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vendredi 16 décembre 2011

Y a-t-il un risque d'analphabétisation des non-voyants du fait de la désaffection du braille?

Petit mémorendum fait pour un designer infographiste



La voici.

L'oralité gagne du terrain au détriment de l'écrit. Disons, de l'écrit normatif. On écrit beaucoup, mais des SMS. La syntaxe en souffre un peu, l'orthographe beaucoup. Mais l'orthographe est un encodage relativement récent. Donc y perd-on tant que ça? L'image gagne du terrain, le "smile", la photo, le mail est une lettre qui n'a pas encore trouvé sa forme juridique.

L'image est toute-puissante, les aveugles n'ont pas l'image, mais la voix fait écran au braille. L'attrait de l'informatique opérant toujours, la séduction de la voix opère pour l'aveugle en substitution de la séduction de l'image. On ne peut pas, pour un aveugle, pratiquer un substitut de la méthode globale ou semi-globale, avec les exercices permettant de faire correspondre les mots aux choses, pour le plus grand dérèglement du cerveau, nous dit-on, mais pour la plus grande vivacité de l'intelligence infantile, éduquée à être primesautière. L'enfant aveugle, quant à lui, peut prendre conscience de la langue par le traitement de la voix, l'intonation, les syllabes et les retrouvailles de l'écriture syllabique et du béaba grâce à la décomposition des mots pouvant être opérée par les synthèses vocales, ceci pouvant jouer en faveur de la synthèse vocale contre le braille que l'apprentissage de l'orthographe en est plus ludique et peut mieux correspondre à des personnes dont la sensibilité tactile n'est pas assez développée, voire est incompatible avec le braille, car il faut savoir que l'on n'est pas à égalité devant la sensibilité au braille, même aveugle de naissance).

Y a-t-il perte d'autonomie intellectuelle par la synthèse vocale? Cela peut arriver si une synthèse vocale, après avoir initié à la lecture, raconte trop vite, tel un parent virtuel, une histoire à un enfant qui n'a pas appris à se la raconter lui-même en lisant à haute voix, puis à voix basse. C'est encore évident lorsqu'une synthèse vocale est atone, ce qui est très souvent le cas (voir la synthèse vocale "éloquence" dont se sert la majorité des non-voyants comme support vocal du lecteur d'écran Jaws. L'atonie de cette synthèse vocale a un effet d'autant plus pernicieux pour la prononciation du Français inaccentué de france, qu'elle a un accent québécois très prononcé. Par contre, l'atonie peut rendre de très grands services si elle est non accentuelle et par la suite, non dans l'apprentissage de la lecture, mais dans celui de l'écriture, et plus exactement, pour l'écrivain, dans celui de se donner un style. Une synthèse vocale atone et non accentuelle peut servir de "gueuloir monotone". c'était le cas de "sonolect", synthèse vocale déjà ancienne qui permettait de lire sous le système d'exploitation MSdos. Inversement, quand on est bien initié à la lecture, une synthèse vocale tonale (beaucoup d'efforts sont faits en ce sens aujourd'hui) permettent vraiment de s'approprier un livre presque comme s'il était lu "en voix naturelle" (voir par exemple l'expérience d'une bibliothèque numérique comme "le sésame" qui pratique parfois, pour un seul et même livre, un support d'adaptation numérique lisible par synthèse vocale et une autre adaptation lue "en voix naturelle".

Importance de la langue écrite.

L'importance qu'on lui accorde est certes fonction de la valeur que l'on donne au support écrit, de la manière dont on accepte la dysorthographie dans toutes les classes de la population, de la manière dont on se projette aussi par rapport à la transformation de l'écrit. Le braille est un système normatif, mais cérébral, accessible à une classe de tactiles intellectuels, qui préfèrent explorer un texte de façon rêche plutôt que d'explorer une maquette de façon panoramique. Le braille a remplacé le système anciennement inventé par Valentin Haüy, qui était plus difficile à écrire, mais offrait plus d'intérêt figuratif, dans la mesure où il était la transposition pure et simple en cire des lettres ordinaires (voir à cet égard le musée valentin Haüy rue duroc à Paris).

Dans les années 1970, l'optacon, l'ancêtre de toutes les machines à lire, reproduisait le système de valentin Haüy en mettant directement le doigt en contact avec la forme des lettres du "livre en noir" que l'aveugle rencontrait en promenant une caméra d'une main sur la feuille, tandis que l'autre en recevait la forme qui lui était transmise par pizzoélectricité, d'où un contact direct de l'aveugle avec la forme de la lettre "en noir", mais un contact plus désagréable encore que ne peuvent l'être les picots du braille pour des personnes au toucher peu sensible.
En quoi le Braille demeure-t-il l'appropriation de l'écriture par les aveugles ?

Etrangement, beaucoup de voyants qui le voient pour la première fois l'identifient au morse et à un code secret relativement rébarbatif, ce qu'il est en réalité en grande partie, dans la mesure où il est totalement déconnecté de toute espèce d'imagerie. Il suppose et développe une grande capacité d'abstraction qui est utile à l'intériorisation d'un texte. Il est même une sorte de double abstraction puisqu'intrinsèquement fermé à l'image dans la mesure où il ne saurait reproduire la forme des lettres ordinaires sans créer de dichotomie entre la facilité de sa lecture et la difficulté de son écriture, il ne saurait, même de manière lointaine, évoquer un pictogramme, comme les lettres de notre alphabet en ont gardé une trace inconsciente, et rend donc impossible toute visualisation. Double abstraction interdisant la moindre visualisation, le Braille accentue le cloisonnement de l'aveugle dans son aperception visuelle, en même temps qu'il enracine l'aveugle dans l'appropriation maximale de l'écriture, en tant que l'écriture, si elle est trace du pictogramme, est constituée par la différenciation par excellence du signifié avec toute image à laquelle puisse renvoyer le signifiant. Le braille est donc particulièrement propice au symbolisme et, après le passage inévitable par les tâtonnements de l'ânonnement, à l'appropriation de la lecture à voix basse, de "la lecture silencieuse" (cf Roger Chartier). Mais il est permis de se demander si le braille ne favorise pas par trop l'esprit symbolique, voire l'onirisme de l'aveugle qui n'est que trop porté à vivre dans son monde, à travers l'appropriation d'une écriture rêvée à outrance.

Le braille et le vocal sont donc loin de se faire concurrence. D'autant que l'excès de cérébralité, de désincarnation visuelle et de symbolisme que véhicule le braille, le rend souvent répulsif aux aveugles tardifs, qui ont gardé un souvenir visuel ou qui seraient restés, envers et contre tout, des esprits visuels.

Si de nouvelles classes sociales apparaissent du fait de la concurrence des apprentissage au sein des déficients visuels, cela ne tient pas, cette fois, à à l'acquisition ou non du Braille, mais au fait que le braille avait l'énorme avantage de représenter un système normatif simple et peu onéreux alors qu'aujourd'hui, existent de grandes disparités au sein des déficients visuels, selon leur appareillage ou la manière dont ils sont équipés, la disparité de ces équipements, leurs possibilités d'accès à ceux-ci, qui rend très difficile d'évaluer à quel niveau de savoir et d'accès au savoir en est arrivé chacun, et qui rend également très délicat d'échafauder des modules de formation homogènes et progressifs pour tous.

le livre numérique est un avantage par le gain énorme de volume que cela représente et par le fait que le braille papier semble malgré tout relever d'un combat d'arrière-garde, mais si et seulement si l'on arrive à endiguer la disparité des classes sociales émergentes entre une élite de déficients visuels très équipés et de quasi analphabètes sous-informés, disparité induite par l'inégalité des aveugles devant le traitement numérique, qu'avait favorablement corrigée antérieurement l'égalité des aveugles devant le braille, non égalité de sensibilité, mais d'accessibilité à ce support écrit.

"- Quelles autres formes tactiles seraient-elles envisageables pour un contact haptique?"

1. La forme du Braille étant destinée à rester statique, ou plutôt le braille étant relativement aformel, l'appropriation de l'écriture de l'aveugle sera difficilement formelle, et pourtant il faut réconcilier l'aveugle avec la forme.

2. Ce qui peut se faire de deux manières : soit la maquette, soit des livres qui oublient le braille et apprennent ou réapprennent, d'abord en grand, puis en petit, d'abord en majuscules, puis en minuscules, d'abord en lié, puis en détaché, la forme des lettres "standard" en relief à l'usage des aveugles ; peut-être même la forme des images, dans des livres d'images, mais avec des reliefs plus différenciés, avec en bas l'explication du dessin, l'explication valant ici mieux qu'une légende. Comme éléments de relief, des matière, du bois pour un arbre ou pour un pont ; des tissus, des différences de textures, même des textures plus basiques, comme des lignes ou des points environnés de matières premières, synthétiques ou naturelles. Les vagues de la mer en torsades... graines, sable, tissu, feutrine, voire éléments de la nature... Pour un infographiste, il est nécessaire de Se poser la question de savoir si on peut inventer des composés infographiques ou des imitations de ces matières que l'on puisse aisément encoder, puis reproduire par l'impression...

La désaffection du braille est liée à son volume dans un système d'économie de papier, à son caractère peu attrayant pour qui n'en est pas connaisseur et au fait qu'il demande une grande conversion cérébrale. Le braille est informel, mais aformel. Or il peut être ludique pour qui sait l'apprendre en s'amusant, en comprenant que sa table d'alphabet est fondée sur des séries de dix combinaisons de points auxquels s'ajoutent, à chaque fois, dans la série suivante, un ou deux points supplémentaires. Que l'apprentissage du braille parvienne ou non à trouver les voies du jeu de pistes, son appropriation reste irremplaçable pour la lecture silencieuse, intérieure, introspective, c'est-à-dire pour la lecture non superficielle et, si j'ose dire, non cinématographique.

L'appropriation de l'information hypertexte a été résolue depuis longtemps, sur les seules "plages braille", ou lecteurs d'écran en braille, dont disposent très peu de non-voyants, car elles sont beaucoup plus coûteuses que les synthèses vocales, par l'adjonction de deux points au début du lien. C'est la seule adjonction de caractères avant un mot qui ne soit pas de nature à compliquer la lecture du Braille, car elle n'apporte pas une information typographique, mais seulement une information utile et "magnétique" (j'entends par là attractive), en indiquant où l'on peut opérer l'acte magique du "clic". Peut-on dire que l'invitation à cliquer est plus séduisante quand elle est lancée par une synthèse vocale ou quand elle est précédée de deux points braille ? Cela dépend vraiment du support que l'on s'est accoutumé à utiliser pour la lecture. Le "clic" séduit toujours, est toujours une invitation à l'information et au "changement de discipline". Ce qui rend ou non séduisante une voix de synthèse, outre son prix, est vraiment le cas qu'elle fait de l'intonation. Le braille est certes un support atone ; mais pour qui a choisit de l'utiliser en informatique, l'intonation est une "musique intérieure" qu'il se donne à lui-même.

L'analphabétisation qui menace les aveugles ne tient pas au danger que disparaisse l'alphabet braille, ne serait-ce que parce qu'au pire, il sera toujours utilisé peu ou prou en informatique. Le danger d'analphabétisation vient d'une trop grande méfiance vis-à-vis de la capacité d'abstraction que représente le Braille, tout comme le danger d'analphabétisation de la population des gens qui voient clair vient de la trop grande prégnance de l'image, à cette différence près que, comme nous l'avons noté plus haut, la capacité d'abstraction est double chez un aveugle, le braille développe en lui une propension à la concentration qui peut le surintérioriser et surtout attirer la méfiance cognitive des pédagogues envers cet outil d'écriture irremplaçable, dans la mesure où il pousse l'écriture à son paroxysme, dans le différenciel avisuel qu'il établit entre le signifiant et le signifié. Donc l'aveugle qui maîtrise le braille peut être le plus lettré des lettrés, comme le voyant qui ne maîtrise pas son écriture peut être le plus analphabète des analphabètes. L'aveugle ayant très tôt été initié au braille et s'y étant montré insensible, voire incompatible, ne sera jamais tout à fait analphabète, mais pourra être illettré.

Le Braille, trop rêche, linéaire, insensible et cérébral

Un extrait de ma réponse à un graphiste designer qui déplorait que, depuis 1830, aucune recherche de plaisir n'ait été faite dans le domaine du Braille.

"Ce que vous dites de l'absence de recherche de plaisir lié au braille est particulièrement vrai appliqué à la musique. Le "brailliste" musicien ne peut se figurer comment la musique est écriture, et je pense que cela le handicape dans sa manière de restituer une partition ou tout simplement de prendre plaisir à la jouer. Il agit par effet mécanique, et cela peut confiner à un certain autisme de son oreille ou de son apprentissage par coeur.

L'apprentissage du braille est, non seulement moins facile que celui des lettres ordinaires, mais, pour certains doigts qui n'y sont pas sensibles, un redoutable pensum intimidant. Donc il y a risque d'analphabétisme, oui, et probablement risque d'analphabétisme par ajout de points aux caractères existants, pour autant qu'on accepte la prémisse de Louis braille, que les six points auxquels il a réduit le système antérieur de Charles barbier, appelé "écriture nocturne", étaient la quantité tout juste nécessaire pour épouser la sensibilité des coussinets des doigts. Comment remédier à cette insensibilité relative ? Les moyens actuels d'embossage ou d'impression du braille devraient constituer une réponse relativement adaptée, dans la mesure où ce traitement informatique produit des points qui s'effacent moins. Du moins peut-on le supposer, mais il faut voir ce que deviendront ces ouvrages à long terme ! Je ne sais pas si on a le recul nécessaire. Je suis d'accord avec le fait que la reliure des ouvrages récents est particulièrement peu attrayante.

Il y a un troisième point, toujours dans le désordre, à considérer : c'est que la plupart des personnes qui ont perdu la vue tardivement ont toujours une image mentale tout à fait adéquate de ce qu'ils ne perçoivent plus par les yeux. Cela leur rend l'accès au braille d'autant plus difficile. A ce stade, on peut dire que les difficultés d'accès au braille varient selon deux séries de facteurs :

1. le fait de savoir si une personne a vu ou non, avant de perdre la vue et quelle image mentale elle a conservé de la vue dans l'affirmative. (Par exemple, est-ce que ses souvenirs visuels l'impressionnent à longueur de journée ? C'est le cas de ma compagne !)

2. le fait de savoir si un aveugle ayant vu ou n'ayant jamais vu serait plutôt à ranger dans la catégorie des auditifs ou des visuels. C'est une distinction par moi forgée, mais je crois qu'elle est assez productive. Pour farie simple, un aveugle auditif compensera assez peu par le toucher. Il visualisera peu et le braille est fait pour lui ! Un aveugle visuel recourera beaucoup au toucher et le braille lui sera d'un usage plus difficile.

Autre manière d'approfondir le même problème : un aveugle n'ayant jamais vu et à tendance auditive n'a aucune notion de perspective. Préalablement à toute cartographie, il y a donc un apprentissage à lui faire faire dans ce sens. Je suis tout à fait dans le cas d'avoir à faire cet apprentissage. Inversement, un aveugle, soit qui a perdu la vue, soit qui est de tendance visuelle, a, de façon presque innée, le sens de la perspective.

Pour en revenir à mon obsession musicale, j'avais acquis il y a quelques années (et mal rangé, selon mon habitude) un ouvrage qui expliquait la musicographie ordinaire aux aveugles. faute de l'avoir travaillé avec un voyant, je n'y ai rien compris et en ai beaucoup de regret, la matière étant difficile d'appréhension pour mon esprit abstrait et aussi peu visuel que possible.

Encore une digression : quand j'étais gamin, je rêvais d'imaginer un système qui m'aurait permis de voir un film en relief, en 2D. J'en rêve encore et crois possible de voir le jour où l'on touchera des images en relief. Je me demande si ce procédé, dans lequel personne n'a à ma connaissance fait de recherches, n'a pas plus d'avenir que l'adaptation de "bandes dessinés" ou d'ouvrages de bibliophilie en braille, car il faut bien se rendre compte que le braille est dans une situation de survie. La numérisation via la synthèse vocale le menace très sérieusement, en dépit des dysorthographies que cela va provoquer. Le braille a été très longtemps une écriture normative. C'est même en cela qu'il a été le plus original. Cette normativité est en train de perdre du terrain.

Peut-être faudrait-il inventer une table générique et normative des objets dans la fabrication d'équivalents "bandes dessinées" en braille. Mais du coup, les objets perdant toute forme et devenant de purs symboles de légende, demeureraient-ils encore des objets? Mais surtout, comment inculquer la notion de perspective à quelqu'un qui n'a jamais vu la verticale de ses yeux?"

Peut-on être rétrospectivement contre la loi de 2005?

Dans un précédent message, j'avai déjà critiqué ma question en disant que, certes, les questions rétrospectives n'ont pas de sens et qu'il en va de celles-ci comme de ces sujets de dissertation historique où l'on se demande si tel événement aurait pu être évité. Pour avoir été un jour pris au piège d'un tel sujet, je me souviens que celui qui l'avait posé, en marge de sa correction, avait regretté qu'aucun de nous, qui nous étions donnés du mal à le traiter, n'avait remarqué qu'il était absurde, puisque l'événement, sur lequel nous avions à disserter, avait eu lieu. Or je n'ai jamais été convaincu par cette prétendue absurdité d'un sujet rétrospectif, étant entendu que ce n'est pas parce qu'un événement a eu lieu qu'il était inévitable.

Ici, la pertinence de la question me paraît justifiée par le préalable qui a raisonné comme une antienne avant toutes les interventions des militants associatifs aussi bien que politiques :

"Certes, il est incontestable que la loi de 2005 a été un très grand progrès, mais, dans le domaine qui m'occupe", et suivait une litanie de complaintes qui expliquait qu'elle avait été une catastrophe dans ce domaine. Or, comme cette antienne a été répétée à peu près dans tous les domaines, j'en suis arrivé à la conclusion très logique que cette loi a été une catastrophe dans tous les domaines, mais qu'oser le dire relève du tabou et que, pour éviter de transgresser un tabou, on prend la précaution oratoire d'excepter la catastrophe qu'a été l'application de la loi de 2005 dans son seul domaine particulier d'intervention, lequel s'ajoutant à tous les autres, la catastrophe est générale.

On pourrait m'objecter que ma conclusion n'est pas objective, je confirme. J'ai un très mauvais souvenir de la manière dont nous a été présentée la loi de 2005. Non qu'elle n'ait fait l'objet de comptes rendus très circonstanciés et fréquemment mis à jour par Philippe chazal, le Président de notre confédération, notamment dans "le Louis braille". La discussion de cette loi nous était également expliquée dans ses soubassements sociologiques, à travers l'explication qui nous fut donnée par Michel gouban, de l'évolution de la perception de la notion de "handicap" en termes de "situations incapacitantes" susceptibles de "stratégies de compensation". Dans un numéro antérieur, nous étaient donnés quelques extraits du rapport qu'avait publiée la commission parlementaire présidée par vincent Peillon qui dressait un état des lieux des problématiques posées par la déficience visuelle et ses diverses formes de compensation. Auparavant, du sein de nos milieux, via la fréquence FM parisienne que le CSA avait allouée pour six mois sous la responsabilité d'Hamou bouakkaz, s'exprimaient des revendications dont on se demandait où elles finiraient. Signe de l'absurdité qui rôdait et de l'incompréhension majeure des pouvoirs publics, cette antenne avait été théoriquement consentie par l'autorité octroyant les fréquences de la bande FM pour permettre, par l'intermédiaire de la radio, aux aveugles de se familiariser à l'euro, ce qu'on ne peut faire que sur pièces.

En un mot, nous professions un discours où émergeait une conscience syndicale, corporative, revendicative, que la léthargie qui avait couvé cette conscience comme une belle aux bois dormant excusait sans doute de vouloir tout dans le désordre, sans distinction ni priorité ; mais cette boulimie revendicative apparaissait dans un contexte, aidée par lui ou le servant, où l'Etat voulait faire des économies en réduisant la compensation personnelle du handicapsous couvert de se montrer plus incitatif ou exigeant quant à l'accessibilité de la société aux personnes handicapées, de l'emploi au bâti. La perspective a bien évidemment enivré ceux qui étaient associés aux discussions et ont cru aux intentions de l'Etat en oubliant de consulter leur base. Ils ne manquaient pourtant pas de l'informer, mais ne lui donnaient que des mots d'ordre pour les soutenir, sans jamais lui demander son avis.
Or cette base était plus circonspecte et moins enthousiaste, si je mesure sur moi. Elle sentait confusément que l'adéquation entre des revendications qui enflaient toujours, et un désir d'économies de l'Etat qui se masquait sous des intentions d'accessibilité irréalisables, ne pouvait que lui être défavorable en créant des relations incestueuses entre l'Etat, qui n'avait pas renoncé à se défausser sur des associations, "gestionnaires du handicap", et la confédération des principales de ces associations, dont le Président se voyait en rougissant donner le titre de "monarque incontesté" ayant toujours son "rond de serviette, veuillez noter, grégoire", à la table des négociations, sans que lui ne proteste ni que la base ne conteste, se demandant, dans une consternation gênée :

"Philippe, qui t'a fait roi ?" (NDLR: Cette remarque fait référence au fait qu'inaugurant les Etats généraux de la déficience visuelle, la ministre roseline Bachelot-Narquin prétendit que Philippe chasal, Président de la CNPSAA (confédération Française pour la Promotion sociale des aveugles et amblyopes, était considéré comme un "monarque incontesté" et qu'il aurait toujours son "rond de serviette" dans les négociations à venir, priant son chef de cabinet, grégoire-François daindy, de bien noter ceci. La ministre concluait en faisant allusion à l'amitié dont elle croyait pouvoir dire que Philippe chazal en avait pour elle, ce que celui-ci confirma d'une approbation discrète.)

Mais ne sombrons pas dans la démagogie de ne pas dire son fait à la base et de ne pas regretter que, tandis que les organisateurs de ces Etats généraux lui ont demandé de bien vouloir leur en faire un "retour", elle ne se sent pas un devoir de leur en donner un "ressenti", pas même un devoir dicté par la politesse et le savoir-vivre. A ce jour, nous ne sommes que trois, sur cette liste (NDLR: la liste préparatoire à la discussion sur les affaires sociales), qui a pourtant ardemment agité des idées fortes, à leur avoir donné satisfaction.


Bon, mettons que ma question rétrospective sur le bien-fondé de la loi de 2005 ne soit que l'effet de ma frustration de ne pas avoir été consulté lors de son élaboration. Mettons encore que, si nous, déficients visuels, y avons perdu des billes, cette loi a été positive pour d'autres catégories de handicapés dont les malades psychiques, désormais éligibles à l'AAH. Comment mesurer l'impact de la maladie psychique, à l'analyser du simple point de vue de la déficience ? On peut discuter de cela ; est-ce à dire que les parents d'enfants autistes ont vu la situation de leurs enfants s'améliorer notablement, tant aussi longtemps qu'ils sont en âge scolaire ou vivent sous leur toit que par la suite ? Est-ce que les places dans des établissements spécialisés ne sont pas comptées pour des parents en ayant fait la demande et souhaitant qu'avoir un enfant autiste ne les empêche pas d'avoir une vie après cette épreuve, si ce n'est simplement de ne pas envisager de disparaître sans que leur enfant soit pris en charge ? Est-ce qu'en dépit de l'audience inespérée du film "Intouchables" , qui abonde dans le cliché du handicapé forcément issu d'un milieu favorisé, les tétraplégiques bénéficient de ressources suffisantes pour accéder à l'aide humaine dont ils ont besoin ? Le simple côtoiement dans la manifestation du collectif "ni pauvres, ni soumis", ou la simple connaissance de personnes ayant à faire face à de telles situations nous permet de répondre par la négative. La loi de 2005 n'a pas non plus résolu leurs difficultés.

Mais, pour sortir d'une évaluation subjective, je voudrais m'en rapporter à l'exposé que nous a fait, à la fin de notre dernière table ronde, notre "grand témoin", M. Patrick GOHET, Inspecteur Général des Affaires Sociales, Président du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées et ancien Président de l'UNAPEI. Cet exposé, qui était beaucoup plus préparé que la simple réaction spontanée qu'il nous promettait, nous fournit des outils d'analyse précieux, à l'aune desquels on peut se permettre une évaluation assez précise de la manière dont la loi de 2005 a ou non atteint ses objectifs, mais encore de la pertinence de ceux-ci.


M. gohet, au-delà des trois grandes aspirations majeures qu'il a énumérées comme étant celles de tout citoyen, "la sécurité, la liberté et la dignité", a identifiétrois objectifs que la loi s'était fixée, dont c'est trop peu de dire qu'elle ne les a que partiellement atteints.

1. Le premier d'entre eux était la simplification. S'il faut confirmer régulièrement à la MDPH qu'un enfant est toujours trisomique ou toujours tétraplégique, cela n'a pas changé non plus pour les aveugles, et nous l'avons relevé dans ces travaux préparatoires. De plus, "les équipes pluridisciplinaires", dont on nous promettait qu'elles seraient plus compétentes et moins administratives que celles de la COTOREP, ne font en réalité que compliquer l'instruction individuelle des dossiers des personnes handicapées en général. Sans compter qu'au-delà de ces "équipes", nous apprenons que les conseils d'administration des MDPH seront bientôt presque exclusivement composés de leurs financeurs.

2. La Maison départementale des Personnes Handicapées (MDPH) devait être garante du deuxième objectif qui était celui de la proximité.

a) Sa première mission est d'accueillir. Or certaines ne sont même pas accessibles.

Pour lancer une pierre dans notre jardin, nos associations sont elles aussi de moins en moins accueillantes et accessibles. Pour preuve, la médiathèque de l'AVH (Association valentin Haüy) est quasiment inutilisable sans l'aide de tierces personnes accompagnatrices, ou sans monopoliser les bibliotécaires, qui ne sont souvent pas formés aux machinnes dont ils sont censés apprendre à se servir ceux qui voudraient bien les utiliser. Le hall d'accueil de l'AVH est large et rectangulaire, entouré d'un grand nombre de portes vers lesquelles le personnel d'accueil nous dirige à la voix, sans que, si nous ne savons pas précisément où se trouve le lieu de notre rendez-vous et pour peu que celui-ci se situe dans les étages, nous puissions nous y rendre, sauf à rencontrer une bonne âme qui nous y conduise. Le "self" qui sert de cantine au siège parisien de la rue Duroc est certes accueillant et se veut peut-être une préparation à ce que les étudiants du CFRP (Centre de formation et de reclassement Professionnel) rencontreront dans l'entreprise, mais il n'a d'un "self" que l'aspect formel, heureusement que des serveurs ont l'habitude de placer ceux qui y viennent pour la première fois, et un "self" doté de tout petits plateaux n'est pas nécessairement ce qu'il y a de mieux adapté pour une clientèle aveugle. Au magasin de l'AVH, le temps des vendeurs est compté et les queues sont interminables. Pour avoir fait récemment l'acquisition d'un Milestone 386, j'ai bénéficié de la démonstration très compétente d'un vendeur de qui, quand je lui ai dit que nous pourrions nous isoler pour nous asseoir, ne pas parler derrière un guichet de manière à en faire profiter tout le monde, je me suis entendu répondre qu'il n'en avait pas le droit, la procédure ne le permettait plus. Les parents ou les accompagnateurs de personnes venant de perdre la vue qui prennent contact avec le service du matériel spécialisé ne bénéficient pas d'un acueil particulièrement chaleureux, les agents commerciaux ne les distinguent pas de leurs autres clients et leur prodiguent des explications à peine plus élaborées.

b) La seconde mission des MDPH est d'informer. M. gohet nous rappelle que les MDPH devraient être en mesure de nous dire quels sont nos droits, quelles sont les adresses utiles, les procédures qu'il faut suivre, etc. Or on est loin, en entrant dans une MDPH, d'avoir l'impression de se trouver dans un centre de ressources où l'on puisse espérer avoir affaire à un guichet unique. Dans le meilleur des cas comme à Paris, les MDPH sont dotées de plateformes d'accueil. A ce stade, on ne voit pas très bien ce qui distingue une MDPH d'une COTOREP. D'autant qu'il n'est pas du tout certain que la proximité soit un facteur de simplification, un objectif prioritaire de la loi de 2005 peut donc en desservir un autre. Car enfin, la décentralisation, non seulement du lieu d'instruction des dossiers, mais du lieu de détention des budgets, peut rendre l'instruction des dossiers fonction des budgets départementaux, et l'application de la loi variable d'un département l'autre, non seulement pour peu qu'un département invoque qu'il n'a pas reçu la péréquation des financements qui lui sont nécessaires à la satisfaction de ses obligations légales, mais, plus arbitrairement, pour peu qu'il conteste lesdites obligations au gré des baronies locales, attitudes contre lesquelles on peut certes opposer un recours, mais avec l'espoir d'obtenir réparation dans quel délai ? Pourquoi les départements se gêneraient-ils pour ne pas appliquer la loi, du moment que l'exemple vient d'en haut et qu'il nous a été répondu le plus tranquillement du monde au cours de nos assises par la ministre en personne que l'abolition des "barrières d'âge", qui est certes inscrite dans la loi, n'était plus qu'une priorité, dont elle nous donnait à entendre qu'étant donné le caractère "impécunieux" de notre etat surendetté, elle serait ajournée sine die ?

Mais rétropédalons de l'application de nos droits à l'information que nous avons sur eux et faisons un nouvel aller-retour de la MDPH à nos associations pour, en balayant devant notre porte, voir dans quelle mesure elles nous informent. Je dois dire qu'il aura fallu que je sois venu (presque par hasard) aux Etats généraux de la déficience visuelle pour que j'apprenne qu'en dépit de la non rétroactivité de l'ACTP pour ceux qui en ont obtenu le droit avant que la PCH ne devienne la nouvelle norme, il faut que je certifie par une lettre séparée, dans le dossier de renouvellement de mes droits, que je souhaite continuer à bénéficier de l'ACTP. Encore ne sais-je exactement comment formuler cette lettre ni à qui l'adresser, ni quel article invoquer, ni dans quelle case du formulaire spécifier de rechef le souhait de mon maintien à mon affiliation d'origine, ni si le certificat médical qui y est attaché doit toujours être rempli par un oftalmologue ou peut l'être par mon médecin traitant, ni comment le médecin doit répondre aux questions, dès lors que les critères d'évaluation se sont étendus. Nous nous plaignons assez souvent de ne pas avoir accès aux informations culturelles sur la vie dans nos villes ou régions, mais nous pourrions en dire autant de nos droits sociaux, qui engagent davantage notre vie quotidienne.

c) Puisque le pli est pris de faire des allers-retours, nous entendons maintenant dire par M. gohet que la MDPH où nous retournons a aussi pour vocation de prendre connaissance et d'évaluer avec nous notre "projet de vie". Je dois dire que cette notion de "projet de vie" est de toutes celle que j'ai le plus de mal à souffrir.
D'abord, c'est souvent une ineptie pratique. Pour m'être maintes fois entretenu avec des éducateurs spécialisés travaillant dans le secteur du handicap mental, cette évaluation permanente leur fait perdre un temps fou, les oblige à tout justifier, y compris les actes les plus simples de la vie d'un jeune, fait qu'ils doivent se placer dans une dynamique de progrès lors même qu'ils savent que le progrès n'est possible qu'à dose infinitésimale ou que la pathologie est dégénérative, et que tout ce travail de synthèse qu'ils fournissent afin qu'il puisse être analysé au cas par cas par les "équipes pluridisciplinaires" qui ne voient jamais les jeunes, non plus qu'elles ne nous voient jamais, en fait de mieux prendre en compte des besoins personnels, réduit les personnes à un ensemble de "savoir-faire" et de "savoir-être", ne veut absolument plus en faire des élèves, des résidents, encore moins des usagers ou des patients, mais des clients, ce qui a pour corrolaire que, de même que les jeunes sont évalués par un questionnaire qui confine au "contrôle qualité", à plus forte raison, les établissements où ils sont "pris en charge" font-ils, eux, l'objet, de "démarches qualité" qui ne se cachent pas de l'être.

Mais, au-delà de l'ineptie pratique qu'il y a, pour des publics particulièrement en difficulté, à construire des "projets de vie", un "projet de vie", s'il n'est pas une ineptie théorique, du moins relève-t-il d'un préjugé existentialiste selon lequel il ne saurait y avoir de vie qui ne se justifie par un projet. Si l'on pousse la logique jusqu'à son terme, dans nos sociétés qui ont aboli la peine de mort, une vie sans projet est une excroissance injustifiable et susceptible de mort civile. Pour un peu, on ne rétablirait pas la peine de mort pour ceux qui n'ont pas de "projet de vie". du moins pourrait-on impunément les frapper de "mort civile" et d'ailleurs, c'est ce qu'on fait : il y a un million de majeurs protégés en france, ce qui, en forçant à peine le trait, est dire qu'il y a un million de plus ou moins "morts civils" ou de prisonniers sans condamnation pénale qui ne remplissent pas les prisons françaises dont on se refuse à augmenter les places, en dépit de l'inhumanité du système pénitentiaire français, inhumanité dont il n'est jamais dans les prérogatives du secrétariat d'état aux droits de l'homme, quand il y en a un, de la mesurer : ce secrétariat d'état facultatif est toujours rattaché au quai d'Orsay et mesure les manquements aux droits de l'homme dont se rendent coupable les pays étrangers, cependant que la france est régulièrement condamnée par l'ONU, le conseil de l'europe et même les observatoires des droits de l'homme américains qui n'ont certes rien à lui envier, pour ses atteintes aux droits humains de ses détenus : on n'a pas encore avisé, manifestement, ces organisations des atteintes aux droits de nos "majeurs protégés".

(NDLR: évoquer le régime des tutelles comme une mesure pénitentiaire et comme une "peine de mort civile" ne signifie en rien que l'on soit partisan du rétablissement de la peine de mort, comme un de nos lecteurs a cru voir dans cette manière de poser le problème de la protection des majeurs et de la valeur absolue de la vie indépendamment de tout projet s'y rattachant, un "sous-entendu politique malveillant".

Je ne peux pas souffrir la notion de "projet de vie" parce que, bien qu'elle se place dans une "logique d'inclusion" qui se voudrait apparemment généreuse, la sémantique attirant tout dans le giron de ce qu'elle signifie, le contraire de l'inclusion, c'est l'exclusion ; tout comme le contraire d'une personne pitoyable, qui a pitié, c'est une personne impitoyable. Notre loi de 2005 est une loi d'inclusion ; or elle a probablement favorisé l'exclusion, et personne ne s'insurge que notre société se reconnaisse des "exclus", comme si ce n'était pas une deuxième façon pour elle de les mettre à la poubelle, parmi ces "déchets" (elle n'oserait plus appeler des hommes ainsi) dont elle fait le "tri sélectif" avec l'aide de sa "machine à papier", de sa machine à compresser les personnes en savoir-faire et savoir-être, de sa machine à recycler ou à réinsérer, qu'est l'administration, du jeu de laquelle est loin d'être sortie l'approche pratiquée par les MDPH et ses "équipes pluridisciplinaires" qui, ne voyant jamais ceux dont elles instruisent les dossiers, ne sauraient les connaître et entretenir avec eux des rapports de proxmité ; et qui, si, par extraordinaire elles les voyaient, seraient bien en peine d'échafauder avec eux des "projets de vie", pour autant que l'on ôte à cette expression sa charge dangereuse pour la valeur absolue de la vie, parce que ces "équipes pluridisciplinaires" sont avant tout, sont plus que jamais, au service d'une administration qui a eu beau créer, à travers la CNSA (caisse Nationale de Solidarité et de l'autonomie), une cinquième branche de la caisse Primaire d'assurance Maladie dont pas même la moitié n'a été dédiée aux personnes handicapées : cette caisse représente, de mémoire, à peine le triple de l'aide Médicale d'etat, donc est fort peu dotée, et satisfait désormais des besoins que le mécénat était prêt à continuer de combler, comme le financement des "aides animalières" ; l'etat se disant quant à lui hors d'état de tenir ses promesses, non seulement de supprimer les "barrières d'âge" pour l'attribution de la PCH, mais, ce qui est impossible dans les coupes drastiques que l'on pratique dans la fonction publique, de doter les MDPH d'un nombre d'employés suffisant pour qu'elles puissent véritablement être en lien avec les personnes handicapées ressortissant de leur juridiction départementale.
(NDLR

1. Faire une allusion sémantique à l'ancienne expression injurieuse de "déchets de la société" n'est certainement pas regretter sa disparition, ce qui se tire en toute logique du fait que l'auteur de ces lignes abhore le terme d'"exclusion" et croit voir sous "le tri sélectif des déchets" une apologie de "la sélection naturelle" et, à travers la poursuite des citoyens dans leurs moeurs les plus intimes et domestiques, les germes totalitaire d'une intimidation de l'homme sous couvert de sauver la planète.

2. Evoquer le fait que la CNSA soit dotée d'à peine le triple de l'aide Médicale d'etat, ce n'est pas se prononcer contre l'aide Médicale d'etat, cet exemple n'ayant été choisi que parce qu'au cours de notre table ronde, Marie-christine arnotu l'avait bien sûr évoquée en chiffrant elle-même son coût à 600 millions d'euros, chiffre qu'elle voulait faire claquer comme exorbitant auprès de son auditoire, alors qu'il est naturellement dérisoire en matière de dépense sociale ou comparé au "trou" de la sécurité sociale et au non recouvrement par l'etat des créances sociales dont sont redevables envers lui beaucoup de grandes entreprises.
Nous croyons avoir dissipé deux autres "sous-entendus politiques malveillants" dictés par la "haine" et dénoncés par notre lecteur, qui nous aura manifestement mal compris).

On peut donc oublier "la proximité" promise par la loi de 2005, et cet objectif ne pourra pas aller en progressant, comme s'en berçait encore d'illusions M. gohet au début de son intervention, en regrettant que tous les objectifs assignés par la loi, notamment aux MDPH, n'aient pas été atteints.

3. Nous avons déjà relevé que l'objectif d'équité, qui s'associait à celui de la simplification et de la proximité, et qui voulait éviter les inégalités de traitement entre les départements, a été entravé par la décentralisation, les dépenses de la PCH (Prestation de compensation du Handicap) en termes de ressources allouées aux personnes ne relevant apparemment pas de la CNSA, mais restant à la charge des Conseils généraux.


Aux trois aspirations dominantes à l'origine de la loi que sont la sécurité, la liberté et la dignité (nous noterons au passage que la sécurité devient le premier des droits de la personne handicapée, en quoi celle-ci se distingue encore des autres citoyens pour des raisons qui ne se justifient que par la pathologie, l'incapacité ou la déficience, mais différence qui nuit en tout cas à la citoyenneté à part entière revendiquée par ailleurs par la personne handicapée), la loi a voulu répondre par une simplification qui complique, une proximité qui favorise l'inégalité de traitement, contrairement au troisième objectif d'équité qu'elle s'est fixée.

Par ces trois "aspirations"-horizons et ces trois "conditions"-"objectifs" cette "loi de société" a voulu apporter trois réponses :

1. Le handicap ne devait plus être traité comme une "question à part", mais être envisagé "a priori", avant qu'il ne concerne tout ou partie de la société qui, à travers le cours de la vie des individus qui la composent, passerait par des phases de "handicap", de maladie, de dépendance. Or, là encore, sous l'intention généreuse, une idée souvent vraie, souvent, mais pas toujours ("répondre à la question du handicap, c'est faire progresser les conditions d'existence de l'ensemble du corps social, cf l'exemple des plateformes du bus emprntées par les personnes handicapées comme par les personnes âgées ou les femmes avec une poussette"), se mêle à deux aberrations :

a) Il faut traiter un problème quand il se pose. A le traiter a priori, on dépense des sommes faramineuses pour une "guerre à l'autonomie" qui ne sera jamais gagnée. Qui ne sera jamais gagnée, parce qu'on ne pourra jamais rendre tout accessible à tout le monde. Il faut donc prioriser les accessibilités aux besoins de ceux pour qui elles sont les plus urgentes. Mais qui ne sera jamais gagnée non plus, parce que telle solution qu'on mettra en oeuvre pour l'autonomie du plus grand nombre ne saurait convenir à toutes les "personnes à mobilité réduite", souffriraient-elles du même handicap. De là, le désarroi du "contribuable municipal" devant le fait que celui-là même pour l'autonomie de qui on a dépensé tant d'argent, a encore besoin de son aide ! De là, le gain en isolement de celui que les "balises d'autonomie" ne rendront jamais tout à fait autonome. Et que dire de la personne handicapée qui, cette guerre de l'autonomie, choisit de ne pas la livrer ? Ne devrait-on pas, en bonne équité, la sanctionner ? A partir de quand l'etat déclarera-t-il la chasse ouverte contre cette personne accusée de faire preuve de mauvaise volonté, comme il a déjà commencé de faire la chasse au pseudo ou au vrai faux chômeur ?

(NDLR: dire que cette chasse à ceux qui déclarent forfait au combat du "handicap" est au bout de la logique de l'autonomie et de l'accessibilité tous azimuts, ce n'est pas la souhaiter, surtout quand on remet en cause le lien soi-disant intrinsèque entre "handicap" et combattivité, avis pour rappel à ceux qui, comme l'ANPEA (Association Nationale des Parents d'enfants aveugles), militaient il y a une trentaine d'années pour que le mot de "handicapés" soit remplacé par celui de "différents", tout en éditant une revue intitulée "Comme les autres", cherchez l'erreur!)

b) Et puis, ne pas traiter le handicap comme une "question à part", c'est, au nom du droit, et même de l'amour de la différence, c'est philosophiquement n'aimer la différence que si elle est invisible. C'est une sorte de tartuferie qui consiste à "cacher cette différence que je ne saurais voir" sans souffrir, moi qui ne me prévaus du droit à la différence que s'il me devient indifférent, puisque j'ai cessé de le voir, puisqu'il a cessé de me heurter le regard et de me toucher les yeux.

2. On est parti du principe que "la première cause du handicap, c'était l'inadaptation... de la cité"." A quoi bon culpabiliser la société ? la première cause du handicap, c'est une déficience fonctionnelle à laquelle il faut s'adapter de son mieux. Mais la société, se sentant coupable, se disant qu'elle était la cause, elle et non le corps qui peut tomber malade, déchoir, a fait le pari généreux qu'"il faut rendre la société accessible", "toutes les activités de la société à toutes les formes de handicap". C'et folie ! Dès lors, on est passé du pari généreux au pari impossible comme nous croyons l'avoir démontré.

3. "Une fois qu'on aura rendu la cité accessible, il faut la rendre praticable par ces citoyens-là ; et, pour la rendre praticable, il faut leur permettre d'accéder à la compensation personnelle dont elles ont besoin". Qu'y aurait-il à redire à ce qui n'est, au fond, qu'une déclaration d'intention qui n'a pas varié entre la loi de 1975 et celle de 2005, la première répondant mieux, me semble-t-il, à toutes ces intentions sans prendre tant de soin de bien les exprimer ? Oh, presque rien, sinon qu'il n'est aucune catégorie de citoyens qui ne saurait réclamer tout sans contrepartie. La contrepartie, c'est la précarisation des personnes au profit d'une meilleure reconnaissance sociale, hypothétique. La contrepartie, c'est qu'il n'y a pas de droits sans devoirs. La société nous caresse de nos droits sans nous dire nos devoirs, nous devrions nous méfier. Car enfin, sommes-nous prêts à reconnaître que nous avons des devoirs ? Sommes-nous prêts à les accomplir ? Et auparavant, sommes-nous à égalité pour les accomplir ? Si nous reconnaissons notre inégalité, les mieux lotis d'entre nous sont-ils prêts à se sacrifier pour ceux qui vivent dans des conditions beaucoup moins décentes que les autres ? Sommes-nous prêts à envisager les conséquences de nos demandes exorbitantes ? Les avons-nous mesurées pour les différentes catégories de population qui composent le kaléidoscope sociologique hétéroclite de la déficience visuelle ? Y sommes-nous prêts avant que le marché du travail ne s'ouvre effectivement à nous ? Sommes-nous prêts, nous-mêmes, à évaluer, avec ou sans l'aide d'"équipes pluridisciplinaires", mais surtout avec des sociologues à qui nous passerions commande d'une enquête et qui nous réuniraient autant qu'ils auraient avec un échantillon représentatif d'entre nous, des entretiens individuels, sommes-nous prêts à évaluer le "handicap social" que représente la cécité ou la déficience visuel ? Sommes-nous prêts à nous engager à ne faire aucune demande dont nous n'ayons mesuré les conséquences ? Sommes-nous prêts à nous concerter, du haut vers le bas et du bas vers le haut, avant toute prochaine discussion avec les pouvoirs publics ?

"Nous sommes venus pour nous organiser pour résister, disait Vincent Michel au début de nos etats généraux: nous voyons bien en gros à quoi nous devons résister, mais nous sommes sortis de notre réunion aussi désorganisés que devant. N'y aura-t-il encore que des "associations gestionnaires du handicap" ou prenons-nous la main ? comment notre confédération compte-t-elle nous la donner ? C'est peut-être à ces questions qu'il nous faut désormais répondre.

bien cordialement

Julien weinzaepflen