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vendredi 17 octobre 2025

Ëtre catholique avec ses petites hérésies personnelles


J'ouïs dire par #RenéPoujol que #DenisMoreau a tout récemment commis un livre sur la manière dont nous sommes tous hérétiques et dont nous héritons des hérésies anciennes que nous recyclons en les remettant à notre sauce. Faisant partie des publics "empêchés de lire" comme on dit pudiquement, je ne suis pas sûr d'avoir le temps ni l'occasion de lire ce livre ou de le faire transcrire, mais je m'en réjouirais beaucoup, car plus j'avance, plus je me dis qu'il est plus vivant d'assumer une part d'hérésie que de se croire orthodoxe, non par simple provocation -encore que le plaisir de provoquer ne manque pas de sel et soit vocationnel au sens fort où il appelle à savoir ce qu'on choisit-, mais d'abord parce que l'hérésie, au sens étymologique, est "le choix" même si c'est un choix qui élit une vérité en oubliant la vérité contraire comme le disait Blaise Pascal cité par #GuillaumedeTanouarn. "Laisse-moi vivre mes petites hérésies", me disait mon amie #CatherineMagondelaGiclay au temps où nous nourrissions avec profit une relation réelle et virtuelle, fût-elle téléphonique, moins épisodique que ce qu'elle est devenue, mon blog s'en est souvent fait l'écho. Catherine était marcionite et pas moi, elle n'était pas loin de faire de la Vierge Marie le quatrième personnage de la Trinité et l'appelait "Notre-Dame de l'Esprit". Qu'elle ait ainsi ouvert pour moi le voile de la Trinité sur cettte part de mystère m'a permis de mieux me ranger sous la bannière de Marie.

Relationnellement, on ne croit pas en toute rigueur doctrinale, mais on croit avec ce qu'on a envie de croire en fonction de ce qu'on est et cela n'est pas rien, même si des esprits chagrins voudraient que notre petite personne ne comptât pour rien auprès de la doctrine: "Je suis celui qui suis et tues es celle qui n'est pas" est une drôle de façon d'aimer prodiguée par Dieu à sainte Catherine de Sienne, mais ma relation à Dieu est vivante et comme telle, s'expose à l'hérésie. Elle est vivante, car elle ne se fait pas de l'Etre à quelqu'un à qui il manque une case ontologique. Elle est vivante et relève d'une élection, d'un choix, d'une vérité et d'une intégrité personnelles.

René m'a renvoyé à ce billet de blog où il faisait la recension du précédent livre connu de Denis et pour l'instant, je ne puis faire mieux que faire écho à ce qui, dans cette recension, résonne en moi.

D'abord ce sous-titre m'interpelle: "Jésus comme ressuscitant plus que comme ressuscité". Car je me dis souvent que si Jésus est Dieu, Sa Résurrection même humaine, quand bien même serait-elle un miracle -et qu'est-ce qui est miraculeux pour Dieu?-, Le concernerait davantage Lui qu'elle n'aurait un impact direct sur moi. Tandis que s'Il est "ressuscitant", Il ne m'invite pas seulement à "memparer de la force de Sa Résurrection", Il m'entraîne dans l'acte même qui Le fait ressusciter d'entre les morts, Qui le fait se relever et ce relèvement de Jésus me donne l'espoir de renaître, oui, "de renaître d'en haut", mais non pour l'au-delà, bien plutôt comme Il le promet à Nicodème, de renaître avant que je ne m'envole vers le ciel, de renaître pour me permettre de remettre du ciel dans ma vie.

"Les chrétiens sont invités par Saint-Paul lui-même à se convaincre que «Les païens qui n’ont pas la Loi (de Moïse) pratiquent spontanément ce que dit la Loi» (Rm.2,14)". D'où saint Paul tire qu'ils sont "inexcusables" de ne pas reconnaître Dieu quand Il se présente à eux, mais dont j'ai vu un précédent le jour où un thérapeute transpersonnel et karmique, #PatrickAmsellem, m'a invité à lire la pièce de Sophocle, "Oedipe roi", où tout était déjà en germe de l'idée que l'on peut, à soi tout seul et contre son gré, faire basculer le monde entier, que les enfants étaient jadis "exposés" par leurs parents pour voir si la société les jugeait viables et non nocifs, que l'on doit s'exposer soi-même si l'on croit qu'on va faire tomber une cité et que, pour échapper à ce carnage, à cette cascade de pesanteur où l'on ne peut supporter ce monde que l'on risque de faire tomber, on doit s'en remettre à ce Dieu qui se propose de soutenir toute la Création qu'Il a Lui-même forgée pour qu'elle se maintienne par la force de Son pardon qui lui fait grâce et la grâce d'exister envers et contre la manière dont nous lui contrevenons en ne sachant pas la supporter.

Le païen es légaliste et le chrétien n'est affranchi de la loi qu'en vertu d'un écartèlement tout paulinien qui lui ferait presque détester la loi en renchérissant sur la morale parce que, faute d'avoir, comme Montesquieu qui a écrit "l'Esprit des lois", cherché "l'esprit de la loi", Saint Paul veut pratiquer la loi illuminé par l'Esprit-Saint qui serait bien plus que notre esprit et que la polysémie du mot "esprit" nous a fait confondre avec ce que devait devenir "la conscience européenne", ouvrant dangereusement la boîte de pandore à la fois sur un individualisme excédant le personnalisme et sur un subjectivisme exagérément coupable à force de ne se référer qu'à lui-même.

«Ce que je sais de Jésus, c’est l’Eglise qui me l’a donné», reconnaît Denis Moreau."
Cette phrase en dit long sur l'impasse évangélique qui en vient à bannir "l'esprit de religion" au profit d'un "développement (strictement) personnel" d'une relation subjective avec Dieu et singulièrement ce "Jésus" que je dois reconnaître "comme mon Seigneur et Sauveur" personnel, mais dont rien ne me garantit que la relation purement subjective, là encore, que j'entretiendrai avec Lui ne sera pas pur et simple basculement dans la schizophrénie. N'importe si "Jésus a annoncé le Royaume et c'est l'Église qui est venue" si l'Église est le marchepied du Royaume qui vient, d'autant que, pour qui croit en la résurrection de la chair, l'Église qui a les promesses de la vie éternelle ne nous est pas seulement une aide pour le présent, mais a vocation à être la chair de ce Royaume.

Jacques Lacan a été beaucoup plus qu'un catholique dégradé, c'était un catholique attaché, lié, comme tous les catholiques sont reliés grâce à l'"esprit de religion", un catholique qui avait beau déclarer des inepties comme "la femme n'existe pas", réduire "le nom du père" à la loi qu'il transmet (voilà que je rétrograde moi-même sur le rôle de la loi!, dégrader le Verbe créateur à la fonction d'un "langage" autonome, structurant et structuré à la manière d'une grammaire structurant un inconscient déshypnotisé, désenchanté et détransé, ou encore se cantonner, en psychanalyste, à une version revisitée du stoïcisme, il ne dépassait pas le catholicisme de ses origines à la manière dont Philippe Sollers disait que "l'Église est la fabrique à névroses, elle est là pour cela" et heureusement qu'elle est là!

Le marxisme pasolinien inscrit l'avenir de l'Église dans une lutte contre le consumérisme. Le marxisme a réduit l'inspire et l'expire de l'homme en un "consommer et produire" sans voir que produire s'inscrit dans le projet créateur de Dieu et ne fait pas qu'épuiser la planète, et que consommer n'est en-dessous de l'appel lancé à l'homme que si celui-ci se refuse à produire en retour, et notamment à créer de la valeur humaine, comme on ne cesse de voir les nouvelles générations, aux prises avec un monde qui les lâche sans rien leur avoir appris, s'escrimer à faire tenir ce monde, loin des belles leçons camusiennes incessamment resassées: "Notre génération n'est pas vouée à refaire le monde, mais à empêcher qu'il se défasse".

Le début de la citation pasolinienne était beaucoup plus prometteur, qui réinscrivait l'Église dans sa lutte séculaire avec le monde, montrant implicitement que la civilisation chrétienne fut une ruse de l'histoire consentie par la Providence pour que le christianisme ne s'impose pas au monde, mais soit connu de lui: «Si les fautes de l’Eglise ont été nombreuses et graves dans sa longue histoire de pouvoir, la plus grave de toutes serait d’accepter passivement d’être liquidée par un pouvoir qui se moque de l’Evangile. Dans une perspective radicale (…) ce que l’Eglise devrait faire (…) est donc bien clair : elle devrait passer à l’opposition (…) En reprenant une lutte qui, d’ailleurs, est dans sa tradition (la lutte de la papauté contre l’Empire), mais pas pour la conquête du pouvoir, l’Eglise pourrait être le guide, grandiose mais non autoritaire, de tous ceux qui refusent...", ici je coupe Pasolini et je puise dans mon propre fonds, "qui refusent le primat du politique". "Spirituel d'abord!", comme le disait encore mon ami Guillaume de Tanoüarn.
Même si moi aussi, "j'aime bien les catholiques de gauche", parce que, quand ils ne se replient pas sur leur droite, ils ne lésinent jamais sur la solidarité, aussi bien dans la conversion des structures que dans la charité au quotidien, je converge avec cette affirmation de Claude Tresmontant que j'ai découvert via Pierre Chaunu, un peu lu et dont la bonté de la personnalité m'a été confirmée par mon maître René Pommier qui était plutôt avare en compliments, mais aimait les iconoclastes: «La gauche chrétienne, en France, a les entrailles évangéliques, mais elle n’a pas la tête théologienne». Or c'était de ces entrailles théologiennes que notre époque avait le plus grand besoin devant ce que Michel Foucault aurait appelé le changement d'épistémè du monde et l'évidence darwinienne, pour prendre un exemple emblématique, substituée à "l'évidence chrétienne" (encore G2T). "Pour les catholiques de la vieille Europe le défi spirituel a relever devrait-il emprunter les chemins d’une douce régression fidéiste ?" Au risque d'être "aux antipodes" de l'auteur de ce livre que je n'ai pas lu, je pense que oui, mais "une douce régression fidéiste" innervée par une réflexion moins apologétique que de théologie fondamentale qui permette de redire les vérités de foi en les pensant à nouveaux frais et en ne refusant pas "la lutte avec l'ange", même si la raison doittoujours s'incliner à la fin, se déclarant boîteuse devant les questions de foi. Les croyants n'aiment pas "la lutte avec l'ange", faute de quoi ils se stérilisent -et le christianisme avec eux- dans une querelle entre les traditionalistes et les progressistes qui ont défroqué la gauche pour s'habiller de macronisme, de "gauche moderne" à la Jean-Marie Bockel ou de fillonisme. Ceux-ci ont la colonne vertébrale, mais n'ont plus que le mot de solidarité à la bouche, ils en ont perdu la pratique; ceux-là, les tradis et les néo-tradis à la sauce Saint-Martin qui ont le vent en poupe dans les diocèses (et je n'en suis pas fâché contrairement à tel de mes amis), , se gardent d'affirmer qu'ils ont gardé le rite, ils n'ont plus de scrupule à le transgresser et au fond ne le connaissent plus très bien. Mais ils parient sur le spectacle comme au Moyen-Age, on réunissait les fidèles autour des "mystères", ces pièces de théâtre où la foi était mise en scène. Les uns et les autres pèchent parce qu'ils ne se retroussent pas les manches pour chercher la brebis perdue, non à travers des stratégies pastorales, mais àtravers l'acte beaucoup plus exigent de l'accompagnement dans les lieux mêmes où elle s'égare et l'accompagnement est toujours sans obligation de résultat. L'accompagnement échappe à la logique, non pas consumériste, mais entreprenariale.

"Si le message évangélique n’est accessible qu’aux pauvres, pourquoi vouloir, au nom de l’Evangile, les tirer de leur pauvreté, au risque de la sécularisation et de la sortie de la religion ?" (René Poujol)

Il ne faut pas être dupe des affirmations pontificales selon lesquelles l'option préférentielle pour les pauvres nourrit un véritable désir de tirer les pauvres de la pauvreté. Dans sa première encyclique, "Dilexi te", le pape Léon XIV met sur le même plan une parole comme: "Des pauvres, vous en aurez toujours avec vous" comme si le Christ n'invitait pas, dans le contexte de son agonie, à délaisser un peu les pauvres pour s'occuper de Lui, avec une parole comme: "Je serai avec vous tous les jours jusqu'à la fin du monde" ou avec Sa présence identificatoire dans les pauvres et les petits. C'est non seulement un contresens manifeste, mais un contresens manifestement volontaire. De même que les premières paroles qui ouvrent cette encyclique reprennent la bénédiction de l'Eglise de Philadelphi malgré son apparente impuissance et sa faiblesse, mais ce qui est en jeu est la fidélité de cette Église au combat contre les Nicolaïtes, donc à nouveau une valorisation de l'orthodoxie dans un contexte d'hérésie et de puissance hérésiarque. Non seulement l'Église n'a pas les moyens de faire sortir les pauvres de leur pauvreté, mais quand elle l'affirme, elle fait preuve d'hypocrisie, car selon un emploi moderne de ce substantif maintes fois détourné en philosophie, "ce n'est pas son sujet". 

jeudi 9 octobre 2025

Macron veut "prendre ses responsabilités", démissionner ou décréter l'article 16?

après son approbation.

Sébastien Lecornu était très attendu hier soir dans un numéro dont la première équivoque formelle était qu’on ne savait pas pourquoi c’était lui qui devait prendre la parole ni tenter d' »ultimes négociations », et on s’est aperçu que lui qui était nommé Premier ministre -pour quoi faire- avait fait gagner quarante-huit heures à Macron en acceptant la « mission flash » qui lui fut confiée par le président après sa démission qu’il avait acceptée, et était invité au « 20h » de « France 2 » à parler pour ne rien dire ou plutôt si! Pour lui faire gagner quarante-huit heures de plus en assurant que « le président de la République allait nommer un nouveau Premier ministre sous quarante-huit heures »,, mais quand on sait avec quelle lenteur il nomme un gouvernement après avoir nommé son Premier ministre -encore, nome-t-il son gouvernement en deux étapes, autre inédit sous la Vème République: une annonce pour les ministres et une autre pour les secrétaires d’État-… Le président qui après Sarkozy a confisqué la Lanterne, l’ex-résidence des Premiers ministres où les révolutionnaires de 89 voulaient pendre les aristocrates, le président est parti pour nous faire lanterner.

Lecornu a repris à son compte pour se congratuler le qualificatif de « moine-soldat » que son entourage lui décerne. Il en a fait un peu trop dans l’autosatisfaction -les fleurs ne coûtent pas cher en hiver et ce n’est pas Macron qui lui en offrira-, mais on retiendra sa loyauté envers un mentor qui aurait gagné du temps s’il lavait nommé plus tôt et s’il ne s’était pas laissé tordre le bras par François Bayrou, le Premier ministre qui lui a fait perdre du temps en se déclarant capé pour gravir l’Himalaya et en posant crampons et piolet à la première difficulté budgétaire. Sans doute notre nouveau Premier ministre démissionnaire serait-il arrivé au même résultat que le Béarnais, mais sans jeter l’éponge par une absurde « motion de confiance » qu’il ne pouvait pas remporter.

Lecornu a assuré le service avant-vente de la parole présidentielle: « Le spectre de la dissolution s’éloigne » et « un chemin s’ouvre » sans que jamais Léa Salamé lui demande lequel. De même , il n’a cessé de ponctuer son interview de: « J’ai démissionné » sans que Léa Salamé lui demande la raison de son coup de tête. Sous-entendu, « je quitte ce panier à crabes, même si je trouve Édouard Philippe et Gabriel attal mauvais joueurs d’affaiblir l’institution présidentielle qui les a traités comme des fusibles, quand bien même c’est celui qui préside mal qui affaiblit tout seul comme un grand la fonction présidentielle. »

Lundi dernier, Emmanuel Macron promettait de « prendre ses responsabilités ». On peut craindre le pire. Cependant, courageux, mais pas téméraire, le président s’accordait un premier sursit de deux jours en envoyant Sébastien Lecornu au charbon pour consulter la horde des chiens enragés, muselés par des dents désappointées, ayant perdu leur aiguisement d’avoir trop rayé le parquet.

Psychologiquement, Macron ferait un grand pas vers la reconnaissance de l’autre s’il acceptait de tester l’hypothèse que le NFP, l’insoumis en chef en tête, lui a soumise dès le soir du second tour des élections législatives: nommer Premier ministre un membre du bloc arrivé en tête de la tripartition aggravée par les élections issues de la dissolution et pour laquelle la Vème République na pas été pensée. S’il nommait un Premier ministre, Emmanuel Macron accepterait enfin qu’on ne peut pas cohabiter qu’avec soi-même et ce serait la fin d’un déni de réalité.

Marine Le Pen réclame à corps et à cris une nouvelle dissolution, la seconde en un quinquennat et même en un mandat présidentiel, ce qui serait sans précédent sous ce régime de stabilité. Dans son parti, on est béat d’admiration devant la cheftaine qui « sacrifierait son mandat » et ne pourrait pas en réclamer un autre puisqu’elle est inéligible. « C’est pour mieux réclamer Matignon, mon enfant », se lèche les babines la grande méchante louve qui s’entendait comme chien et chat avec les Dobermann de son père. Dissoudre aujourd’hui ne servirait à rien, sinon à reconfigurer la tripartition et la reconfigurer d’une manière qui interdirait encore plus de trouver un équilibre politique. Macron ne veut pas se résoudre à dissoudre et on ne peut que lui donner raison sur ce point. Ça n’aurait strictement aucune utilité. Mais l’autorité tutélaire du Rassemblement national qui veut rassembler les Français sous son nom est aussi capricieuse que l’héritier au sens bourdieusien qui nous sert de président de la République. Aussi capricieuse et plus irresponsable encore: rappelons-nous que c’est à son initiative et à celle de son parti qu’a eu lieu la première « dissolution sans raison »; comme elle a censuré sans raison le gouvernement de Michel Barnier qui lui faisait pourtant des mamours pour se maintenir au pouvoir; aujourd’hui elle promet de « tout censurer », quelle perspective!

Au concours Lépine de l’irresponsabilité, on s’abstiendra, c’est plus responsable, comme Marine Le Pen s’abstient de destituer Emmanuel Macron, de départager la fille Le Pen et le président Macron. Mais où l’on tremble, c’est que Macron promet de « prendre ses responsabilités ». Dissoudre serait irresponsable et il le sait. Irresponsable et sans clarification. Néanmoins ça le mettrait moins en échec que de démissionner. Démissionner serait la première des responsabilités que Macron pourrait prendre. On dit qu’il ne le fera pas parce que c’est un sale gosse qui, s’il claquait la porte, le ferait en estimant que les Français ne le méritent pas. Je crois plutôt qu’il ne le fera pas parce que démissionner le mettrait en constat d’échec et que la faille narcissique qui le fait « se caresser dans les miroirs » de l’Élysée ne lui permettrait pas de le supporter. À l’autre extrême, il ne lui reste qu’une forme de responsabilité dont je ne souhaite pas qu’il la prenne, mais elle lui reste objectivement: c’est celle de décréter l’article 16 qui lui permettrait, peut-être bien, de se passer de Premier ministre pour se donner « les pleins pouvoirs », certes pour une durée limitée et en étant bordé par le Parlement. « Mais au moins, pourrait-il se dire, puisque mes compatriotes m’accusent d’avoir bridé leurs libertés au cours de mes deux mandats, au moins ils sauraient pourquoi. » 

jeudi 2 octobre 2025

Dieu ignorant le mal laisse l'homme au conseil de la faute

À lire Kierkegaard, on voit que le mal est le grand impensé du christianisme et cela paraît d’autant plus paradoxal que la faute, au contraire, est son omnipensé, sa pensée omniprésente.

Pourquoi seulement le mal ? Le bien lui aussi est impensable : « Le bien ne se laisse nullement définir », écrit le philosophe ironiste et grand mélancolique danois. Mais le bien est impensable dans un cadre de pensée où poser a priori « la différence du bien et du mal » relève du péché originel puisque c’est en vertu de cette promesse vicieuse qu’Ève consomme le fruit défendu.

Le bien est impensable, mais il est valorisé : « Il est la liberté. Ce n’est que pour elle et en elle qu’existe la différence du bien et du mal. »

Kierkegaard a soin de distinguer la liberté du libre arbitre : le libre arbitre peut errer quand la liberté n’existe qu’en vue du bien. Le libre arbitre croit tout contrôler quand la liberté ne contrôle pas l’ordre du monde ni celui des actions humaines. Et le libre arbitre qui s’en est remis à ses propres forces ne peut se dédouaner ni sur « Dieu qui ne tente personne » (saint Jacques), ni sur le diable qui l’a appâté, d’avoir cédé à la tentation : « La faute est intransférable et qui succombe à la tentation est soi-même coupable de la tentation. »

Le bien n’est pas surévalué, mais survalorisé, existant seul en soi, et encore pour la liberté à qui l’angoisse révèle dans la faute son « apparition à elle-même dans le possible », la liberté terrorisée ne pouvant certes plus faire que la faute n’ait pas été commise, mais se changeant en repentir pour regretter le mal dans son horreur du mal.

Prolongeant dans son romantisme héroïque la tradition scolastique qui veut que le mal ne soit qu’un manque-à-être ce qui revient à refuser de le penser, Kierkegaard affirme que « Dieu ignore le mal. Il ne peut ni ne veut rien en savoir et c’est la punition du mal que Dieu ait la propriété d’ignorer le mal. Puisque Dieu est l’infini, son ignorement est un phénomène vivant de destruction, le mal ne pouvant pas se passer de Dieu, pas même pour simplement exister comme mal. »

Dieu détruit donc le mal à l’infini en laissant l’homme fini au conseil de la faute, qui est la dégradation quasiment biodégradable du mal intrinsèquement détruit par Dieu en cela même qu’il n’a jamais existé, au contraire de la faute, dont l’existence a eu sur l’homme des conséquences incalculables et qu’il ne peut pas référer au mal puisque l’ignorement de Dieu ne le lui permet pas. Le transfert de responsabilité par où se présente la rédemption à l’homme, le rend tragiquement accessible à la conscience du péché qu’ignorait le paganisme, impuissant devant le péché qu’il devait pourtant être en mesure de ne pas commettre et responsable de l’avoir commis sans le matelas éthique qui aurait dû l’informer de l’existence du mal et de ce en quoi il consiste. Le transfert de responsabilité qu’est la rédemption se lave les mains de l’existence du mal et cela met l’home en porte-à-faux, affronté à la seule conséquence du mal qu’est la faute qui le terrorise sans être prémuni de savoir ce que dit le mal qui n’est pas de l’être qu’il ne parvient pas à accomplir ni à réaliser. Dieu en ignorant le mal a peut-être bien tout accompli en privant l’homme de se réaliser. »Et finalement, de moins pire en banal, on finira par trouver ça normal. » (Jean-Jacques Goldmann)

  

Je voudrais être bipolaire

Ce titre est-il fou, quand Claude Dubois s'écriait avec moins d'aplomb, mais plus d'à propos: "Jaurais voulu être un artiste"?   


Mais sous cette simple accroche, je n'ambitionne que de commenter un bel article de Myriam Tchoudak: "Comment la psychiatrie m'a rendu folle".


Commentaires | Comment la psychiatrie m’a rendue folle | Comment la psychiatrie m’a rendue folle | Le Club de Mediapart


Je reproduis d'abord le commentaire de CHEVAPHIL pour abonder dans son sens et le compléter de mes propres réflexions:


"N'oublions pas que les Anglosaxons surnomment les psys de tout poil « headshrinkers » :" réducteurs de tête !

Cela dit, ne jetons pas le bébé psy avec l'eau du bain de la psychiatrie ; les expériences ne sont pas toutes négatives. De plus, l'annonce d'un diagnostic peut être volontairement provocatrice." 


Je souscris à ce commentaire qui me permet de m'abstenir d'une entrée en matière plus longue pour commenter ce très bon article de Myriam Tchoudak. D'abord une anecdote personnelle: j'ai eu moi-même pour analyste un ancien psychiatre reconverti dans la psychanalyse et dont le nom signifiait extincteur. Il avait été élève de Lacan et était fier de s'être fâché avec le maître, il avait tué le père et il l'imitait, par exemple il fumait en séance. Mais il trouvait ridicule qu'un de ses confrères ait produit ce jeu de mots facile à partir de son nom: "Vous éteignez vos malades." Pourtant, c'était ce qu'il faisait. Il s'endormait en séance et il était éteint, ce qui ne l'empêchait pas d'être parfois pertinent. Un diagnostic peut avoir une visée provocatrice. Mais on peut aussi provoquer la médecine pour qu'elle nous donne un diagnostic en réponse à notre mal-être. On peut vouloir qu'on nous colle une étiquette pour comprendre ce qu'on a ou ce qui nous arrive. Pour ma part, j'aurais bien aimé qu'on me colle l'étiquette de bipolaire ou de dyspraxique. Bipolaire correspond assez bien à mon caractère cyclothymique, à mes "je t'aime, moi non plus" et à mes hausses et mes baisses d'énergie qui ne sont canalisables que par le repos qui me rend souvent non opérationnel, en dehors des efforts que je dois faire pour honorer mes obligations artistiques d'organiste liturgique. Bipolaire, un mot qui désignait autrefois le fait d'être magnaco-dépressif.Le problème est de savoir ce qu'on fait d'une étiquette qu'on nous a collée, parfois à notre demande, quand elle ne nous convient pas, ou si l'on se réduit à l'étiquette qu'on nous a collée. Un autre problème est qu'un diagnostic ne doit pas être une condamnation à vie. "Mon gars, ma fille, tu es schizophrène ou bipolaire pour toujours." C'est une forme de perpétuité incompressible, avec toutes les camisoles chimiques qu'induisent éventuellement ce verdict et cette perpétuité. Se pose alors l'éternelle question de l'évaluation des bénéfices-risques qu'apporte l'étiquette à notre bonheur ou à notre bien-être. Nicolas Demorand a l'air de se résoudre à ce que, diagnostiqué bipolaire, il ne soit jamais heureux. Je ne m'y résoudrais pas, mais je respecte chez lui ce que je vivrais moi comme une résignation.Et puis dernière remarque, la psychiatrie comme discipline médicale donne souvent une réponse chimique à un mal-être existentiel. La psychanalyse va en chercher l'origine dans le passé, mais aussi dans la faculté créative d'opérer une synthèse seconde à partir de ses traumas, précisément grâce à la technique d'association d'idées qui relève de l'écriture, et pas seulement de l'écriture automatique, raison pour laquelle la psychanalyse a été tant prisée par les surréalistes. Il faut sans doute y joindre un peu de chamanisme ou de spiritualité pour que la synthèse soit complète. Mais se soigner ou vouloir aller mieux n'est jamais indolore. Se bercer de cette illusion, ce serait vouloir avoir le beurre, l'argent du beurre et le sourire de la crémière ou moins trivialement les bénéfices conjugués de la lucidité et de l'anesthésie. J'écris cela en précisant que, pour ma part, je préfère le connu de mon mal-être à l'inconnu lancinant de la douleur que pourrait me procurer un consentement plus sérieux et une plus grande assiduité dans le soin que je demande à ce qu'on me prodigue tout en le fuyant comme une anguille quand il me fait trop sortir de ma zone de confort.