Achevé avant l’aube la lecture du livre d’Anne Bernet sur la
vie de Bernadette. Très content d’avoir préparé notre voyage ou notre
pèlerinage à Lourdes en menant cette lecture à bien. Je n’exclus pas de
lire d’autres livres sur « la favorisée de Notre-Dame », mais je
savais que l'historienne Anne Bernet saurait m’introduire dans le mystère de cette vie: elle écrit sans pathos, d’une plume alerte, qui s’efforce de respecter la
neutralité des faits. Le livre m’est quelquefois tombé des mains, tant les mesquineries
des persécuteurs de Bernadette étaient minables. Le caractère de Bernadette ne
m’a pas toujours convenu : je n’aimais pas qu’elle parlât à voix forte et
talochât ses frères et sœurs. Mais la manière dont elle a subi ses vexations en
voulant rejoindre le Christ sur la croix est édifiante. « Cherchez d’abord
le Royaume de Dieu et le reste vous sera donné par surcroix », dysorthographiait-elle.
Sa dernière parole en priant son chapelet fut : « Pauvre pécheresse »,
puis elle désigna le verre d’eau qu’elle ne pouvait plus attraper. C’était sa
façon d’imiter involontairement le Christ s’écriant : « J’ai soif. »
On lui tendit le verre d’eau, mais elle ne put pas en absorber le contenu. Elle
n’aurait jamais cru qu’il fallût tant souffrir pour mourir. Elle s’éteint à 3
heures. Auparavant, une sr Nathalie, éducatrice de jeunes enfants sourds et
aveugles et « fine psychologue », écrit Anne Bernet, est venue
apaiser ses scrupules. « Ton cœur aurait beau t’accuser, Dieu est plus
grand que ton cœur et tous les mérites du Cœur de Jésus sont à nous. » C’est
une certaine mère Marie-Joséphine qui a constaté qu’elle était à l’agonie et a fait
avertir la communauté qu’elle devait l’aider à mourir. Ma Nathalie et moi avons
connu une charmante Marie-Joséphine, cousine du Père Anne-Guillaume Vernackt,
membre de la communauté st-Martin. Elle était sacristine à Montligeon que son
cousin desservait comme prêtre et où nous allions voir Franck qui y avait été
placé contre son gré et n’y était pas heureux. Dieu nous fait signe jusqu’à ce
passage de témoin à travers des personnes qui portent le même prénom plein du
même message.
C’est sr Gabrielle, l’infirmière qui l’avait détrôné à l’infirmerie
de la maison mère des sœurs de la charité de Nevers, seul endroit de sa vie
religieuse où elle était à la fois estimée de ses sœurs et pouvait s’occuper
des autres, qui récita pour elle la prière des agonisants et lui ferma les
yeux. Recevant une catéchèse sur le péché mortel lui signalant qu’on ne
commettait celui-ci qu’à condition de connaître sa gravité et de le commettre
malgré tout, elle dit qu’elle n’avait jamais voulu commettre un seul péché. L’avocat
du diable se fit fort de lui en trouver un : cette « pauvre
pécheresse » a commis un « péché de pauvre », écrit Anne Bernet,
en jetant son sabot dans le jardin de l’auspice de Lourdes où elle avait trouvé
un inanical refuge après le bruit qu’elle avait provoqué du fait de ses
apparitions, sabot jeté pour que son amie Julie Casès, en allant le ramasser, puisse
en profiter pour chaparder des fraises.
Bernadette était prévenue contre toute espèce de commerce et
voulait que sa sœur Toinette en préservât son petit frère Bernard-Pierre. « Car
le démon se sert de l’argent » pour détourner les hommes de faire le bien
en se donnant. Elle était désolée que des marchands du temple profitent de la
sainte Vierge pour se faire de l’argent.
Bernadette est une sorte d’anti-Thérèse. Thérèse fut la
marraine de guerre des « poilus » de 14, mais est aujourd’hui rejetée
par cette génération qui veut bâtir une Eglise adulte en ayant la maturité pour
valeur cardinale et réparatrice des péchés de ses enfants contre les enfants. Thérèse
cherchait une voie royale pour s’élever vers le ciel d’où elle promettait qu’elle
ferait du bien sur la terre. Bernadette est prête à tous les sacrifices et s’abandonne
entièrement au Christ crucifié pour souffrir et mourir en faisant du bien aux « pécheurs »
pour lesquelles Aquero lui demandait de prier.Dès le constat de sa mort, elle trouve
le bonheur qui lui avait été refusé dans ce monde, qu’il s’agisse du ciel où sa
châsse préservée témoigne qu’elle est monté directement, morte en odeur de
sainteté après avoir été injustement méprisée, ou de la terre où la renommée pour
laquelle on l’a persécutée, se transforme aussitôt, mais trop tard, non pas en « culte
public », sans quoi l’Eglise qui persécutait « la voix populaire »
n’aurait pas permis qu’on la canonisât, mais la reconnaissance, y compris par
ses sœurs nivernaises, que cette sœur toujours malade et « bonne à rien »
avait été le grillon du foyer et le foyer de leur couvent.
Bernadette est victime d’une éducation où l’on prétendait
combattre l’orgueil par l’humiliation et pallier l’absence d’une vertu par la vertu
contraire. Pour avoir fait « pénitence », on lui a trop fait faire pénitence.
On ne peut pas excuser le sadisme d’une Eglise qui lui a rendu le mal pour le
bien.
Bernadette est un beau modèle pour notre temps. Peut-être me suis-je laissé prendre à la peinture qu’en a fait Anne Bernet, mais je ne m’y attendais pas. Je ne la mets pas en concurrence avec Mélanie et Maximin, les voyants de la Salette, dont Léon Bloy a admirablement raconté le secret et le martyre dans Celle qui pleure. Je reproche à l’Eglise d’avoir choisi Lourdes contre la Salette quand elle aurait pu faire cas des deux. Elle a préféré falsifier la Salette et en récupérant Lourdes parce que la Sainte Vierge y souriait et n’y pleurait pas, mais surtout parce que cette apparition n’avait rien de politique, tandis que la Salette est ouvertement royaliste et s’oppose à Napoléon III. À Lourdes, Marie est jeune ; à la Salette, c’est une femme mûre. Le secret de Mélanie, c’est d’avoir aimé cette mère, non parce qu’elle lui annonçait des malheurs et semblait se montrer abusive, mais parce qu’elle était si belle que Mélanie voulait mourir pour la revoir. Voilà le secret des amis de la mère de Dieu.
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