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Chers baudelairec2000, worou-kenou et chers autres liseurs,
Lorsqu'il y a des turbulences dans l'Église (mais quand n'y en a-t-il pas?), on redevient un liseur plus assidu du Forum catholique, mais je ne m'attendais pas à avoir envie de contribuer sur ce sujet du jansénisme, de contribuer comme à mon habitude avec beaucoup d'approximations et à partir de ma subjectivité personnelle (pléonasme ou tautologie), autant dire en prenant mon cas pour une généralité, mais de partager néanmoins deux ou trois choses qui me tiennent à coeur et de soumettre au débat ce que mes opinions peuvent avoir de subjectif ou d'incertain.
Je suis comme worou-kenou: bien qu'ayant été formé à des rudiments de compréhension du jansénisme en ayant assisté à un cours de Philippe Sellier du temps lointain de mes études qui s'intitulait "l'Augustinisme en littérature", cours remarquable dont je reste encore marqué, ce sujet m'a toujours intéressé, mais ses arcanes m'ont paru tellement complexes que mon dilettantisme s'est arrêté à l'orée de lire le "Port-Royal" de Sainte-Beuve, sommatif pour ne pas dire assommant, en tout cas un peu ennuyeux à force d'être érudit, et je crois que je vais profiter de cet après-midi de loisir pour écouter le "Port-Royal" de Montherlant si je le trouve en ligne.
Les mauvais historiens des idées(ou les historiens des idées amateurs en-dessous desquels je me place sans coquetterie et avec lucidité) ont toujours la fâcheuse tendance de faire des raccourcis pour comprendre une époque en la schématisant ou de chercher des similitudes entre deux époques en faisant des analogies qui gagneraient à être précisées.
Si je fais le kéké ou le simplet en cédant au premier penchant que je viens de décrire ou de dénoncer, je dirais que d'instinct, on aurait envie d'identifier le jansénisme à la Fronde, mais l'exposé de Baudelairec2000 montre que c'est un raccourcis intenable, même si beaucoup de frondeurs ont été jansénistes ou proches du jansénisme, tels Mmes de Longueville, de Lafayette et de Sévigné par amitié interposée,ou M. de la Rochefoucauld ou Son Eminence le cal de Retz, si on veut le tirer jusque-là. C'est un raccourcis intenable, car la Fronde est une histoire sans cesse en mouvement, réalité que j'ai dcouverte en lisant le chapitre que lui a consacré Voltaire dans son "Siècle de Louis XIV".
Néanmoins, il y a (et votre bibliographie le prouve) un lien qui semble intrinsèque au jansénisme entre mystique et révolte, ce qui me donne envie de dire que le tempérament janséniste est à la fois scrupuleux et frondeur. Le tempérament ou la spiritualité janséniste, puisqu'on vous taxe volontiers de jansénisme dès que vous êtes à la fois provocateur, scrupuleux et révolté, ça m'est arrivé, donc j'en parle à mon aise.
Ce scrupule dans la révolte et cette révolte face à la tiédeur d'une spiritualité sirupeuse à force de ne rien imposer là même où, si l'Eglise osait m'imposer quelque chose, je la quitterais certainement, renvoie à ce qui fait mon intérêt personnel (je le comprends maintenant) pour le traditionalisme catholique. Mais à la vérité, le jansénisme n'a cessé d'intéresser l'Église et il en va de même pour le traditionalisme qui continue de beaucoup l'occuper. On ne pourrait pas en dire autant de la façon dont le mouvement catholique traditionaliste refuse de reconnaître ouvertement l'influence que le jansénisme a exercé sur lui et jusqu'à la moindre affiliation avec le jansénisme. Et pourtant, il y a quelques points de convergence qui sautent aux yeux:
-Le jansénisme est un mouvement de retour à un catholicisme plus cohérent et plus observant, on dirait aujourd'hui plus intransigeant, qui décide de se rebaigner dans les sources augustiniennes après l'assèchement de la scolastique et du thomisme, même si au xVIIème siècle, on aimait à se référer simultanément à saint Augustin et à saint Thomas.
Mais encore le jansénisme et le traditionalisme sont des mouvements à la fois gallicans et ultramontains. Ultramontains en ce que Jansénius a défendu le pape, mais que le pape a attaqué l'Augustinus avant que Clément IX ne le réhabilite sans tout à fait le reconnaître; gallican en ce que Jansénius est un évêque flamand mis en honneur par son ami Saint-Cyran, un Gaulois du temps où l'on s'exprimait dans le français le plus pur et où l'on n'a jamais aussi bien traduit la Bible que ne le firent le grand Arnauld ou le Maistre de Sacy.
Gallican, en ce que c'est une réaction de "Gaulois réfractaire" que de vouloir prouver à tout prix que cinq propositions condamnées par le pape sont certes condamnables, mais ne sont pas dans l'Augustinus. On croit entendre l'écho du dialogue de sourds entre les traditionalistes et le Saint-Siège où celui-ci veut obliger ceux-là à accepter le concile Vatican II, où ceux-là protestent qu'ils l'ont reçu, mais revendiquent le droit de le critiquer ou réclament de signer un Préambule doctrinal que celui-ci ne veut pas leur concéder, poussant leur exaspération jusqu'à les condamner à ne pas avoir un avenir puisqu'on laissera leur réserve d'Indiens s'éteindre sans permettre qu'elle se reproduise, sans que cette condamnation à mort ne règle le problème, nos Indiens en réserve du catholicisme trouvant bien au contraire qu'on ne s'y serait pas pris autrement si on avait voulu répandre leurs erreurs (ou leurs vérités) de par le monde.
Luther, au rebours, a adopté un antipapisme franc, honnête et assumé là où jansénistes et traditionalistes n'ont jamais souffert d'être mis hors de l'Église où ils n'auraient pu "faire leur salut", pensaient-ils.
Ce qui dit autre chose du caractère des hérésies modernes: c'est qu'elles ne sont jamais précisément définies. Aurait-on voulu qualifier le jansénisme d'hérétique qu'on aurait été bien en peine de détailler les hérésies qui s'y trouvaient, de même que saint Pie X va condamner des siècles plus tard ce qu'il va appeler "le modernisme", qui aurait été plus clairement désigné s'il l'avait qualifié d'"immanentisme". J'ai trouvé sous la plume de Mazarine Pingeot dont je viens de terminer l'ouvrage intitulé "Vivre sans" et édité chez Flamarion en janvier 2024, cette caractérisation de la modernité comme "évacuation de toute transcendance". Le modernisme est conséquent avec la modernité et quand saint Pie X le définit, il lui reproche de dégouliner d'immanentisme qui requalifie la foi à l'aune de l'intuition qui s'éloigne de la Révélation. Or qualifier ce contrequoi il en a de modernisme plutôt que d'immanentisme conduit saint Pie X à accuser ce qu'il condamne d'être "l'égout collecteur de toutes les hérésies", ce qui revient à n'en désigner aucune.
Si le traditionalisme catholique se mêlait de qualifier hérétiquement la tendance à l'oeuvre au Vatican depuis le pape François, mais déjà sous la répugnance de Jean-Paul II, évoquée par Michle Reboul dans "l'Invisible infini", à admettre qu'il y ait des damnés en enfer, il pourrait la qualifier d'inclusivisme: l'Eglise a tellement envie de croire à l'universalité du salut qu'elle pose implicitement que l'enfer est vide, et cela la conduit à une telle horizontalité que l'identité de tous ses membres en est déboussolée, que le plus grand péché y devient le cléricalisme, que les laïcs ne sont plus que revendication et que les clercs ne savent pas ce que le sacrement de l'Ordre qu'ils ont reçu est venu ajouter au sacerdoce commun des fidèles auquel ils regrettent de ne plus appartenir exclusivement sans pour autant oser quitter massivement le sacerdoce ou le ministère.
Signe de l'intérêt que tout cela ne cesse de susciter comme une pomme de discorde entre des pôles de conflits éternels, le pape François a écrit une encyclique très élogieuse sur Pascal qui a transposé le conflit théologique du jansénisme sur un plan moral dans les "Provinciales" où François aurait pu jouer le rôle du Père Anat relativisant tous les péchés, voire tous les crimes, qui paraissent tous solubles dans la Miséricorde divine et dans la fraternité universelle, qui doit seulement ignorer les "catholiques de fermeture" ou de fermeté. Nous ne sommes pas au bout de nos paradoxes.