de toi, ou t'est-il inspiré?" Il répondit en substance que cela venait de lui, et non pas, d'une inspiration. Alors ils lui firent la réflexion suivante :
"Envoyé de Dieu, quand nous étions ignorants, hormis l'hospitalité, on ne prenait nos dattes qu'en les payant! A présent que nous sommes devenus croyants, faut-il que nous cédions gratuitement, une part de nos récoltes?" On s'avisa de n'en rien faire, et ce fut bien. Dieu porta aux Croyants des secours inattendus, par des moyens imprévus.
Ceci montre que le prophète n'était pas inspiré et infaillible à tout instant. Pourtant, s'il a bénéficié de l'inspiration, c'est bien parce qu'en même temps, il fut un homme exemplaire en bien des choses! Voilà pourquoi, en plus du Coran, qui contient la parole inspirée, nous disposons des actes et paroles du prophète, que nous a conservé la tradition. Nous savons que ces paroles ne sont pas inspirées. Tout de même, elles n'auraient pu émaner que d'un homme qui, par ailleurs, se trouve être par moments, inspiré. Si on fait le parallèle avec Jeanne d'Arc, est-il concevable de ne s'en tenir qu'à ce que nous croyons savoir de ses voix? Ce qu'elle fit, les récits de sa vie, ce qu'elle dit sans être inspirée, compte aussi, bien qu'en second plan, on en convient. Cette fille a séduit tant de gens, parce qu'elle entendit des voix, mais aussi par elle-même, comment elle vécut, la générosité de son être. Qu'elle ait reçu la grâce et l'inspiration divine, est-ce une faveur faite à n'importe qui? Non, bien sûr, il faut un récipient digne du contenu, ou mieux, qui participe lui-même du contenu. Donc, peux-tu me reprendre ainsi, et objecter, qu'à part les voix, tout le reste n'est qu'interprétation? Bien entendu, c'est ainsi, interprétation ou réception, mais ça n'est pas moins légitime que l'écoute des voix elles-mêmes, desquelles non plus, nous ne pouvons pas davantage nous assurer.
Or, le fantôme que je me fais de Jeanne d'Arc a bien des chances de ressembler beaucoup au personnage. Je maintiens qu'elle a tenu pour le droit contre le tort, elle tint pour la Justice, donc, en effet, pour le roi légitime. Un homme juste et loyal de ce temps ne pouvait faire autrement. En vain, on évoquerait que le roi d'Angleterre était roi de France par testament. Le vol est évident. On abusa du roi fou, on lui extorqua un acte qu'il n'avait pas pouvoir de dresser, on s'assura de la connivence de la dénaturée Isabeau de Bavière, qui prétendit que le Dauphin Charles VII, n'était pas du roi. Quand bien même il en serait ainsi, quand bien même Charles VI étant fou, était également incapable de procréer, malgré tout, un fils illégitime, reste plus légitime comme roi, qu'un roi étranger! Quoi qu'on fasse, Jeanne tenait pour le droit et la Justice. Et elle tint pour l'indépendance du royaume, comme un précurseur des luttes anti-coloniales. Il faut aller même plus loin, la France était en si grande pitié, tant de ravages se commettaient, en plus des pestes et catastrophes, qu'on craignait le dépeuplement et l'exhode de ce qui restait d'hommes dans le royaume! N'eût été Jeanne d'Arc, ta France eût-elle survécu aux épreuves? Je retiens que tu supporte si mal le jugement du passé colonial Français, que tu en arriverais à ne pas mesurer la vraie profondeur et gravité de l'occupation armée étrangère. Elle est, obligatoirement, sans contredit possible, immensément destructrice! Il faut te convaincre de cette vérité et l'imprimer dans ton coeur. Tu ne veux pas qu'on ressace les plaintes envers la France, soit. Mais gardes-toi d'oublier que rien de pire n'arrive à un peuple, que l'invasion armée. Qui dit autre chose en aura menti. Pourquoi est-ce forcément ainsi? Très simple et basique. Le vainqueur n'a pas d'égards aux intérêts et à la vie, de ce qu'il regarde comme vaincu. Tout ce qui, à l'ordinaire, l'empêche de commettre trop de mal, l'ensemble des codes éthyco-juridiques, se trouvent abolis par l'étrangeté. Et le vaincu, qui se voit comme tel, est nécessairement méfiant, guette tout signe de faiblesse pour porter tort à l'envahisseur. Il est donc fatal, sans contredit et sans perte de temps ni débat, que l'invasion armée est le mal le plus grave qui peut atteindre un peuple. Et cela est tellement basique, qu'il en fut ainsi de tout temps. L'invasion consommée et victorieuse, en effet, c'est à terme, la mort. La mort physique en très grande quantité, il faut pas rire avec tes chiffres dérisoires sur l'Algérie, que tu prends, on ne sait où, mais encore la mort en tant qu'identité, inévitablement. Sinon, cites un exemple contraire.
Donc, la France pouvait disparaître, le plus simplement du monde, si Jeanne ne se fût levée. Elle vint de par Dieu, à cause de la grande pitié qui estoit au royaume de France, notes bien. Elle n'est pas venue, seulement, pour rétablir le roi en tant que roi! Le sacre du roi légitime n'était qu'un moyen de rétablir la paix et la justice, pour sauver non pas le roi, mais le royaume, ou bien le peuple du royaume. Sinon, comment entendre ce, "la grande pitié qui estoit au royaume de france"? C'était le malheur public, le malheur du peuple!
Je te soupçonnes, Torrentiel, de ne pas vouloir prendre Jeanne pour la sainte des oprimés, parce que tu te refuses obstinément, à criminaliser comme il convient d'un homme libre, ce qu'on nomme colonialisme, ce qu'on nomme occupation armée, etc. Et cela parce qu'en effet, tu soufres mal les accusations et jugements qui s'en suivent. La France, en tant que puissance, est coupable, et les effets et séquelles de ses guerres injustes, sont très loin d'être guéris. Pour t'en convaincre, écoutes nos psychologues sur l'amitié, et mesures jusqu'où ça peut aller! La France est coupable, mais Jeanne d'Arc rachète le mal de la France. Rien que pour ça, la France ne devrait pas subir tant d'accusations ressacées. Le mal de la France est racheté par Jeanne, pourvu que la France retrouve la fidélité de l'esprit de la sainte. La France fut sauvée par une femme, elle a les clefs qui lui permettraient à son tour, de sauver le monde.
Le Front récupère la sainte, en se fondant sur quoi? Tout juste parce qu'elle a chassé des envahisseurs. Quand elle enjoignait aux Anglois, de s'en retourner en dedans de leur royaume, elle s'adressait à des gens de guerre, non pas à des migrants! Ce que faisant, Jeanne te confirme cette vérité basique et profonde, que l'homme armé, en terre étrangère, qui n'obéit pas à l'autochtone, mais à sa nation à lui, ne peut être que malfaisant. Quoi qu'il fasse, par la colère de Dieu, il vole l'air qu'il respire et sa vie est trop longue! Quand bien même il voudrait se convaincre d'être le plus doux et généreux qui soit, il ajoute l'hypocrisie au crime. Tant vaut mieux subir et soufrir du blâme juste qui atteint l'homme, qui porte les armes ainsi, il persiste vil et malfaisant sur les terres d'autrui! S'il ne s'en retourne pas en son pays, il est sain et pur, qu'il ressente partout les épines et le mépris, et il sait pourquoi.
Que je voudrais te voir confirmer mon mariage avec Jeanne ? Oh, c'est que mon amour de la France et de Jeanne est si authentique, que j'aime à l'entendre confirmé par un autre, autochtone. Oui, un jour, j'ai cédé à l'insistance d'amis, et on m'a conduit chez un magnétiseur, pour soigner un mal persistant, qui me reste. On m'y mena, cela resta sans effets. Je ne sais pourquoi, mais la nuit suivante, me trouvant couché, dans un état qui n'était pas vraiment du sommeil, Jeanne d'Arc vint s'asseoir à mon chevet. Fantôme, probablement. Savoix était douce, caressante et sonore, comme j'aime dans les voix de vos femmes, de celles qui sont adonnées à chanter aux églises et à y faire des lectures, des voix qui portent. Sa voix était sonore et douce, sa main était douce quand elle prit la mienne. Je me trouvais dans un état intermédiaire, rares et merveilleux. Elle me parlait, mais ce n'était pas toujours des paroles claires et intelligibles. Ce qu'elle disait ou ce que j'en percevais, ou crut percevoir, c'est qu'elle me voulait le baptême. Je me refusais silencieusement, je n'acquiesçais pas. Je me refusais seulement par le silence, parce qu'il est indécent de contrarier une sainte. Est-ce puéril? Savoir. J'eus l'impression, que, moyennant que j'acquiesce, mon mal persistant serait guéri et non pas, au cas contraire. L'invitation était si belle et douce, mais Rodomont ne peut pas. Comment nommer cela? J'eus l'impression que ce n'était pas un pur et simple songe ou affabulation. Il se peut, tout de même, que cette espèce de marchandage soit de ma perception et faiblesse. Il y eut peut-être en cela de l'affabulation. Plus en profondeur, l'invitation au baptême était pour moi, en elle-même tentante. Oui, tu ne peux plus en douter, Rodomont est si terriblement ému par la France et l'église, qu'il ressent la puissante tentation d'en être. Qui peut comprendre ça? En effet, je ne sais pas du tout, quoi que je fasses, comment m'expliquer ce trouble si intense.
A-t-on le droit de parler ainsi, en présence d'une sainte qui se veut chaste? Je jure que c'est la vérité, la présence de l'identité ou de l'être Chrétien, je ne sais comment dire, provoques en moi, des émotions sans limites. Il n'est que jusqu'aux voix sonores des femmes qui animent vos églises, en chants et lectures, qui ne soient pour moi, un élément de séduction. Rien à faire! Je devais depuis toujours me marier à une femme catholique, c'était dans l'ordre des choses, et je me décidais : parce qu'elle était catho, mon adhésion fut emportée.
Non, ça suffit pas de dire ça, je vais aller plus loin, être plus grave. Quand je rencontrai ma femme pour la première fois, le fait de savoir qu'elle était catho et s'occupait de l'église, m'a tout simplement rempli d'émotion, et a suscité ou augmenté mon désir. Tout simplement, si j'avais le choix entre deux femmes, c'est la Chrétienne que je choisis, inmanquablement. Et la Française aussi. Qu'il soit clairement entendu, que l'émotion dont je parle, est fortement charnelle, je dirais au premier plan! Oui, je suis charnellement séduit, il faut l'entendre ainsi, par ce qui est Chrétien et Français! J'aime la France au sens propre et commun du mot!
Une chose que je n'ai jamais comprise, c'est pourquoi on prétend que le Christianisme réprime tant la chair et fait promotion de chasteté. Il le fait, c'est ainsi, c'est allé très loin. Mais ce que je perçois, peut-être à tort, du message Chrétien actuel, sonnerait presque, comme une invitation à la chair, puisqu'elle va de pair avec la promotion de l'amour. Parce qu'enfin, que signifie l'amour qui ne serait pas charnel du tout?
Donc, au fond, Jeanne d'Arc vint à mon chevet, m'inviter à prendre part, en tant que partie, moi-même, à une communauté, que j'aime véritablement, mais je n'acquiesçai pas à cette généreuse invitation. Vois à quel point, je suis le migrant absolu, qui ne veut pas être tout-à-fait des vôtres, mais qui vous aime et veut être aimé de vous. Affaire folle !
Pourquoi j'aime autant Jeanne d'Arc, parce qu'elle est vraie, saine et pure, qu'elle tient pour le droit. Elle est comme le résumé du génie de la France, nation de l'égalité. Car au fond, la France dépouillée de toute ambiguïté, la France par elle-même tient pour l'égalité. Pourquoi la France m'a-t-elle tant aimé? Dans l'amour de la France, j'en suis persuadé, il y a une part de réparation. C'est parce que l'injustice est contraire au génie Français, la France aime les fils de ceux qu'elle dominait et qu'elle domine encore, hélas ! Il n'y a pas que le gouvernement qui répare, si même il le fait. Celui qui répare vraiment, c'est le corps social par lui-même. Il fait souvent bénéficier le migrant, d'un suplément d'amour correcteur. Voilà pourquoi, nul ne peut haïr totalement la France, sauf les injustes. Si on suit cette dynamique profonde, la vocation et la fonction de la France, est bien de réparer le monde, d'établir un monde juste. Je crois qu'elle le peut, et ainsi, elle se sauverait elle-même. Quand la France aime Rodomont, il arrive parfois à se sentir bien compris, exactement. La vraie France, soufre en même temps que lui, rase les murs avec lui, tremble pour lui. Oui, quand Rodomont souffre, il veut au moins qu'on soufre un peu avec lui. Jeanne d'Arc, c'est la France vraie, dépouillée de toute ambiguïté, la France pure. Celle-là, reconnaît comme véritables tes lésions, les partage avec toi. Cette France-là, n'est pas croisériste ou suprématiste, elle n'a rien de tel, c'est la nation de l'égalité, la plus belle des nations.
Croissant de lune.
mercredi 11 janvier 2012
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