Relationnellement, on ne croit pas en toute rigueur doctrinale, mais on croit avec ce qu'on a envie de croire en fonction de ce qu'on est et cela n'est pas rien, même si des esprits chagrins voudraient que notre petite personne ne comptât pour rien auprès de la doctrine: "Je suis celui qui suis et tues es celle qui n'est pas" est une drôle de façon d'aimer prodiguée par Dieu à sainte Catherine de Sienne, mais ma relation à Dieu est vivante et comme telle, s'expose à l'hérésie. Elle est vivante, car elle ne se fait pas de l'Etre à quelqu'un à qui il manque une case ontologique. Elle est vivante et relève d'une élection, d'un choix, d'une vérité et d'une intégrité personnelles.
René m'a renvoyé à ce billet de blog où il faisait la recension du précédent livre connu de Denis et pour l'instant, je ne puis faire mieux que faire écho à ce qui, dans cette recension, résonne en moi.
D'abord ce sous-titre m'interpelle: "Jésus comme ressuscitant plus que comme ressuscité". Car je me dis souvent que si Jésus est Dieu, Sa Résurrection même humaine, quand bien même serait-elle un miracle -et qu'est-ce qui est miraculeux pour Dieu?-, Le concernerait davantage Lui qu'elle n'aurait un impact direct sur moi. Tandis que s'Il est "ressuscitant", Il ne m'invite pas seulement à "memparer de la force de Sa Résurrection", Il m'entraîne dans l'acte même qui Le fait ressusciter d'entre les morts, Qui le fait se relever et ce relèvement de Jésus me donne l'espoir de renaître, oui, "de renaître d'en haut", mais non pour l'au-delà, bien plutôt comme Il le promet à Nicodème, de renaître avant que je ne m'envole vers le ciel, de renaître pour me permettre de remettre du ciel dans ma vie.
"Les chrétiens sont invités par Saint-Paul lui-même à se convaincre que «Les païens qui n’ont pas la Loi (de Moïse) pratiquent spontanément ce que dit la Loi» (Rm.2,14)". D'où saint Paul tire qu'ils sont "inexcusables" de ne pas reconnaître Dieu quand Il se présente à eux, mais dont j'ai vu un précédent le jour où un thérapeute transpersonnel et karmique, #PatrickAmsellem, m'a invité à lire la pièce de Sophocle, "Oedipe roi", où tout était déjà en germe de l'idée que l'on peut, à soi tout seul et contre son gré, faire basculer le monde entier, que les enfants étaient jadis "exposés" par leurs parents pour voir si la société les jugeait viables et non nocifs, que l'on doit s'exposer soi-même si l'on croit qu'on va faire tomber une cité et que, pour échapper à ce carnage, à cette cascade de pesanteur où l'on ne peut supporter ce monde que l'on risque de faire tomber, on doit s'en remettre à ce Dieu qui se propose de soutenir toute la Création qu'Il a Lui-même forgée pour qu'elle se maintienne par la force de Son pardon qui lui fait grâce et la grâce d'exister envers et contre la manière dont nous lui contrevenons en ne sachant pas la supporter.
Le païen es légaliste et le chrétien n'est affranchi de la loi qu'en vertu d'un écartèlement tout paulinien qui lui ferait presque détester la loi en renchérissant sur la morale parce que, faute d'avoir, comme Montesquieu qui a écrit "l'Esprit des lois", cherché "l'esprit de la loi", Saint Paul veut pratiquer la loi illuminé par l'Esprit-Saint qui serait bien plus que notre esprit et que la polysémie du mot "esprit" nous a fait confondre avec ce que devait devenir "la conscience européenne", ouvrant dangereusement la boîte de pandore à la fois sur un individualisme excédant le personnalisme et sur un subjectivisme exagérément coupable à force de ne se référer qu'à lui-même.
«Ce que je sais de Jésus, c’est l’Eglise qui me l’a donné», reconnaît Denis Moreau."
Cette phrase en dit long sur l'impasse évangélique qui en vient à bannir "l'esprit de religion" au profit d'un "développement (strictement) personnel" d'une relation subjective avec Dieu et singulièrement ce "Jésus" que je dois reconnaître "comme mon Seigneur et Sauveur" personnel, mais dont rien ne me garantit que la relation purement subjective, là encore, que j'entretiendrai avec Lui ne sera pas pur et simple basculement dans la schizophrénie. N'importe si "Jésus a annoncé le Royaume et c'est l'Église qui est venue" si l'Église est le marchepied du Royaume qui vient, d'autant que, pour qui croit en la résurrection de la chair, l'Église qui a les promesses de la vie éternelle ne nous est pas seulement une aide pour le présent, mais a vocation à être la chair de ce Royaume.
Jacques Lacan a été beaucoup plus qu'un catholique dégradé, c'était un catholique attaché, lié, comme tous les catholiques sont reliés grâce à l'"esprit de religion", un catholique qui avait beau déclarer des inepties comme "la femme n'existe pas", réduire "le nom du père" à la loi qu'il transmet (voilà que je rétrograde moi-même sur le rôle de la loi!, dégrader le Verbe créateur à la fonction d'un "langage" autonome, structurant et structuré à la manière d'une grammaire structurant un inconscient déshypnotisé, désenchanté et détransé, ou encore se cantonner, en psychanalyste, à une version revisitée du stoïcisme, il ne dépassait pas le catholicisme de ses origines à la manière dont Philippe Sollers disait que "l'Église est la fabrique à névroses, elle est là pour cela" et heureusement qu'elle est là!
Le marxisme pasolinien inscrit l'avenir de l'Église dans une lutte contre le consumérisme. Le marxisme a réduit l'inspire et l'expire de l'homme en un "consommer et produire" sans voir que produire s'inscrit dans le projet créateur de Dieu et ne fait pas qu'épuiser la planète, et que consommer n'est en-dessous de l'appel lancé à l'homme que si celui-ci se refuse à produire en retour, et notamment à créer de la valeur humaine, comme on ne cesse de voir les nouvelles générations, aux prises avec un monde qui les lâche sans rien leur avoir appris, s'escrimer à faire tenir ce monde, loin des belles leçons camusiennes incessamment resassées: "Notre génération n'est pas vouée à refaire le monde, mais à empêcher qu'il se défasse".
Le début de la citation pasolinienne était beaucoup plus prometteur, qui réinscrivait l'Église dans sa lutte séculaire avec le monde, montrant implicitement que la civilisation chrétienne fut une ruse de l'histoire consentie par la Providence pour que le christianisme ne s'impose pas au monde, mais soit connu de lui: «Si les fautes de l’Eglise ont été nombreuses et graves dans sa longue histoire de pouvoir, la plus grave de toutes serait d’accepter passivement d’être liquidée par un pouvoir qui se moque de l’Evangile. Dans une perspective radicale (…) ce que l’Eglise devrait faire (…) est donc bien clair : elle devrait passer à l’opposition (…) En reprenant une lutte qui, d’ailleurs, est dans sa tradition (la lutte de la papauté contre l’Empire), mais pas pour la conquête du pouvoir, l’Eglise pourrait être le guide, grandiose mais non autoritaire, de tous ceux qui refusent...", ici je coupe Pasolini et je puise dans mon propre fonds, "qui refusent le primat du politique". "Spirituel d'abord!", comme le disait encore mon ami Guillaume de Tanoüarn.
Même si moi aussi, "j'aime bien les catholiques de gauche", parce que, quand ils ne se replient pas sur leur droite, ils ne lésinent jamais sur la solidarité, aussi bien dans la conversion des structures que dans la charité au quotidien, je converge avec cette affirmation de Claude Tresmontant que j'ai découvert via Pierre Chaunu, un peu lu et dont la bonté de la personnalité m'a été confirmée par mon maître René Pommier qui était plutôt avare en compliments, mais aimait les iconoclastes: «La gauche chrétienne, en France, a les entrailles évangéliques, mais elle n’a pas la tête théologienne». Or c'était de ces entrailles théologiennes que notre époque avait le plus grand besoin devant ce que Michel Foucault aurait appelé le changement d'épistémè du monde et l'évidence darwinienne, pour prendre un exemple emblématique, substituée à "l'évidence chrétienne" (encore G2T). "Pour les catholiques de la vieille Europe le défi spirituel a relever devrait-il emprunter les chemins d’une douce régression fidéiste ?" Au risque d'être "aux antipodes" de l'auteur de ce livre que je n'ai pas lu, je pense que oui, mais "une douce régression fidéiste" innervée par une réflexion moins apologétique que de théologie fondamentale qui permette de redire les vérités de foi en les pensant à nouveaux frais et en ne refusant pas "la lutte avec l'ange", même si la raison doittoujours s'incliner à la fin, se déclarant boîteuse devant les questions de foi. Les croyants n'aiment pas "la lutte avec l'ange", faute de quoi ils se stérilisent -et le christianisme avec eux- dans une querelle entre les traditionalistes et les progressistes qui ont défroqué la gauche pour s'habiller de macronisme, de "gauche moderne" à la Jean-Marie Bockel ou de fillonisme. Ceux-ci ont la colonne vertébrale, mais n'ont plus que le mot de solidarité à la bouche, ils en ont perdu la pratique; ceux-là, les tradis et les néo-tradis à la sauce Saint-Martin qui ont le vent en poupe dans les diocèses (et je n'en suis pas fâché contrairement à tel de mes amis), , se gardent d'affirmer qu'ils ont gardé le rite, ils n'ont plus de scrupule à le transgresser et au fond ne le connaissent plus très bien. Mais ils parient sur le spectacle comme au Moyen-Age, on réunissait les fidèles autour des "mystères", ces pièces de théâtre où la foi était mise en scène. Les uns et les autres pèchent parce qu'ils ne se retroussent pas les manches pour chercher la brebis perdue, non à travers des stratégies pastorales, mais àtravers l'acte beaucoup plus exigent de l'accompagnement dans les lieux mêmes où elle s'égare et l'accompagnement est toujours sans obligation de résultat. L'accompagnement échappe à la logique, non pas consumériste, mais entreprenariale.
"Si le message évangélique n’est accessible qu’aux pauvres, pourquoi vouloir, au nom de l’Evangile, les tirer de leur pauvreté, au risque de la sécularisation et de la sortie de la religion ?" (René Poujol)
Il ne faut pas être dupe des affirmations pontificales selon lesquelles l'option préférentielle pour les pauvres nourrit un véritable désir de tirer les pauvres de la pauvreté. Dans sa première encyclique, "Dilexi te", le pape Léon XIV met sur le même plan une parole comme: "Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous" comme si le Christ n'invitait pas, dans le contexte de son agonie, à délaisser un peu les pauvres pour s'occuper de Lui, avec une parole comme: "Je serai avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde" ou avec Sa présence identificatoire dans les pauvres et les petits. C'est non seulement un contresens manifeste, mais un contresens manifestement volontaire. De même que les premières paroles qui ouvrent cette encyclique reprennent la bénédiction de l'Eglise de Philadelphi malgré son apparente impuissance et sa faiblesse, mais ce qui est en jeu est la fidélité de cette Église au combat contre les Nicolaïtes, donc à nouveau une valorisation de l'orthodoxie dans un contexte d'hérésie et de puissance hérésiarque. Non seulement l'Église n'a pas les moyens de faire sortir les pauvres de leur pauvreté, mais quand elle l'affirme, elle fait preuve d'hypocrisie, car selon un emploi moderne de ce substantif maintes fois détourné en philosophie, "ce n'est pas son sujet".
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