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samedi 15 octobre 2016

Etat ou société, capitalisme ou patrimonialisme

Notre société déteste tellement les héritiers qu’après avoir aboli le droit d’aînesse pour disperser les héritages, l’Etat les soumet à des droits de succession tellement confiscatoires qu’il les rend à peu près impossibles. Le contraire d’une société d’héritiers, j’aime cette formule de Maurras que je répète à l’envi parce que l’héritage fait partie de ma problématique de bourgeois moins déclassé que contrarié, c’est une société de déshérités. Je crois en cette formule que j’ai entendue prononcer pour la première fois par Sarkozy : « Ce qu’il faut, ce n’est pas moins de riches, c’est moins de pauvres. » L’héritage est une appropriation individuelle d’une part prélevée sur la destination universelle des biens, dont il faut gager que celui qui se l’est appropriée a fait profiter la communauté. Je ne suis pas pour une économie de la rente, mais je suis encore moins pour une économie de la préemption. Une société qui laisserait toutes les parcelles du bien public être successivement et non successoralement appropriables serait une société d’appropriation abusive. Mais la société d’expropriation abusive a des effets plus néfastes encore. Une appropriation sans tutelle de l’Etat ne serait que l’extension du droit de conquête à l’échelle du pays. L’etat doit rester le maître du cadastre. Le capitalisme est un mot de lutte qui désigne aujourd’hui le règne de l’argent fou. Mais, lorsque Marx l’a inventé, il désignait simplement l’appropriation des moyens de production, ayant également tendance à s’approprier indûment une force de travail au risque d’une économie de la rente. Le capitalisme aurait été viable sans la rente, mais surtout sans la banque. Il ne se serait pas appelé le capitalisme, mais le patrimonialisme. L’Etat aurait été le conservateur et le régulateur du patrimoine et des mouvements de l’argent fou. L’etat aurait retenu « la main invisible » des marchés aux agences de notation desquels il se soumet aujourd'hui. L’etat aurait été localiste et protecteur. Il aurait civilisé le besoin que chacun a de s’épanouir en s’appropriant quelque chose. Il aurait été l’administrateur de la destination universelle des biens, conjuguée au besoin de chacun de s’approprier les moyens de production nécessaires à la mise en œuvre de son projet patrimonial, contractuellement développé avec des salariés qui auraient consentiy à y consacrer leur force de travail en vue d’un profit matériel et moral. L’etat est devenu totalitaire en croyant depuis Rousseau qu’il était plus qu’un administrateur et plus qu’un régulateur, qu’on devait lui donner sa pensée, sa vie et même sa foi. L’étatisme se confond donc bien avec le totalitarisme dès qu’il sort de son rôle d’administrateur pour devenir société : « tout par l’Etat et tout pour l’etat », hier « l’Etat racial », « le parti-Etat et l’Etat-parti », aujourd’hui la société-Etat. L’etat est un corps physique et organique. Il ne doit pas devenir un esprit. La société est une espèce de psychologiedu collectif. L’Etat ne doit pas devenir une intelligence collective. Il ne doit pas devenir une société. Il ne doit pas devenir socialiste. Il ne doit pas devenir républicain, si la République n’est plus la chose administrée par le peuple, mais un ensemble de valeurs que devrait adopter le peuple, sinon l’esprit du peuple. Le totalitarisme actuel est un totalitarisme psychologique. J’aime à dire depuis quelque temps que je suis un antisocialiste primaire. Je suis aussi antirépublicain dans la mesure où la République a dévié du bien commun du peuple en idéologie. Je suis extrêmement social et extrêmement démocrate, mais pas du tout social démocrate, puisque la sociale démocratie promeut des corps intermédiaires artificiellement fabriqués par le régime de la société civile pour diriger et administrer l’économie de l’Etat social. Je ne suis pas républicain, je ne suis pas socialiste, je ne suis pas capitaliste, je ne suis pas antiétatiste, mais je suis patrimonialiste et partisan d’un Etat régulateur. Est-ce à dire que cet Etat se doit d’être conservateur ? #Eugénie Bastié a écrit récemment que le conservatisme était une modestie historique. Mais demander à l’Etat le conservatisme ne vaut pas mieux que de l’obliger à être progressiste. L’Etat doit conserver le patrimoine autant que possible, à moins qu’il ne décide selon l’antique sagesse vétéro-testamentaire de remettre les compteurs à zéro tous les cinquante ans et d’affranchir les serviteurs de l’économie. L’Etat pourrait tout à fait décider de redistribuer les moyens de production aux salariés au bout d’un certaintemps. Le conservatisme n’est bon à l’Etat que s’il est de bonne administration et laisse circuler l’énergiecréatrice. Il est néanmoins plus naturel à l’Etat que les valeurs du progressisme ou de l’avant-garde, que doit s’approprier la société si ces valeurs se sécrètent naturellement en elle et sans qu’on la force à les adopter. La perversion de notre régime politique vient surtout de l’entière confusion de l’Etat avec la société, qui a pour origine la confusion du charnel du corps politique avec le psychologique de la société, étant apparemment, mais faussement sauf le spirituel de la vie privée, l’Etat sait bien qu’il n’a pas d’âme. Elle vient du transfert complet de la dette de civilisation à la société politique, qui a cessé d’être un corps. Ordinairement, une dette est faite pour être remise. La dette que la créature a contractée envers son créateur a été rédimée par leRédempteur. Elle l’a été en raison de l’insolvabilité de la créature humaine, qui aurait dû créer cette rédemption si elle ne lui avait pas été révélée. L’enfant reçoit des soins qui lui feraient contracter une dette envers ceux qui les lui prodiguent, s’il n’était pas dans l’essence de la maternité de les dispenser gracieusement et dans l’oubli qu’on les prodigue, de sorte que la dette est annulée car elle est oubliée au moment même où les soins sontprodigués. La parentalité vit dans l’oubli du bien qu’elle fait et dans l’abnégation de faire autre chose que du bien. La dette est annulée au moment où celui qui l’a contractée en tire les bénéfices, même si elle renaît dans l’esprit des parents de la déception qui se fait jour de l’ingratitude de l’enfant ou de la dissimilitude du projet parental sous-jacent d’avec le projet propre de l’enfant. Mais une dette remise ne peut pas renaître. Les enfants n’ont de devoirs envers leurs parents que par réciprocité et par respect d’eux-mêmes. Ils ne doivent honorer leurs parents que par honneur personnel. Les parents ni la société ne peuvent rien exiger d’eux. Les parents sont vis-à-vis de l’enfant sous le régime de l’inconditionnalité. Les parents ne sont pas faits pour hériter de leurs enfants. Seule la société impose à ceux qui y participent une dette civile et une dette de civilisation supérieure à cequ’elle peut donner. Or il est dans la nature de la dette d’être remise, partiellement ou intégralement. La société ne peut pas demander une abdication et une aliénation de tout l’esprit de l’homme pour la remercier de le protéger et de l’éduquer. Demandant une chose qui excède ses droits, il est naturel qu’elle en donne de moins en moins et qu’elle ne protège plus celui qu’elle enchaîne ainsi. La dialectique n’est pas entre l’action et la réaction, mais entre la conservation et le progrès. La réaction est une réponse agressive à une force qui s’exerce de façon agressive par la société, qui veut culturaliser l’homme, ou le civiliser de force en lui inculquant de nouveaux habitus. La société n’a pas à manipuler ses participants par une action qui s’exercerait selon une force subversive, irréversible et irrévocable, de manière à susciter une réaction répressive, agressive et régressive comme un rebrousse-poils. Conservation et progrès doivent agir réciproquement d’une manière non régulée par l’Etat, mais selon une dialectique qui fait société. C’est le propre d’un etat d’établir un régime politique. C’est le propre de la société de sécréter son régime idéologique, sans qu’aucune force constituée dans ce but puisse l’imposer de l’extérieur. Les valeurs sécrétées par la société ne répondent à aucun juridisme préalable ni à aucun providentialisme, mais sont la réponse du libre arbitre collectif aux desseins de la Providence. La loi est l’expression de la volonté générale de libre adhésion ou refus des desseins de la Providence, de dieu s’Il existe. La société ne peut être théocratique, elle ne peut être qu’une réponse à Dieu s’Il existe. Et l’Etat peut encore moins être théocratique. C’est un corps, il n’a pas d’âme. C’est l’administrateur de la destinations universelle des biens communs, il essaie de bien faire, il ne peut pas dire le bien.

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