4. La mort est une faiblesse.
Il ne faut jamais laisser autrui appuyer sur son point faible, ni dire soi-même par hypocrisie qu'on le fait à autrui "pour son bien". A chatouiller le point sensible, le seul résultat qu'on obtient n'est pas de faire rire, mais de faire mal. Non seulement "il ne faut pas ajouter la honte à ses faiblesses" (comme l'a dit Philippe Léotard), mais il faut se construire par-dessus celles-ci.
Il faut jeter le manteau de Noé sur la faiblesse humaine.
On aimerait vivre jusqu'à l'infini, parce que refuser la limite, c'est refuser la mort. Mais la mort faisant partie de la vie, il faut vivre dans les limites imparties à la vie. Il s'avère en effet que la vie est limitée. Toute la question est de savoir depuis quand, pourquoi, et si cela n'oblitère pas la victoire finale et posthume de la vie, postulée aussi bien par l'optimisme évolutionniste ou créationniste, ces deux écoles n'étant , en cela au moins, pas moins finalistes l'une que l'autre. Car l’évolutionnisme a beau prendre acte de la corruption, son finalisme ne fait aucun cas de l’usure, son infini n'est pas usuraire.
Je n’aimerais la génération que si elle était spontanée.
Je crains que la mort ne soit guère complaisante à ceux qui s’y complaisent avant l’heure de préférence à la conjurer. La mort est chose trop lourde pour qu’on l’invoque à la légère et chose trop chagrine pour qu’on flatte l’instinct morbide qu’on met à l’invoquer avant terme. [1]
La mort est une absence d’issue.
La peur de la mort est la peur de manquer d’air.
La mort est un seuil qui marque un enfantement, une naissance à l’indéterminé. Penser la mort comme le seuil d’une nouvelle naissance ne nous console pourtant pas de mourir, car ça nous a été un tel traumatisme que de naître que nous en avons refoulé le souvenir. Cette absence pour chacun du souvenir d’être né n’est que le négatif analytique de la conséquence surnaturelle qu’on peut tirer de ce fait en le regardant sur un plan synthétique et panoramique : ne pas se souvenir d’être né, c’est ne pas avoir le sentiment de l’incoatif, c’est se croire sans commencement. De manière innée, l’homme se croit sans commencement. Il n’a donc pas la notion du temps, mais celle de l’éternité. Ne pas se souvenir d’être né, c’est avoir de manière innée la notion de l’éternité, ce qui bat en brèche cette idée reçue que l’homme ne peut penser l’éternité puisqu’il n’a que la notion du temps. Il se peut, soit que la notion du temps ait été refoulée par le traumatisme originaire de la naissance, soit au contraire que la notion de l’éternité soit conforme au « principe d’innatalité », lequel précède peut-être la croyance en l’immortalité de l’âme. L’homme n’a peut-être forgé toutes ses « "cartographies de l’au-delà » [2] que parce qu’il ne se souvient jamais que d’avoir été. L’homme est peut-être plus porté à se ressaisir d’un passé qui l’a lâché qu’à éterniser un présent qui reflue de remugles ou à investir dans un avenir incertain. C’est sans doute par nostalgie que l’homme reconstitue sa vie posthume. Or « la nostalgie est une douleur du retour », et la reconstitution implique une reconstruction à partir de données connues. Ce n’est que par conversion que nous plantons nos racines dans le ciel. Vivre de cette condition terrestre nous apporte peut-être l’indication que, puisque l’origine nous est devenue une source d’amnésie traumatisée qui n’a pas supprimé la nostalgie et résiste au puzzle inquisitorial de notre reconstruction reconstructionniste, il y a une certaine conversion qui s’impose comme par un état de nécessité.
5. Les balances.
On se balance comme on respire, et il faut vivre en se balançant. Ça ne fait pas que l'on vive en mentant ou bien qu'on s'en balance de vivre : sans mentir, c'est même parce qu'on ne s'en balance pas que, loin de prendre la vie pour un mensonge ou pour un songe-creux, on balance entre maints avis dans la crainte de se tromper, sans qu'il nous effleure de tromper. On ne veut pas "compter les morts" après avoir mal choisi (comme Jean guitton en avait fait son deuil dans "LE TRAVAIL INTELLECTUEL") ; on ne s'en balance pas de choisir mais, comme on n'a pas les balances de Jupiter, on préférerait avoir un autre choix que de vivre en choisissant. On se dit que choisir, c'est mourir un peu et mourir moins bien que partir - les routes sont si accidentées - ; on regrette que choisir soit laisser choir et se douloir, et l'on a peur de se faire mal en se privant. Ce n'est pas nous qui aurions mis le monde en balance en faisant que choisir soit éliminer et vivre si bien sélectionner que "la mort d'un homme soit une tragédie et la mort de millions d'hommes un détail", comme a cyniquement ironisé Staline à propos de ses purges.
Il faut vivre en se balançant parce qu'il y a une balance dans la vie. La balance est inscrite dans l'analyse de la vie dont il faut vivre la synthèse : balance entre son aspect cyclique et son exigence éternelle, mais balance en-deçà entre l'impermanence dans laquelle la vie ne cesse de moduler et l'incroyable fixité des lois ontologiques, de la rotation des systèmes dans l'univers à la manière de donner, puis de mener sa vie pour qu'elle aille quelque part. "Célèbre la mouvance du sable quand il devient montagne, mais n'oublie pas que montagnes et châteaux sont des monuments à l'impermanence", conseille en substance Neal-donald Walsh dans "CONVERSATIONS AVEC DIEU (TOME III).
On attribuait à Jupiter le privilège de la pesée des âmes. Or, d'après ce qui n'est peut-être qu'un fantasme ésotérique, on aurait pesé l'âme, c'est-à-dire qu'on aurait mis deux fois sur la balance un corps à l'agonie et puis le même corps, une fois que la vie s'en serait retirée. On aurait observé que le corps sans vie serait plus léger de quelques grammes. Je ne finis pas de m'étonner des conséquences que l'on pourait tirer d'une telle observation, d'autant qu'elles sont contradictoires :
- ou bien en effet une âme ne pèse que quelques grammes, et cela ne rend pas son importance bien écrasante, ou bien le simple fait qu'elle pèse quelque chose fait qu'elle n'est pas la part légère de la vie susceptible de s'élever, moyennant cette légèreté qui lui aurait été réservée, vers les sphères éthérées de l'Infiniment Simple.
- Si l'âme n'avait rien pesé du tout, cela aurait, ou bien confirmé les matérialistes dans leur conviction que l'âme n'existait pas, ou bien donné cet envol à la vie grâce auquel, sur les ailes de l'âme, notre corps aurait pu s’élancer sans esprit de conquête à l'assaut du ciel.
- Le fait à présent que l'âme pèse quelque chose peut résulter d'un dommage colatéral de son affectation, par contagion ou compassion, à la pesanteur dans laquelle est pris le corps et, avec lui, le mystère de l'incarnation.
- Enfin, on s'attendrait qu'un corps qu'aurait raidi la mort fût devenu plus lourd, que la raideur lui eût communiqué la lourdeur. Or, si l'amputation de l'âme dont vient d'être victime le corps fait au contraire qu'il est plus léger, c'est la raideur qui est plus légère et la souplesse qui est plus pesante. Il y a vraiment une balance dans l'analyse de la vie.
Il y a bien de la différence de la balance, signe d'air, à "la balance" délatrice et friponne, dont le faillotage est caca boudin, pfouile ! même si les espionnes ne sont pas des boudins, mais des canons, les scorpionnes, Grace Kelly ! Idéaliste, la balance des astres n'en revient pas que l'autre existe, celle qui donne, ça la défrise, ça la décoiffe, ça la déçoit. L'homonymie lui jette un froid sur sa propre identité, et qu'il y ait des "donneurs" qui ne soient pas des donateurs froisse son innocence et brise son opinion de la nature humaine, dont se faire une trop haute idée est la source de bien des désemparements désenchanteurs. La bonhomie est une mine illusionniste qui doit son gommage au teint rougeaud des sanguins dont la protubérence des veines dissimule la violence du tempérament. La débonnaireté n'est jamais le tout d'un tempérament.
Julien Weinzaepflen
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