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jeudi 1 décembre 2016

Le sentiment du progrès

On discute beaucoup sur l’idée de progrès. Mais on ne peut nier le sentiment du progrès. J’ai commencé de lire hier soir LE SIECLE DE LOUIS XIV. J’écrivais l’autre soir à Thomas Ferrier, qui me disait qu’aveugle, j’étais comme Homère, que je ne serais pas capable d’écrire des vers épiques. Voltaire, à travers cet éloge commandé du prédécesseur de Louis XV, a écrit une épopée historique. Ce faisant, il fut le premier à appliquer une historiographie scientifique, ne s’embarrassant pas des détails, mais faisant de bonnes synthèses, à une mythologie fabriquée. Les anciens chantaient l’histoire, les modernes la retrouvent en se documentant. Mais ce pourquoi je parle de ça n’est pas tant dans le but de faire des remarques sur l’épopée. J’aurais pu les faire à l’époque où Yves Baudelle nous demandait d’y réfléchir. J’avais étudié l’ENEIDE, mais je n’avais pas connaissance de cette particularité de l’épopée française issue des Lumières de produire de la mythologie de façon scientifique, qui ouvrirait la voie à de Gaulle,de devenir mythologue en le sachant « Je nie l’existence de la France légale pour faire prévaloir la France légitime. » J’ai décidé de lire Voltaire pour m’endormir, parce que c’était un livre que je voulais lire depuis longtemps en ne m’attendant pas à ce qu’il m’intéresse. Pourquoi d’ailleurs je comence par Voltaire plutôt que par Michelet ? Autrefois (et c’est peut-être aussi ce qui m’a fait penser au baltos qui était à dUroc), si j’avais voulu lire ce livre, il aurait fallu que j’aille le chercher et que je me trimballe trente volumes en plusieurs voyages répartis au cours des semaines. Aujourd’hui, j’en ai la fantaisie, j’ouvre Internet, je vais sur wikisource que m’a révélé simon et le tour est joué, Voltaire et LE SIECLE DE LOUIS XIV sont à moi. Quand je lisais LA CITE DE DIEU, c’était trente volumes que j’étais allé chercher et que j’avais ramené chez Nathalie, rue d’Hautpoul. Je rangeais les livres sous le lit. J’avais demandé au responsable de la bibliothèque Braille de l’AVH d’envisager de faire recopier par un transcripteur à la tablette (comme c’était l’usage à l’époque) quelques-uns parmi la centaine des livres écrits par Saint-Augustin plutôt que toutes les nouveautés qui passaient et seraient aussi vite oubliées. « Saint-Augustin peut attendre, tandis que les nouveautés qui passent seront trop vite oubliées pour n’être pas transcrites », m’avait répondu Jacques. Il était donc urgent d’en encombrer les 17 ou 18 kms des rayons de la bibliothèque que le feu a entièrement décimés. J’avais beau représenter à Jacques que les ouvrages de Saint-Augustin appartenaient au patrimoine de l’humanité, Saint-Augustin pouvait attendre. Aujourd’hui, la totalité des livres de Saint-Augustin sont disponibles en ligne et ont été numérisés par l’abbaye Saint-Benoît du Portvalais. Ne vivons-nous pas une époque formidable ? Voilà une évolution de civilisation à laquelle j’ai assisté. Je ne croyais jamais accéder à la presse. Aujourd’hui, il suffit que je me connecte à twitter, et des centaines de journalistes, au compte de qui je peux m’abonner sans être leur ami et avec qui je peux même deviser à l’occasion, me donnent le lien de leur dernier papier. Je suis même mal tombé, car si j’avais connu tout cela six mois plus tôt, la plupart des articles n’auraient pas été réservés aux abonnés et je pourrais en lire davantage. Bref, je peux être surinformé. La démocratie directe dont j’ai toujours rêvé m’arrive par les réseaux sociaux. Quand on en parlait, les politiques dont le message avait pignon sur acceptabilité la balayaient d’un revers de main. Aujourd’hui, c’est à qui proposera la République la plus référendaire, via ce dérèglement qu’est le référendum d’initiative populaire. On ne veut pas parler de démocratie directe, alors on parle de démocratie participative. Certes, on peut refuser la neutralité d’Internet, mais je ne crois pas qu’on arrêtera le progrès. Beaucoup le regrettent, le taxant de populisme. Le peuple est une catégorie qui n’a jamais émergé dans l’histoire. Michelet voulait sentir l’âme du peuple et lui parler, mais ne le trouvait pas. Michelet croyait que le peuple imitait Jésus-Christ. Ceux qui s’insurgent contre le populisme n’ont pas entièrement tort. Ils voudraient que, tant qu’à ce qu’émerge le peuple, il le fasse avec des visées sympathiques et sympathisantes. Or le peuple n’émerge que pour retrouver la xénophobie d’antan et de tous les temps, que le cosmopolitisme avait cru évacuer ou éloigner. Le peuple n’émerge pas pour trouver l’amitié entre les peuples. Il émerge pour accuser des élites, responsables selon lui d’avoir voulu organiser contre son gré la « paix perpétuelle » du vieux maître de Königsberg. Il veut s’extraire de l’Europe grâce à laquelle le vieux continent n’a pas connu de guerre depuis 70 ans, hormis celle des balkans, pour retrouver la viellle barbarie gothique, comme je l’ai également tweeté à thomas Ferrier à propos de son rêve d’Europe unie dans un seul etat, unie et identitaire, unie pour lutter contre l’autre. Or Voltaire écrivait que les Français d’avant le Grand Siècle, d’avant le siècle classique, alliaient à la curieuse galanterie des Maures la brutalité des Goths. Les nouveaux faiseurs d’europe veulent retrouver la barbarie gothique. Ces entraîneurs de peuple veulent construire une Europe-pour-la-guerre contre les élites, accusées d’avoir manqué la paix perpétuelle en construisant une Europe au sein de laquelle l’universalité du peuple-monde n’est pas apparue comme une évidence. C’est que les élites faiseuses de paix perpétuelle ont dépouillé leurs peuples. Elles ne les ont pas seulement dépouillées démocratiquement, mal que peut-être, ils ne supporteraient plus. Les peuples ne souffrent plus d’être des enfants démocratiques. L’Europe pacifique s’est laissée berner et bercer aux sirènes ploutocratiques, comme la Russie de Yeltsine a mal négocié sa sortie du communisme, dépouillée par les oligarques. Pourtant Yeltsine était certainement sincère quand il disait : « Je suis démocrate dans l’âme. »