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mercredi 21 avril 2010

Les trois fonctions de la culture

Extrait des aphorismes cruciverbistes de Julien Weinzaepflen :

La culture remplit trois fonctions (analogues au découpage que l'on a fait de l'activité économique en trois secteurs) (1)

1. La fonction primaire de la culture est la "culture de soi", "cultura animae" (Cicéron), l'agriculture, le labourage de notre terre intérieure qui apprivoise cette portion de la nature humaine que nous sommes : l'exploitation agricole de la ferme intérieure dont nous portons tout le bestiaire en nous et pour laquelle il s'agit de charroyer autant que de pâturer ou d'élever nos connaissances jusqu'à nous rappeler à quel point elles nous étaient innées et combien notre destin se forge dans la fidélité à notre caractère, pour autant que nous n'abâtardissions pas la perception de notre réalité et de l'Intention qui l'a fait naître.
D'où part la culture ? Du fait que chacun est à soi-même un "jardin", un paradis microcosmique, au centre duquel sont plantés deux arbres qui peut-être n'en font qu'un, mais que les deux récits génétiques de la Création ont pris soin de bien distinguer : "l'arbre de vie" et "l'arbre de la connaissance... du bien et du mal". Ceux qui ont voulu condamner la connaissance en elle-même se son dépêchés d'oublier le complément de détermination dont elle était assortie. ce qui est condamnable dans la connaissance, ce n'est pas le désir de découvrir (la curiosité, avant d'être un vilain défaut, est le ressort par lequel l'homme s'engage dans l'aventure humaine). Ce qui est contesté à la connaissance, c'est de vouloir qualifier la découverte, c'est de s'en servir pour classer le monde en blanc et noir, c'est d'introduire la jouissance qui savoure dans le règne du catégorique au mépris du plaisir : c'est de ne pas vouloir connaître pour comprendre, comprendre pour aimer. connaître est une contribution au développement humain. Pour autant, la connaissance vaut-elle la vie ? Si l'"arbre de la connaissance" est d'une centralité de second plan au regard de l'"arbre de vie", si la culture ne semble pas s'imposer d'emblée comme un impératif catégorique, si elle succède à la religion dans l'ordre des relations de l'homme à ce qui lui coexiste et de son rattachement, son reliement au monde, c'est, comme on dit trivialement, qu'"il faut vivre d'abord et philosopher ensuite". On peut vivre sans connaître, mais vivre sans comprendre, une telle vie vaut-elle d'être vécue ? L'héritage positiviste que nous charrions inconsciemment nous incline à penser que non. Or on aura beau s'élever dans la sphère des connaissances, on ne comprendra jamais tout, voire on ne comprendra jamais rien. On ne comprendra jamais quelque chose que si l'on renonce à avoir le moindre préjugé, (2) et tant pis si "tout comprendre" implique de "tout pardonner". Par avance. Connaître ne consiste pas beaucoup plus quà'à reconnaître. On peut s'imaginer vivre en connaissance de cause ; on peut vivre en connaissant beaucoup de choses et en n'y comprenant pas grand-chose : c'est la fameuse différence entre l'intelligence et l'instruction. (3) On peut vivre sans connaître, on peut vivre sans comprendre : on ne peut pas vivre sans aimer, ni sans l'espoir d'être aimé. C'est pourquoi, la connaissance étant facultative, la culture ne s'impose pas a priori. L'amour peut paraître un lieu commun à qui ne se pique que de vivre par force : mais il est la finalité de la vie. On peut contester que "l'homme (soit) fait pour aimer" puisqu'il y arrive si mal... Mais qui n'a pas rêvé d'être aimé inconditionnellement ? (4) S'il est avare de son amour, tous ses actes ne poursuivent-ils pas la fin d'être aimé ? L'homme se voudrait d'autant plus aimable qu'il se montre plus odieux. L'homme est une finalité sans sa capacité. L'homme veut recevoir de l'amour sans savoir en donner. L'amour est le but de la vie comme, dit-on, il est le terme de la connaissance. La culture de soi voudrait vérifier si ce terme est exact.
Mais, préalablement à cette vérification, elle permet de se construire en amitié avec soi par l'introduction de matière secondaire. La culture fait diversion. Elle introduit volontairement des éléments étrangers à notre territoire intérieur pour ne pas favoriser notre repli-sur-soi. Moi est une terre. Mais il est en friche, le sol sur lequel rien n'a été planté. La terre est dans l'attente qu'on y sème. La culture fait sortir "le moi" de l'état végétatif diversifie, comme, en introduisant de la matière étrangère dans le terrain minier disponible qu'est le "moi", la culture fait diversion. La diversion est nécessaire à ce que le "moi", sortant du repli sur soi, rentre en amitié avec soi. (On voudrait souvent conseiller à qui gamberge de penser à des généralités pour ne pas être obsédé par ses soucis particuliers. Mais qui gamberge est inaccessible à de tels conseils. C'est ce qui fait croire à des esprits superficiels que le dépressif est un égoïste, quand ce n'est qu'un esprit préoccupé.) La matière étrangère devient la matière première. C'est tout bénéfice pour celui qui s'accroît de se cultiver : car le "moi" est fait pour recueillir de l'autre. De nature, il est un contenant du monde dont le potentiel explicatif s'accroît avec la conscience que prend le "moi" qu'il doit reconnaître le monde, comme ceux qui furent introduits dans la terre promise au livre des nombres. Le "moi" doit partir en repérage. La culture, c'est du cinéma et c'est un voyage intérieur. La connaissance affirme par la voie de l'étymologie qu'on naît à la vie est relation ; la connaissance est l'objet de la culture ; à la base de la connaissance, est une transitivité relationnelle. La culture de soi fait entrer le "moi" en relation, et le moi est fait pour la relation comme dieu est société. (5) pour l'implanter d'une végétation qui le (avec ou de) ce qu'on découvre. On naît moins à ce qu'on découvre que ce qu'on découvre ne nous fait naître à nous-mêmes. En un sens, la culture n'est pas indispensable à la vie : mais
Cette "culture de soi" prospère par irrigation de la mémoire, domestiquée sur le fond de solidité d'un sol où ancrer, enraciner, implanter notre être au monde en qualité de présence, amitié avec soi et bonheur d'"être là" dans l'"être avec" (au sens heidegherien), comme une promesse de fertilité entre travail et jachère. Ce bonheur d'implantation est une écologie personnelle, le malheur voulant qu'à l'heure même où surgit cette conscience au plan mondial et collectif, l'écologie ne soit tellement plus implantée dans la nature que nous ne l'identifiions plus à l'agriculture, au contraire : l'écologie traite les agriculteurs de pollueurs sans jamais dénoncer l'esclavage des animaux... L'écologie s'est retournée contre l'agriculture. Le fait est que nous avons rendu l'agriculture industrielle et que nous ne crions pas "au viol" lorsqu'une jument se fait attacher et inséminer de force par l'étalon, tandis qu'à peine son poulain est-il né qu'il se voit baguer pour être un badgé obéissant par "principe de précaution" aux impératifs de la traçabilité. Le poulain nouveau-né est enregistré au registre des équidés, comme nous serons bientôt équipés d'une puce électronique pour pouvoir émarger à tout instant et être suivi où que l'on aille, d'une puce qui nous fera la police et la guerre dans notre tête :
"Tempête sous un crâne, skull and bones", Mais "ceci est une autre histoire" comme dirait le Persan : l'histoire de "la guerre des puces" ou la nouvelle "guerre des boutons", la nouvelle barbarie des enfants qui ne sont jamais morts de faim, mais se tuent dans les jeux vidéo parce qu'ils croient disposer de trois vies...
2. De la fonction secondaire de la culture assimilable au rôle que joue le secteur industriel dans le registre économique, résulte l'accumulation du capital culturel : caractère cumulatif de la culture dont le patrimoine équivaut en aval à la civilisation, conçue en positif comme une manière de faire cause commune de nos différents droits de propriété, voire de nos différentes propriétés (au sens mathématique et additionnel du terme), mais sans "destination universelle des biens" - La civilisation est clanique -. De même que la culture est cosmopolite de naissance, la civilisation est une sorte de mutualisation des brevets à l'échelle d'une communauté d'identité. Le brevet est la récompense de l'inventeur, c'est-à-dire de celui qui est allé au plu loin de la culture de soi. Mais l'accumulation culturelle et civilisationnelle, outre qu'elle multiplie jusqu'à l'indigestion le processus vassalisant de production et de consommation, en sorte que nous ne sommes plus que les ventres mous de nos biens, débouche en amont sur le culte de l'outil, premier avatar d'une idolâtrie dont l'écologie déconnectée de la nature et de l'agriculture n'est que la face secondaire déjà dématérialisée, et comme anticipant la numérisation - la culture s'oppose à la nature et l'environnement est à celle-ci ce que la société est au monde -. Car la culture, pourtant apparentée à l'évolution avec laquelle elle a très fortement partie liée à cause du rôle prépondérant que joue l'arbitraire dans l'une et dans l'autre, s'appréhende cependant moins en fonction de son résultat, le produit culturel, qu'elle ne sert de limon, comme condition de la civilisation - et c'est la civilisation qui mène à l'outil - à une perversion religieuse - la religion descend d'un étage quand elle s'immoralise dans la culture, qui prend le fait d'"avoir de l'esprit" pour de la spiritualité. La religion s'immole à la culture alors que la culture est inculte - : l'origine de cette perversion religieuse inoculée par la culture ne doit pas être recherchée dan la fonction primaire de la culture de soi, où le fait de tracer un sillon cheminal ne répond qu'à la nécessité oraculaire de faire la part de la transe prophétique apollinienne, qui a besoin d'imposer sa construction délirante et destinale - la culture dit la bonne aventure - : par délirante, il faut entendre ici ce que comporte de nécessairement invérifiable tout référentiel religieux quand il se prend pour référent de vérité : mais on peut parier avec Nerval que ce qui pourrait passer pour délirant sur le plan de ce que nous appelons la réalité pourrait très bien exister sur un autre plan et qu'il n'est pas un rêve, que ne traverse un inconnu, qui ne signale cet inconnu dans un arrière-monde, dont nous sommes l'observateur imperceptible à notre insu. Chacun qui se cultive n'aurait qu'un pronom à changer pour confondre la voix de Dieu avec celle de sa conscience et transcrire le message instinctif qu'il en entend en message pour le monde. N'est-ce pas l'une des bases du déisme de Rousseau quand il pousse ce cri d'exaltation :
"Conscience, conscience, instinct divin" ?
La religion ne reconnaît pas cet instinct. Elle ne veut pas assimiler instinct et Révélation. Elle veut se réserver le discernement des intuitions. La religion n'entérine pas les messages issus de la subjectivité voyante d'une culture de soi qui change son pronom et, au lieu de ne faire qu'accumuler de la matière étrangère, entend s'exprimer au nom de l'étranger. La religion ne veut pas confondre mythe et Révélation. La vitalité du mythe se régénère en dehors d'elle. Entre mythique et mystique, l'(s) de différence est la caution d'un corps de fidèles qui ne veut pas devenir un corps de ballet et qui laisse la culture s'opposer à la nature pourvu qu'elle ne l'oblige pas à faire, de son côté, beaucoup de cas du surnaturel. La culture est l'état de société, la religion l'état de corps des âmes. La religion n'aspire à rien tant qu'à être naturelle, n'était que cette aspiration serait la fin de l'état de Grâce...
La perversion religieuse issue de la culture ne saurait donc être imputée au fait que celle-ci donnerait licence à l'instinct, quand la religion se méfie à ce point du surnaturel... La culture peut donner toutes les licences qu'elle veut : la religion la déclare licencieuse et se moque de la suivre en ses voies. La perversion commence en revanche lorsque la culture se tourne en religion, sous prétexte qu'elle serait le tronc commun des références qu'accepterait le monde ; et, lorsqu'on demande à ses références de présenter leurs lettres de créance, on ne peut que constater qu'elles sont forgées par l'arbitraire. Mais l'arbitraire culturel est très facile à démasquer : l'arbre culturel ne se donne même pas la peine de démentir qu'il est une fleur artificielle, achetée au magasin d'écriture et plantée comme un greffon dans un jardin suspendu -La culture est mondaine -. En somme, cette perversion religieuse émanant de la culture primaire ne serait presque rien. La culture peut présenter sa version sécularisée de l'histoire à laquelle la religion reconnaît encore à peine un caractère providentiel. Tout contenu de Foi émane d'un référentiel arbitraire, qui se reconnaît presque comme tel lorsque la religion affirme que "la foi est un don de Dieu". La différence entre l'arbitraire de l'arbre culturel et l'arbitraire des articles de Foi religieuse - La Foi s'énonce en articles comme une loi - en ce que le premier est réduit par le second à une prétention poétique alors que le second, qui se veut prophétique, introduit une proximité immédiate de "la loi et des prophètes". La tendance innée de la religion est de donner le pouvoir législatif au prophétisme. La culture trouve dangereuse cette dérive théocratique, et la laïcité est moins sa perversion qu'un rempart de l'obscurantisme rationaliste contre l'illuminisme religieux débridé. La laïcité est d'autant moins une perversion qu'elle ne peut "contenir la religion dans la sphère privée", mais seulement empêcher qu'elle s'édicte comme loi à ceux-là compris qui n'y adhèrent pas de toute leur liberté intérieure.
La culture elle aussi adore ses aphorismes. Elle dresse des stèles a ses héros et aux hérauts de son spicilège de maximes, de proverbes et de sagesse : la culture a ses saints qu'elle place directement au panthéon - La culture est salement aristocratique -, elle a aussi ses scribes atteints de psitacisme : ce sont les intellectuels-perroquets d'aujourd'hui, descendants des scribes de jadis qui, dans "la maison d'étude" qu'on appelle aujourd'hui l'Université, ressacent ad libitum les gigantesques pensées de ses grands morts. Les intellectuels sont confits en érudition comme on dit les gens d'une Foi de charbonnier confits en dévotion. La culture s'adonne donc à son propre commentaire bien qu'elle n'ait pas été révélée. Ce faisant, elle s'introvertit, là où la religion fait retentir un appel à la conversion. Mais, là où la perversion par imitation s'accentue et s'aggrave, c'est lorsque la culture, en plus d'adorer son résultat, se met à adorer l'outil qui l'a produit. Les accusations d'idolâtrie pleuvaient sur ceux qui adoraient les statues ; on n'avait pu imaginer que l'homme en viendrait un jour à se prosterner devant son outil. Les preuves de cette prosternation quotidienne abondent : le support l'emporte tellement sur le message que celui qui veut simplement l'utiliser au mieux doit passer ses soirées, au lieu de se cultiver grâce à lui, à se cultiver à propos de lui : au lieu de lire des livres, s'il ne veut pas être dépassé, l'usager du support usuel doit lire des revues qui l'entretiennent de son outil. Autour de la machine à café, on ne parle plus que machines. L'usager de la techniquele secret de fabrication, au point que celui-ci pourrait bien se perdre, et la science connaître le destin des langues mortes. ne se rend pas compte qu'il scie la branche sur laquelle la science est assise, parce qu'il devient tellement bon utilisateur de son outil qu'il ne lui vient pas à l'idée d'en chercher
Mais le culte de l'outil s'avoue surtout en ceci que, dans la plus intelligente régression de la Révélation que l'homme ait jamais pu imaginer et qui s'appelle la préhistoire, laquelle foscilise ce qui n'a été attesté par aucune trace écrite, on a forgé une genèse à l'outil : on a parlé de découverte de l'outil. Remarquez bien qu'on ne dit pas que l'ustensile a été inventé : on en parle comme d'une découverte, comme si l'homme avait jamais pu se passer de l'outil. (6) Mais tant de dévotion nourrit son athéisme : la machine "bugue" trop. Le comble de la subversion et de l'introvertion culturelle est atteint lorsque, par aversion réversive, l'outil naguère adoré devient abhorré, parce qu'à l'origine de cette révolution (dite industrielle), il y avait eu ce déréglement par lequel la culture s'était prise pour objet, oubliant l'homme qui en était, sinon le sujet ou le destinataire, au moins l'agent dans la fonction primaire de la culture de soi : c'est un artisan qui, le premier, produisit la machine agricole. L'homme omis, absenté, comme desservant de la nature servi par celle à laquelle il produisait tous ses soins ; l'homme éclipsé, délaissé, de trop, la culture s'est d'abord tournée vers l'outil, son moyen de production, pour l'adorer ; et puis, lorsqu'il est apparu qu'une saturation pouvait s'ensuivre de l'apparition incessante de nouveaux biens de consommation sur le marché (nouvelle survivance du monde agricole), la culture s'est retournée contre l'outil en n'en continuant pas moins d'oublier le récipiendaire humain de toutes ces productions, qui n'ont que dans le génie humain trouvé le secret de leur invention. La culture s'est souvenue qu'elle était l'opposée de la nature et l'écologie urbaine, qui ne connaissait des herbages que les vertus hallucinogènes des herbes et qui n'était même pas herboriste au point de les employer en rebouteuse à des fins phytothérapeutiques - L'écologie n'aime pas la médecine naturelle -, après s'être promue un retour contre nature à la nature au point de ne plus y reconnaître l'esclavage des animaux - L'écologie n'est pas naturaliste -, n'a plus éprouvé de pitié pour les hommes mourant de faim, mais s'est émue du sort de la planète saccagée par l'Outil, épuisée d'être alimentaire. Au bout de la perversion religieuse de la culture, la terre est devenue l'objet de toutes les vénérations d'un homme humilié, homonyme de l'humus, écrasé par sa production et qui, comme primait la fonction secondaire de la culture sur la culture de soi, n'a plus eu le réflexe primitif d'avoir les pieds sur terre et la tête dans les étoiles : il n'a plus su se guider aux étoiles ; il n'a plus su, les bras m'en tombent, lever les yeux au ciel, mais a baissé la tête jusqu'à enfouir ses flancs dans sa matrice, comme s'il voulait revenir en Mère pour "baiser la terre", s'ensevelir dans le deuil inconsolable de son enfantement et de sa terrible enfance jusqu'à la mort du langage (l'enfant, infans, est celui qui ne parle pas). Il a fait de la sépulture le seuil de son homminisation (et prétend aujourd'hui que c'est parce qu'il voyait dans le geste d'enterrer ses morts un sentiment d'immortalité).
3. Or Le machinisme à son tour nous a dégoûtés de l'industrie : ce que nous venons de décrire de la suprême inversion du religieux dérivant d'un "désir du ciel" à un culte incestueux de la terre-mère n'est que la conséquence de ce dégoût, doublée de la tendance naturelle de l'industrie à se passer de l'homme pour fabriquer à la chaîne des produits manufacturés, et bientôt à se passer de produits manufacturés au seul bénéfice des échanges numériques, la substitution de l'offre virtuel à l'offre réelle anémiant moins la terre qui, non seulement s'épuise en ses ressources, mais demande à être réanimée depuis que les moissonneuses-batteuses employées par l'agriculture industrielle la battent et lui font subir harcèlement et violences. La fin de l'ère industrielle prélude l'avènement triomphal du secteur tertiaire (ou des services) dans l'économie des pays dits développés. Il en va de même de l'évolution culturel où le développement personnel des "chacun-pour-sois" est encouragé à plonger dans la conscience transpersonnelle du grand "Soi"
(1. La connaissance du "Soi" prend le pas sur la connaissance de soi.
2. Le grand "soi" a perdu l'"r" final qui en faisait "le grand soir" (le grand tout n'est plus le grand tou(r (de roue)... ou de la révolution)parce que, dans une ère où le "travail" n'est plus perçu comme une "valeur en soi", vision qui était commune au dirigeants du capitalisme et aux penseurs du prolétariat du fait qu'il fallait bien pourvoir aux emplois d'utilité publique et de nécessité sociale, (7) indépendamment du fait que le "travail" vient du "tripalium" et que :
"Tu travailleras à la sueur de ton front" était la punition masculine faisant couple avec :
"tu enfanteras dans la douleur", punition féminine, une lecture simplement économique du monde est apparue de plus en plus spirituellement insuffisante
3. Le transpersonnalisme fait le lit de l'individualisme. L'"ego" plongeant dans le grand "tout" croit se laver dans le "tout à l'ego", et ce au moment même où il affirme faire le vide : on ne peut faire le vide au point de supprimer l'avidité. L'homme ne peut faire le vide parce qu'il est né conditionné et que ce conditionnement est un remplissage, à défaut qu'avoir une "condition" procure à l'homme un sentiment de plénitude).
En fait, il est prématuré, voire ilusoire de décréter la fin de l'ère industrielle : il ne sera jamais au pouvoir de l'homme de rien produire où il n'ait mis la main, si peu que ce soit. On ne peut observer qu'une accélération de l'influence du machinisme qui "rationalise", "restructure" et miniaturise la production en la délocalisant au gré des exigences de dividendes des rentiers, qui sont appelés actionnaires en proportion inverse, non de l'influence qu'ils exercent par leur désir d'avoir, mais de l'effort (nul) qu'ils fournissent par leur savoir-faire ou leur savoir-être, qui ne consistent qu'en sautes d'humeur : Mais ces sautes d'humeur répercutées en temps réel par le taux de change sont devenus l'instrument de mesure du moral du monde, et cela même est amoral... Les machines prétendant rationaliser la production, si l'intelligence est l'organe de la culture, l'intelligence artificielle est devenue celui de la culture postindustrielle, informative et qui se voudrait fonctionnelle, à la manière des objets très bien pensés, mais qui ne fonctionnent pas, du cinéma de Jacques Demy... (L'intelligence artificielle est devenue l'organe de la culture numérique, et c'est désormais elle qui nous pose les questions... Elle ne produit pas qu'une "poésie assistée par ordinateur" : elle nous tient lieu de philosophie, puisque c'est à ses seules interrogations que nous sommes désormais sommés de répondre, et c'est ainsi que le système de la SNCF qui a "bogué" aussitôt né s'appelait Socrate, nom d'un marron d'Inde... La culture générée par l'intelligence artificielle ne saurait être immatérielle et qualitative puisqu'elle est numérique et, partant, quantitative.) Cette fonctionnalité de l'économie de services a besoin, pour être mesurée, de fonctionnaires qui décrètent des normes de qualité à l'élaboration desquelles on les occupe et dont l'homme est le grand Oublié. A cette omission de l'homme en tant que sujet de la culture ne pouvait manquer d'aboutir la philosophie du sujet. Dans l'élaboration des standards, l'homme est sondé comme usager des produits et services qui seront moins rendus à sa personne qu'à son pouvoir d'achat, l'homme ayant certes perdu l'usage du monde... Mais on ne s'intéresse à l'avis du sondé qu'eu égard, moins à son expertise qu'à la qualité du serviceà sa personne, mais à condition que celle-ci soit, par impossible, elle aussi standardisée au casier humain. Au stade antérieur à la recherche de la qualité du service, celui de la recherche de la qualité du produit qui reste complémentaire de sa production en quantité, l'exercice consiste désormais, de la part des usines à qui en est sous-traitée la fabrication, à établir avec le client qui n'est pas le producteur de la denrée comme affirmé, mais le revendeur à l'enseigne duquel celui-ci est diffusé, enseigne qui n'est qu'un intermédiaire entre le producteur et le consommateur, la liste des défauts acceptables, voire des défauts souhaitables en qualité de trompe-loeil qui feront croire que ce produi est artisanal, manufacturé, l'objectif étant de veiller à ce que, quoi qu'en dise l'écologie, la durée de vie d'un produit n'excède jamais une certaine durée, afin d'obliger l'acheteur à revenir se fournir sur le marchéé... L'homme est devenu quantité négligeable au terme de la marchandisation et dans la recherche du service à lui rendre comme à un produit, à l'apogée du machinisme où la machine n'est plus outil, où la culture n'est plus intelligente, ou dont l'intelligence est à ce point artificielle qu'elle rend la culture totalement contre nature, opposition que la culture portait en germe, par l'opposition dialectique qui a toujours existé entre la culture et son "état de société" d'une part, et "l'état de nature" d'autre part : il n'était donc pas accidentel que la culture se fondît dans la société, car tel était son destin, et c'est bien lui qu'elle accomplit à travers l'émergence de cette troisième fonction de la culture qui en fait une entité abstraite : la première aurait pu l'assimiler à l'Etat puisque "l'Etat, c'est "moi", dans l'absolu ; la deuxième à la civilisation et la troisième à la société, en tant que la societe est le monde, abstraction faite de la personne. qu'on dit vouloir rendre
L'homme est devenu quantité si négligeable, disions-nous, dans cette économie culturelle que l'accélération de la révolution des transports ne lui a pas profité. On aurait pu croire au contraire que l'accélération de la révolution des transports profiterait concuremment à "la circulation des biens" et à celle des personnes, comme était censé le souhaiter le libéralisme économique du ("laissez-passer, laissez-faire", d'autant que "la liberté d'aller et venir" était un des droits de l'homme. Mais qu'allait-on s'encombrer que l'homme fût du voyage s'il était avéré que la culture était la religion en pente douce qui avait pour fonction de l'évacuer dans le "tout à l'ego" de l'individualisme sans cultures vivrières ? Poursuivi jusque dans ses poubelles, l'homme s'est cru un déchet et par le fait, il est allé se confirmant que, les biens étant décidément capables de beaucoup plus de mobilité que les personnes, d'autant plus s'ils étaient dématérialisés, mieux valait ne dédier la révolution des transports qu'au profit des biens, les hommes pouvant attendre ; ou pouvant être déplacés si les biens en exprimaient le besoin pour être produits à moindre prix de revient, c'est-à-dire si l'administration rationalisant la production des biens s'avisait que ceux-ci gagneraient à être produits sur tel site plutôt que sur tel autre plus imposé - L'économie joue au casino. -, parce qu'ils seraient produits à moindre coût. visant leur dématérialisation, la production des biens fut aussi délocalisée. Mais, par l'économie de fonctionnalité qui voulait éviter de consommer du kérozène, il fut disposé que les hommes se tiendraient au plus près de leur lieu de travail pour ne pas polluer, si les biens pouvaient, eux, se décentraliser, ce qui était un subterfuge de la nouvelle pensée dominante à la mode qu'est l'écologie politique, promotrice de (ou qui a inventé) l'économie de fonctionnalité, non pour faire manger des tomates du jardin aux citadins quasi riverains des potagers, mais pour que la main d'oeuvre fût disponible à vil prix à l'endroit où il coûtait le moins de produire, tandis que les produits vivriers seraient exportés vers leurs viviers de consommation fortement bénéficiaire, quitte à ce que les famines sévissent là où on en aurait assuré la récolte.
- 1. Et avec cela que l'home africain ne serait pas entré dans l'histoire.
2. Dans l'orthographe d'usage français, les mots commençant par "af" en comportent tous deux sauf "afin et "Afrique". L'inconscient orthographique, sous-classe de l'inconscient sémantique, souffre cette exception pour attirer l'attention sur le fait que l'Afrique a faim. -
De la sorte, dans les rares cas où l'on ne pouvait s'abstenir de déplacer de la main d'oeuvre qui devrait à terme accepter d'être rémunérée aux conditions du pays d'importation (directive Bolkestein poussée d'un cran : le plombier français payé en Pologne aux conditions de la Chine...), les pays anciennement "développés" étant à peu près intégralement désindustrialisés, en maintenant dans le cas général leurs populations chez elles, croyaient prévenir les désordres qui accompagnent toujours les déplacements de population. Mais, alors que ces pays sont en voie de tieirs-mondisation à la suite d'une désindustrialisation dont la restructuration est rationnalisée inhumainement (comme, par exemple, dans le secteur de la santé), les habitants affamés des bidonvilles pour lesquels s'agitent les Organisations Non Gouvernementales (comme par hasard...) qu'on appelle de moins en moins de leur ancien nom d'"associations humanitaires", dépouillés quant à eux de leur produits vivriers, ne sont pas détrompés de trouver des El Dorado dans ces pays qui se démembrent. comme une machine que l'on démonterait, le monde, dirigé par la machine, restructuré par l'intelligence artificielle, c'est le démembrement universel. Ces pays du Nord complètement déboussolés d'être désertés de leurs usines n'accueillent vraiment, ni ne rejettent cette main d'oeuvre dont ils n'ont plus besoin, mais dont ils espèrent secrètement qu'elle paiera leurs retraites, pour le cas devenu tout à fait utopique où le plein emploi serait rétabli, dans un monde immatériel qui n'a plus besoin de "la force de travail" des hommes, dans l'angoisse où sont ces pays qui ont perdu jusqu'à leur sève spermatique que leurs pyramides des âges en viennent inéluctablement à inverser le nombre des actifs pouvant assurer l'entretien des "inactifs" après plus de quarante ans de bons et loyaux services. Pour exemple de l'accueil sans accueil qu'on réserve aux immigrés qu'on laisse pousser comme ils peuvent dans le jardin qui n'est plus entretenu de la société qui n'est plus cultivée ou du monde d'après la politique, dont on peut rappeler qu'elle était un attribut de la culture de soi : tandis que nos bureaucraties instruisent la demande d'asile de ces nouveaux arrivants considérés comme des clandestins tant qu'ils n'ont pas obtenu ce droit, la législation met ceux-ci dans l'obligation de participer à l'économie informelle en leur interdisant de travailler. L'administration est un monstre froid qui n'aime pas que l'on froisse ses papiers. Et c'est ainsi que la bureaucratie plonge de fait l'immigration dans la délinquance. Les pays anciennement industrialisés ne sont pas à proprement parler immigrationnistes, mais la régulation mondiale fait une exception à la non circulation des personnes pour ces immigrés désoeuvrés des antipodes, pour prévenir les désordres démographiques résultant d'une inéquitable répartition de la population à travers le monde, du vieillissement des pays riches infertiles et de l'incroyable fertilité des pays pauvres, non pas improductifs, mais dont le fruit du travail est pillé. En dehors de cette exception, la plus grande célérité de la révolution des transports des biens, mais à plus forte raison des services sur celle des personnes, a eu pour effet de faire préférer faire voyager les premiers plutôt que celle-ci- à l'exception des immigrés menés en bateau - quand on croyait que rien ne résisterait aux ailes des avions... - et, autant l'on s'habitua à considérer comme un bien que les biens fussent disponibles par tout le vaste monde (internet au burkina Faso où l'on n'a pas toujours de riz), autant on commença à trouver mauvais que les hommes pussent migrer à loisir. On ne considéra plus les migrations comme un phénomène inéluctable du fait de la révolution des transportset des ailes de l'aviation. On n'en fit plus un atout ni une source d'enrichissement mutuel. La migration des biens devint une source d'enrichissement, tandis que la migration des personnes fut perçue comme une source d'ennuis, étant réputée entraîner un appauvrissement général, tant de ceux qui partaient que de ceux qui ne savait plus offrir leur hospitalité à ceux qui venaient compenser la perte de leurs actifs pour payer leurs retraites (et sauvegarder la retraite par répartition). - Car une population qui a laissé se transformer la culture de soi en danses de salons, "pièces à vivre" devenues téléphages depuis qu'elles ne sont plus" les derniers endroits où l'on cause" et qu'on n'y pratique plus "l'esprit de conversation", est irrémédiablement tirée vers le vieillissement : quand on ne se cause plus, avachis devant le poste, comment peut-on se faire la cour ? Et, quand on ne se fait plus la cour, on ne se baise plus non plus, bien qu'on soit étendus ensemble sur le sofa -. On n'avance plus qu'à pas feutrés que les voyages forment la jeunesse. Il faut bien soutenir un monde qui devient vieux. Les pays anciennement "développés" et qu'on a dépouillés de leur industrie après qu'on n'y a plus pratiqué l'agriculture que sous conditions de quotats drastiques, qui ont fait jeter du lait ou exterminer des bovins alors qu'ailleurs, on avait besoin de viande et de calcium, ont commencé de se tiers-mondiser, sous l'action cumulée du pullulement, du chômage pour lequel contenir, on occupait des fonctionnaires employés à ne rien faire que pondre des normes destinées à entretenir l'exaspération du quidam, et de la progressive mise sous tutelle du citoyen-administré par cette bureaucratie (en France, on compte un million de majeurs protégés, vivant en pratique sous un régime de semi-liberté). Paralysé, le citoyen comprenant bien qu'on le conduisait "aux portes du pénitencier", demandait "grâce", mais il était poursuivi jusque dans ses poubelles comme les Tchétchènes "jusque dans les chiotes". On en obtint la résignation. Il finit par intérioriser, sinon qu'il était un déchet, du moins qu'il avait besoin du recours à un tiers pour arbitrer les élégances de sa vie, à un tiers pour se faire goaler ("à mort, l'arbitre !"), tant il se sentait de trop et en tiers dans toutes les décisions qui le concernaient et qu'on prenait en ses lieu et place.
Mais la tiers-mondisation des pays anciennement développés obéit encore à un autre facteur : à la dénatalité consécutive au fait que qui ne se fait plus la cour ne se baise plus, ou avec tellement de contraseption qu'une femme à qui il arriverait d'avoir un polichinelle dans le tiroir (ou qui tomberait enceinte, sic) serait traitée, non de traînée personne inconséquente et avec à peine moins d'opprobre que les filles-mères de jadis ; à cette dénatalité qui n'assure plus le renouvellement des générations des pays anciennement "développés" et en voie de tiers-mondisation, il s'ajoute que, si par miracle, Polichinelle, passant tous les filtres qui ont programmé sa perte (La culture ne fait pas qu'évacuer les hommes de manière symbolique), a pu parvenir à terme, l'Education Nationale va inculquer à cet enfant que, vivant sous un régime de médiocratie démocratique et médiacratique, il devrait rechercher pour son avenir les avantages et le confort de "la voie du milieu" et de "la sécurité de l'emploi" dans ce monde de flexibilité devenu insécure : c'est-à-dire qu'il ne devrait pas se fatiguer à devenir médecin (de toute façon, le "numerus clausus" ne le permettrait pas : ce serait creuser le trou de la sécu), ni s'esquinter à travailler dans le BTP... L'administré mis sous tutelle se sent tellement paralysé qu'il devient simple spectateur, et il consent à son fauteuil. Sa position de spectateur dans un fauteuil qui n'est plus d'orchestre, l'a progressivement amené à avaler toutes les couleuvres médiatiques que "les intermittents du spectacle" qui dirigent l'administration de celui-ci, ont bien voulu lui préparer à dîner pour "la grand-messe du 20h". On lui fait prendre le commentaire pour le fait, le fait divers pour un événement politique, l'agitation des politiciens-polichinelles pour de l'ars politica et sa passivité à lui, citoyen-spectateur inengagé avide d'images non cinéphiliques, pour de l'action sur le terrain. On lui inculque que sa passion pour la variété, pour le divertissement est d'intérêt national et mondial, surtout quand il donne aux "enfoirés", à Bernadette Chirac ou pour Haïti. On lui fait remplir des tire-lires de pièces jaunes à distribuer à l'ancienne première dame de France grimée en Péguy, la cochonne, qui ramasse les cochonnets, et en perdrix-malendrine qui se remplit le tiroir-caisse, tandis qu'on fait écouter au citoyen s'égosiller des pies qui chantent, des chanteuses à voix qui n'ont que du coffre comme d'autres ont un coffre-fort... On l'invite à se passionner pour la vie fauchée par quelque bandit sexuel de telle malheureuse petite inconnue à laquelle il n'eût pas prêté attention si elle fût demeurée de ce monde, mais qui, "VU(E) DU CIEL", non par Yann Arthus-Bertrand, mais par Christine Angot, prend soudain une autre consistance. L'héroïcité de la vie d'une petite martyre est, pour ces voyeurs imbéciles et dégénérés, rehaussée d'avoir été violée par un fou. Dans cette moelleuse confusion mentale où s'assoupissent les sens critiques de ces administré enlisés jusqu'à ne plus être les acteurs de leurs vies et exaspéré sous les justificatifs à fournir pour percevoir leurs allocations, ces assistés sociaux, dont on voudrait faire des "allocataires heureux" et qu'on n'en continue pas moins de flatter du noble nom de "citoyens" en leur versant leur "crédits d'impôt",les intermittents du spectacle" qui s'agitent comme des pantins sur les plateaux que, par comble d'indignation, il leur arrive de quitter. Nos "consommateurs d'opinion" en sont venus à la fois à confondre la révolution avec la foire et à croire qu'elle consistait dans ces assauts de colère aussitôt réprimés qu'enflammés ; que la révolution, pour devenir permanente, se doit d'être intermittente ; que la révolution enfin était l'apanage de "la culture" et la seule expression qui fût digne d'elle. seule en vint à compter l'opinion des artistes parce qu'ils constituaient l'administration du spectacle dans l'antichambre de laquelle venaient quelquefois se gondoler les politiques, ces autres professionnels de l'agitation. La conviction s'enracina, serinée par ces artistes engagés, que "la culture" était à la fois la propriété du spectacle et ne pouvait désirer que dans une direction univoque. (8) Ce désir unidirectionnel de "la culture", qui n'a rien de commun avec l'amour, lequel ne marche dans la même direction que ce qu'il aime que parce qu'il a choisi de faire direction commune (alors que la culture est, rappelons-le, la propriété monopolistique de l'administration du spectacle), fait profession de liberté d'expression, quand même le milieu du spectacle qui a squatté les plateaux télé ne fait plus valoir qu'un seul point de vue, qui s'est approprié le labelle de "culturel". Le spectacle s'est octroyé le monopole de la culture. Ainsi, peut-il arriver fréquemment que "l'actualité soit passée au crible de la culture" (comme Frédéric Taddeï désigne ses "ce soir ou jamais" du mardi soir), non seulement parce que les journalistes aiment bien inviter "les intellectuels", commentateurs du présent beaucoup plus qu'ils ne sont gens de toge, mais parce qu'en violation complète des lois sur le monopole et sur "la concurrence libre et non faussée", "la culture", qui n'aime pas la concurrence des idées - La culture n'est pas libérale. -, s'est autoproclamée maître de l'Aujourd'hui en confisquant l'adjectif de "contemporain" dès lors qu'il deviendrait l'épithète de "l'art". - La culture défie d'être contemporain qui n'est pas de son temps -.De même qu'il y aurait un "sens de l'histoire", il y aurait un "aujourd'hui de l'histoire de l'art" dont, si l'on refuse les règles, on n'est pas un artiste d'aujourd'hui, quand bien même ne vivrait-on pas d'hier. Ce n'est pas une opinion admissible que celle qui ne veut voir que des dessins d'enfants dans les gestes de cet art sans dessein autre que le geste de l'artiste, qui écrit certes des légendes pour expliquer ses installations, mais malheur à qui ne veut pas entrer dans la légende et souligne un peu trop bruyamment qu'un geste n'est pas de l'art et que l'épopée est une geste : derrière cette différence de genre, se cache la féminité de l'art, qui répugne à être éphémère comme la femme veut garder l'enfant, garante de continuité : mais l'"art contemporain" croit avoir fait un saut qualitatif en s'affranchissant de la postérité. Être légendaire pour un artiste contemporain, ce n'est plus qu'écrire une légende. L'art contemporain serait plus proprement appelé "un art conceptuel", confirmant par là la primauté de l'abstraction sur l'objectalité. Au point de départ, caractérisant bien ce passage de "la culture" de son ère secondaire à son apogée tertiaire, l'art contemporain est né de la compression des objets. Il s'est borné plus modestement par la suite à en organiser le détournement. La "compression des objets" avait exprimé trop brutalement ce, non pas que visait, mais à quoi aboutissait la culture : le culte de la structure favorisant "la mort du sujet" que devait suivre la mort de l'objet, favorisée elle-même par la dématérialisation des biens, s'accordant à la nécessité de ne pas épuiser la terre. Déperdition de l'objet sous le regard hagard d'un "sujet" restant coi : il était naturel que l'art contemporain se définît comme un dépassement du sentiment esthétique. L'art contemporain est triplement emblématique de la culture : vol du temps, univocité de la réponse à l'histoire, désobjectivation spectaculaire, il contient en lui tous les ingrédients qui ont transformé "la culture" en son dernier avatar de transparence aux choses, envisagées selon le déterminisme d'un certain esprit. cette évolution de "la culture" appréhendant avec gourmandise le phénomène comme le seul article (sic) de Foi rend très exactement compte de l'évolution sémantique qui a fait passer la transparence de la perméabilité à l'invisibilité. (Quand on dit de quelqu'un qu'il est "transparent", on veut dire qu'il est "invisible"). La culture ne vise plus rien que cette insensibilité de l'instance énonciative. Posons-nous simplement la question : comme autrefois, mais de se laissent gagner peu à peu aux colères dont se fendent régulièrement "
"L'art contemporain est-il un art populaire ?"
La culture déclare cette question nulle et non avenue, car Poussée dans ses retranchements, "la culture", qu'elle adopte la forme "art contemporain ou "théâtre subventionné", finit par avouer qu'elle peut se passer du public. Il s'agit pour "la culture" d'éduquer le peuple au mépris du fait que ledit peuple fréquente ou non ses musées, se retrouve ou non dans ce qui lui est présenté plus que proposé ou exposé. Le peuple n'est passible du tribunal correctionnel (version moderne des ex maisons de redressement) que s'il conteste le rôle de vigie dont s'infatuent les avant-gardes - La culture est avant-gardiste -. Le peuple peut bien déserter les musées où sont exposées les oeuvres d'un art de gauche qui n'a pas besoin de la caution ouvrière pour éclairer cette classe et se réclamer d'elle, il peut bien aussi ne pas se retrouver dans les monologues inférieurs absurdes de l'ennuyeux théâtre contemporain à qui il fait grief de ne plus lui raconter d'histoires : pourvu que les oeuvres soient exposées et que le répertoire du théâtre contemporain soit joué sur des scènes mécénées, fût-ce par les "trusts" détestés du "grand capital impérialiste", fauteur de tous les troubles sociaux, mais qui cachetonne avec libéralité libérale ceux qui les dénoncent (bien qu'il y ait des "artistes précaires"pour manifester que le marché de l'art n'est pas ouvert et n'a rien d'officiel), le témoignage des avant-gardes est assuré - La culture est de témoignage -. Les avant-gardes doivent témoigner, non de leur savoir-faire un thème grec, mais de leur interprétation très certaine du monde. Si le témoignage des avant-gardes est assuré, le Grec est sauf : le peuple n'a qu'à bien se tenir, il est cultivé ! Il peut retourner à sa serre télévisuelle. Car les saltimbanques de "la culture d'avant-garde", qui se sont certes changés de cracheurs de feu en "cracheurs dans la soupe" (cf. Bertrand Quanta bavant sur les majors, mais produit par Pascal Nègre, ou les salariés de "canal plus", manifestant brièvement en 2002 lors du débarquement de Pierre Lescure, remplacé par Xavier couture, transfuge de tfi, et puis estiman Bertrand Méheu dont ils avaient commencé par faire une marionnette aux "guignoles"), sont financièrement supportés par ceux qui font "de la culture en tubes", qui farcissent les crânes des masses de quelques milliers de mélodies infredonnables dont on a une "play list" dans sa tête, et qui sont langoureusement et rituellement rythmées. Si on ne peut pas chanter ces tubes, quand on ne les danse pas frénétiquement sur les pistes estivales des "boîtes/cercueils des oreilles", on se les siffle, la bouche en cul de poule, pas en coeur, devant la machine à café où l'on parle comme à "cameracafe"...
EPILOGUE
On pourrait croire que ne trouve en rien grâce à nos yeux cette "culture de masse" assaisonnée par l'administration du spectacle aux téléspectateurs en intermittence de somnolence. Ce serait ne pas nous faire crédit de voir les germes sous les puces, malgré l'insupportable univocité du système culturel. ce que nous n'apprécions assurément pas dans cette dépravation de la culture dans l'intermittence est l'idée latente sous ce terme qu'ou bien "la culture" ne devrait être qu'un moyen de subsistance vénielle offert à de vénaux accessoiristes, ou bien l'intermittence tenant lieu de révolution permanente, elle servirait à justifier la révolution manif-et-stationnaire ou l'irritant réformisme, qu'on prenne ce dernier en mauvaise part parce qu'il est toujours à se demander jusqu'où ne pas aller trop loin ou parce qu'au contraire, il est une croyance dans le mouvement perpétuel qui ne sait jamais laisser les choses en repos, lors même que ce que l'on bouleverse valait mieux que ce qu'on met à la place - et on le sait très bien en le réformant, mais pas d'alternance sans réforme ! - : on met un caillou dans la chaussure de ce qui marchait bien. Ce que nous aimons encore moins que l'absence de consultation des principaux intéressés dans les décisions qui les concernent, que le réformisme sans discernement provoqué par l'intermittence est que la confiscation de la Révolution par" la culture" dans un sens qui clame son univocité dès l'origine, c'est la confiscation du présent dans son ensemble, par des intellectuels qui auraient "le sens de l'histoire" à force de manquer de bon sens, et qui réduisent tellement la liberté d'expression le son" se serait "organisé" depuis Edgar Varèse, sans avoir plus pour critère de se rendre "agréable à nos oreilles". (9) Mais nous avons pourtant anoncé trois germes qui nous semblent laisser entrevoir le renouvellement culturel et qui emportent notre adhésion. Comme il y a trois instances auxquelles est ordonnée la culture, trois fonctions magistérielles qu'elle exerce et qui l'entraîne, chacune, au bout de sa logique à la fois cohérente et imprévisible : la culture de soi dans l'esclavage des animaux ; la culture apparentée à l'industrie dans les nanotechnologies et le culte, puis l'aversion de l'outil ; la culture administrée, enfin, dans la révolution permanente et manif-et-stationnaire sous l'autorité de l'administration du spectacle : les trois germes du devenir culturel auxquels nous faisons allusion, du moins tels que nous les entrevoyons, sont les suivants : (qu'ils respecteraient bien davantage en l'appelant la LIBERTE DE PAROLE) qu'on ne peut plus se permettre, sous leur filtrage, de moduler en musique tonale cacochyme comme avant les dodécaphonistes cacophones... On n'aurait plus selon eux le droit d'écrire des romans à la manière de Balzac ou de la musique à la manière de Bach, sous prétexte qu'on a raconté tellement d'histoires que le vrai a fini par dépasser le vraisemblable et que "
a) La culture est inventive : on aimerait mieux dire créative si d'aucuns n'avaient décidé que ce mot était frappé d'anathème, étant jetée sur lui une telle opprobre de méfiance qu'à l'ère de la multiplication des chaînes de télévision, il n'y a plus que des chanteurs qui font des reprises et des émissions dont on rachète le format à l'étranger : mais ceci se passe dans la sphère officielle. La créativité fait peur parce qu'elle passe de plus en plus à travers les mailles de l'ancien filtrage, criblant l'époque sans être passée au crible. Dans les phénomènes que je vais brièvement décrire, le filtre joue encore son rôle ; mais que de fois n'arrive-t-il pas, dans les samizdats, que la créativité sache très bien s'en passer ! Pour éviter tant d'indépendance (d'esprit), "la culture" incite à se méfier de la créativité en général, et par-dessus tout de qui annoncerait penser le monde à part soi, ce qui ne pourrait être que l'oeuvre d'un fou, nageant dans une vase concourant d'incongruité et de débilité, en raison de tous ces grands esprits qui ont fait référence avant que son intelligence ne se pose là... (10) tu parles ! Les ancêtres autorisés ont bien déliré autant que nous pouvons le faire à nos heures pernicieuses... Pour ma part, je crois n'avoir jamais si bien écrit qu'à neuf ou dix ans, quand j'avais premièrement très peu lu et que je ne savais pas, par conséquent, que je pastichais : Pagnol en l'occurrence... J'étais moins doué que Sartre vous imitant Corneille avant de vous y faire bâiller par sa philosophie. J'avais aussi écrit un roman messianique sur un extraterrestre qui venait pacifier une planète sans du tout avoir vent qu'une lame de fond soulevait les croyances de mon temps, dont la vague me fait peur, et qui voudrait que toutes informations nous évitant de courir à notre perte nous fussent données par des extraterrestres : nous nageons en plein "TEMPS X" sous la houlette des frères Bogdanoff qui sont nos mentors dans "LA GUERRE DES ETOILES" et nous apprennent à dominer "le côté obscur de la force"... Pour sortir de mon cas personnel qui n'a pas d'importance malgré que je me prenne pour un génie général, j'ai entendu un enfant, atteint de phobie scolaire, réciter devant une tablée dont j'étais un convive, quatre pages de RAP dont le texte racontait son histoire à s'y méprendre. Mais vous n'auriez jamais pu lui demander d'apprendre une poésie... On n'a jamais si universellement bien écrit, ni avec autant de verve, ni autant de volumes, que de notre temps, dont certains intellectuels patentés (ce qui explique qu'ils se plaignent), inquiets de voir disparaître le filtre qui les fait vivre, tansent la graphomanie. Or on n'a jamais écrit de façon si personnelle que depuis qu'on n'essaie plus de "sauver la littérature" (les rares romans autofictionnels qui s'attribuent cette mission n'ont généralement que le mauvais goût de leur crudité), mais qu'on ne sait pas ce qu'on fait en écrivant... Alors il peut se produire des changements formels à notre insu, et le poème n'est plus "muet" qu'à celui qui ne veut pas "remuer la langue..." (11) Ces poètes, d'autant plus véritables qu'ils sont sans prétention littéraire (les autres se donnent un genre... La poésie !), appellent leurs paroles des "lyrics" (Kool Shen). Ils retrouvent le sens en retrouvant le mot, même anglicisé : car que devient la poésie si elle perd le lyrisme ? Ils ont la tchatche, la niak et le bagou, tandis que les poètes insignifiants (il faudrait dire "économes de signes et de mots") à force de s'astreindre à écrire dans "l'aujourd'hui de l'histoire de l'art" se font, c'est un comble, un tabou du langage... Mais, s'ils pratiquent cette ascétique du mutique, n'est-ce pas qu'on les sent avant tout rebutés ? Quand on cherche pourquoi le dire, c'est peut-être qu'on n'a pas grand-chose à dire... Quant au "comment dire ?", si la question est un blanc avant le "mot juste" et met en relief le silence qui précède le poème, pourquoi pas ? Mais la poésie ne consiste pas dans le silence, à moins que ceux qui n'écrivent de la sorte ne le fassent pas par pose et qu'ils ne soient, eux, pas sauvés par les mots, mais par le silence d'où jaillissent les mots et qu'ils essaient de rendre ce silence... Mais si la réflexion sur le "comment dire" est une façon de s'appesantir sur la forme par manque de fond, pourquoi chercher à tout prix à apposer son commentaire ? Le "pourquoi dire" correspond à la nécessité primordiale d'exprimer ce que l'on détient réprimé dans le corset de sa cage thoracique ; le "comment dire" est l'industrie qui, si elle se réfléchit, tourne en culte de l'outil verbal pour en détruire par compression le pouvoir expressif. Le "dit" est la culture mise à disposition, sortie du "moi" pour être publié en dehors des conflits personnels à l'auteur entre travail et inspiration. Le "dit" est le bien culturel au service du public. Ce que celui-ci peut en retirer dépend pour l'essentiel de la qualité, mais aussi de la personnalité du diseur. Ceux qui écrivent par nécessité savent fondre sur l'essentiel, quand les devanciers normaliens de ces nouveaux "aigles barbares" se rendaient inintelligibles par leur rhétorique, savoir au rabais qu'ils véhiculaient sans le transmettre, n'ayant pas même cure de persuader, ce qui était naguère la fin de cet art de la rhétorique, car le lecteur qui n'eût pas été persuadé avant même que le rhéteur ne professe n'aurait pas été jugé digne, non seulement d'assister à son cours, mais d'accéder au savoir. Le minimalisme avare de signes est la nouvelle norme culturelle officielle ; or ces nouvelles formes rapeuses forçant fort sur la formule, très maximalistes et significatives, je veux dire riches de signifiants, épousent le genre d'intelligence, très déconcertant, des collégiens de notre temps : s'ils n'ont guère d'orthographe, comme ils savent dire les choses ! Ils vont droit au but et ne ratent pas leur cible, bien qu'ils donnent la même importance à tous les plans de la réalité, de la "philosophie du coeur" à la "boîte à caca". Du moins, ce qui nous choque : ils ne hiérarchisent pas. Mais ce mélange des plans et cette absence de hiérarchisation sont des séquelles des guerres qu'on leur a faites, depuis les puces que leur a implantées pour les suivre la troisième révolution industrielle jusqu'aux figurines issues des films d'horreur, telles que la représentation très manichéenne qu'ils se font du monde entre bons et méchants, représentation qui n'est pas très différente de la version du psalmiste, ne recouvre pas la différence entre le beau et le laid. Le bon laid infantile introduit une telle perturbation dans l'esprit qu'il vous feraient tuer n'importe qui en toute innocence. Ainsi font figurines et puces, de même qu'elles vous feraient flasher n'importe qui pour une photo numérique qu'il n'y a pas à retoucher et surtout pas à développer. quant aux guerres moins intérieures que (et antérieures à) celles des puces, guerres que l'industrie a faites à nos enfants et qu'ils se sont faites à eux-mêmes parce qu'on leur avait mis dans la tête, à ces enfants qui n'avaient pas connu la guerre, que ça ne pourrait pas continuer comme ça toujours ; quant aux guerres antérieures, dis-je, non plus qu'ils se sont faites avec le secours de l'industrie japonaise des dessins animés, mais qu'on leur a faites, en qualité de parents, administrateurs d'éducation, qui ont refusé d'être éleveurs : ces guerres, non plus des puces, mais des boutons, vous savez bien quelles elles sont : ce sont celles des déplacements de population qui les ont déracinés en-deçà des tromperies de tout "droit du sol", du travail des femmes vécues comme émancipation maternelle et qui fait d'eux des "enfants à la clef" après qu'ils ont été des enfants de la crèche. C'est enfin le divorce intériorisé par des parents qui, pour l'avoir vécu, n'auraient pas voulu divorcer à leur tour ; mais qui, pour l'avoir vécu là encore, ne peuvent faire autrement que de reproduire, bien qu'ils aient fait des enfants-rois. Ils se séparent dès que ceux-ci ont quatre ans, pour ne pas mettre le bonheur de ces souverains en concurrence avec le leur. Ces enfants de toutes les guerres et de l'accélération de l'histoire qui se lit dans leur hyperactivité, seront peut-être des enfants barbares : mais ils ne seront pas des enfants démocratiques comme nous nous sommes hypnotisés à le rester. Ce ne seront pas eux à qui on pourra dire sans qu'ils fassent la grimace, comme nos politiques le font pour nous à longueur d'année :
"Il faut faire de la pédagogie", sans que nous mouftions !
Ces enfants sont happés vers la démocratie directe parce qu'ils sont de la génération d'Internet. Le paradoxe d'Internet est d'être une invention de l'armée américaine, d'être contrôlé par les services secrets états-uniens et de continuer néanmoins à peu près d'échapper à toute censure (parce que le pays qui contrôle la toile est celui du premier amendement de la constitution qui interdit toute restriction à la liberté d'expression) bien que nulle de nos aquintances inavouables ne doive se croire à l'abri de demeurer secrète... Ces enfants d'après l'enfance ont déjà pris le dessus sur les crapauds mondains qui se désolent de n'être plus des filtres. Ils vaincront si on les pacifie...
b) La culture est actuelle. On peut en avoir soupé de l'actualité, comme on peut estimer qu'impasse est le débat de savoir si l'on doit s'absorber dans l'étude des livres anciens ou lire les nouveaux : les modernes sont le canal par où sont résumées pour nous, certes de seconde main, les connaissances et théories accumulées par les anciens. De tout temps avant le nôtre, la culture s'est contentée d'actualiser. Elle a fait revivre des mythes qu'elle a renfermées dans une modernité qui ne savait pas qu'elle allait devenir notre âge classique. A mesure que la masse culturelle augmentait, s'est formée l'obligation, devant l'abondance du matériel à exploiter, de faire ses classiques de textes plus récents : rares étaient tout de même ceux qui, même à l'âge d'or de l'érudition, pouvaient en même temps devenir des hellénistes hors pairs et apprendre par coeur les alexandrins de Corneille. Aujourd'hui, ce n'est pas que la culture se refuse absolument à actualiser : l'homme moderne est loin d'être privé de références, même s'il tend à se forger ses propres repères qu'on le dit avoir perdus. Mais, là où la donne a changé, c'est que "la culture" ne croit plus au mythe. Soucieuse comme elle est d'éviter toute mystification, elle n'est plus en mesure de satisfaire l'insatiable besoin de merveilleux qui est celui de l'homme. Décroyante dans une société de décroissance, "la culture" rend le sujet incapable de diagnostiquer une différence entre mythe et révélation. "ca crée" du sacré. Le culturel n'étanche pas la soif de surnaturel de l'homme épris de mysticisme. L'homme est un être de la nature (phase primaire) qui, par industrie, bâtit la culture (acte secondaire) pour contrer les croyances tombées du ciel auxquelles le porte son inclination pour le surnaturel, moyennant quoi la culture devient "un état d'esprit", (acte tertiaire), à l'encontre de la Foi qui se voudrait un état d'âme. La culture ne croit plus au mythe, c'est dommage ! Elle n'est en quête que de l'histoire, elle voudrait même comprendre l'histoire qu'elle vit, et maîtriser l'histoire qu'elle fait, et savoir ce que va retenir l'histoire de ce qu'elle fait . Ayant démythologisé l'histoire, "la culture" n'a pu s'empêcher d'y réintroduire de "la mémoire", non sans avouer que la mémoire est la mythologie de l'histoire. Elle en est la charge affective, le coefficient émotionnel, la part fantasmée, mythique. L'affectivité mémorielle donne si bien le change à la manie mythique dont "la culture" se veut indemne que devront indemniser ceux qui attentent à la mémoire des "blessés de l'histoire". "La culture" interdit le négationnisme en mémoire, même si elle reconnaît que l'histoire est révisionniste par méthode. L'antinégationnisme mémoriel, c'est le totalitarisme mythologique. Le négationnisme a beau être une saloperie, on ne peut approuver la démocratie d'être antinégationniste sans dénoncer l'incohérence qu'il y a, pour un régime de la liberté d'opinion, à ne pas reconnaître celle du souvenir ou de la reconstruction du souvenir. et, en même temps, on peut justifier la démocratie d'être antinégationniste, non seulement parce que le motif en est généreux, mais parce qu'au-delà du régime politique qu'on ne saurait absolutiser, c'est à l'honneur de la culture, dans son désintérêt du mythe, de respecter un tabou mythique, nécessaire à la mythologisation de l'histoire. L'histoire ne saurait s'écrire sans mythes. Les historiens d'aujourd'hui le savent, qui vont jusqu'à théoriser comment écrire les mythes à l'intérieur même de l'histoire. Ils ne savent seulement pas que les mythes ne s'écrivent pas. Cette culture, qui ne croit plus aux mythes, ni même à la cristallisation de l'histoire, a renoncé à actualiser les mythes parce qu'elle a fait dans l'histoire le pari de l'actualité. Si la culture a fait le pari de l'actualité, c'est qu'elle s'est enfin mise d'accord avec elle-même : elle a enfin compris qu'elle était régie par les mêmes principes que ceux qui président au choix de l'information, à la sélection du présent collectif. La culture procède avec le même arbitraire que l'actualité sélectionne le présent qu'elle veut voir amplifier par la rumeur. La culture halle un chemin de hasard dans l'immense palette de l'introspection des hommes, là où l'actualité essaie de destiner un présent à l'histoire, à travers la gamme des événements dont il est impossible de rendre compte intégralement. La culture cesse de mystifier pour s'allier à l'actualité et ceci est à mettre à son actif, parce que la culture en se sécularisant, en vient implicitement à reconnaître qu'ele a fait fausse route en s'assimilant à une religion. La culture contient bien entendu des éléments inactuels dont rien ne l'empêche d'informer l'actualité ; mais le mode de procession de la culture est le même que celui de l'actualité, et il est bon que la culture et l'actualité se reconnaissent parce que l'écorce du présent qu'elles nous sélectionnent est plein d'arêtes. L'actualité est le journal d'un monde remonté, que ceux qui l'écrivent animent de passions, parce qu'ils savent l'homme passionné et qu'ils préfèrent anticiper, au mépris de la lenteur de la cristallisation de l'histoire, mais surtout de l'éruptivité avec laquelle la lave, trop longtemps contenue sous le volcan éteint, peut sortir tout soudain par l'effet d'avoir trop longtemps couvé sous la cendre. L'actualité voudrait défouler la foule en en refoulant la vindicative invective. ceux qui ont essayé de banaliser la religion dans la culture auraient voulu nous faire "prier, journal en mains". Mais cela eût été valable si l'actualité nous avait présenté le journal intime du monde. Or les plumitifs de l'actualité ont détourné cette intimité. Il faut encore laisser la prière accuser la précarité abusivement sélective du chemin tracé par la culture et l'actualité. La culture et l'actualité plantent un arbre au milieu du jardin du temps. Mais, ce que la culture et l'actualité sont trop déterministes pour avouer, c'est que le point où elles plantent cet arbre est indéterminé : ce n'est pas le centre géométrique, c'est le beau milieu. La culture et l'actualité proposent un milieu de penser. Mais elles ne sont pas assez propositives pour avouer qu'elles ne font que suggérer. La culture et l'actualité s'imposent sur le monde par peur de ne pas le dominer. L'inactualité potentielle de la culture ne fait pas confondre le présent sélectionné par elle avec l'éternité, parce que le présent calibré par la culture et l'actualité est d'une armature trop solide - La culture est une armature -. Trop solide pour être vraie. La culture, se plaçant du côté de la créativité actuelle, peut enfin acquérir la vivacité qui est la sienne. Ce n'est pas que le domaine du vivant soit son domaine réservé tandis que le champ des morts devrait être l'apanage de la religion, ce n'est pas cela ! Il a été dit que "la mort ne peut rendre grâces à dieu" ; il a été dit aussi qu'on ne devait pas interroger les morts comme la culture en fait son passe-temps favori : il faut laisser la culture être idolâtre à la place de la religion parce que la culture est areligieuse, tout ainsi que la religion est anticulturelle - La culture est nécromentienne -. Les morts ne donnent pas le dernier mot à la culture. Sinon, ils lui apprendraient qu'elle n'a gagné à être plus actuelle qu'à condition de ne pas mentir et se mentir. Mais la culture, se découvrant en symbiose avec l'actualité, dénonce la sacralité usurpée dont elle s'était faite une aura. elle dénonce aussi son bail avec la mort, en ce que la sagesse qu'eux seuls détiendraient pour n'être plus là, pourrait ne plus enkyster plus longtemps le fourmiement du sang qui ne circulait plus. Nous ne sommes pas consanguins des morts : la culture nous a trop longtemps vis-àvis d'eux placés dans une familiarité inconvenante. Leurs voix nous parviennent à travers leurs oeuvres, mais ils nous parlent de trop loin pour que nous puissions les entendre. Nous devons les respecter à l'égal de nos ancêtres. D'une certaine manière, nous pouvons les écouter, mais à condition de n'en faire qu'à notre tête. Nous devons entrer dans leurs oeuvres "en aèdes" : non en analystes méticuleux, mais comme des gens que leurs idées font cliquer et qui discutent le livre à l'intérieur du livre. Nous devons entrer dans l'intratextualité hypertextuelle.La vie est un "en avant" dont il nous faut prendre la tête , pour le temps qui nous est imparti et compté pour que nous contions notre histoire et traçions nos empreintes. Dans notre actualité, la culture donne sa coloration à l'époque : les nostalgiques de l'investissement purement classique de la culture ont beau jeu de regretter que les enfants d'aujourd'hui ne fassent plus "leurs humanités". Tout ce qui se multiplie se divise. Pourquoi "les lumières" seraient-elles suspectes tandis que "les humanités" seraient la panacée ? On accuse "les lumières" d'avoir divisé la lumière contre elle-même en la réfrigérant dans le carbone adamantin, dans la glaciation duquel aurait commencé la vie incorruptible. En quoi "les humanités" ne diviseraient-elles pas l'humanité contre elle-même, dans la glaciation d'un savoir trop érudit et trop enraidi de congélation, de n'avoir à savoir par coeur que quelques vers à déclamer en mirliton du haut d'une chaire-scène dont le microphone n'a pas étouffé tous les mystères - Au théâtre, on paye et on vient pour ne pas entendre - ? Reconnaissons à l'avènement des "sciences humaines", à l'inverse des "lumières" qui nous auraient raisonnés, de nous avoir appris, sinon à déraisonner, du moins à rechercher l'humanité dans nos incohérences. Cela valait mieux que de continuer à laisser chapeauter ce grand mammifère omnivore qu'est l'homme, cousin du porc, par des formules concentrant d'autant plus de vacuité qu'elles étaient infatuées d'être récitées depuis Mathusalem, par l'effet d'un "par coeur" où, s'il y avait du "savoir", on mettait peu de "coeur". La culture est actuelle parce que le monde l'est aussi. Le présent s'invente tous les jours et on ne peut pas de tous côtés interdire à l'homme de se déployer. Au nom de quoi le passé aurait-il nécessairement plus d'envergure que le présent, même limité d'être sélectionné par la culture et l'actualité, alliées pour proposer une grille de lecture du monde arbitraire ? a nous de donner de la fluidité à ce présent plein d'arêtes, par la liquéfaction spirituelle sans liquidation du passé, dilapidation du patrimoine, ni tabula rasa, mais liquidation de la référence comme donnée la plus certaine de la conscience apeurée de qui n'ose penser à frais nouveaux, préférant répondre en citant. Il était temps que la culture elle-même en vienne à nous libérer de la consanguinité dont elle nous apparentait aux morts, auxquels la piété filiale, parce que cette familiarité était fallacieuse, nous enjoignait de donner toujours raison et à nous toujours tort ! Le présent actuel que la culture a recomposé en se découvrant de la branche avec l'actualité contient les deux formes grammaticales du présent exprimant une action en train de s'accomplir fortuitement et avec brièveté (forme dite à l'origine du "présent actuel") et du présent dit gnomique ou général, qui énonce une affirmation toujours vraie, en quoi ce présent s'apparente au présent perpétuel dont l'éternité est indécomposable. Ce présent induisant présence (comme au fond la religion doit culminer dans l'adoration de la présence), est en phase avec le fait que l'homme a inscrit la perspective de son immortalité, depuis ces cinquante dernières années, dans une conception qui, sans abandonner tout individualisme salutaire, surplombe ou complète son salut personnel en le voulant inséparable, par charité, de celui de tous ses frères d'espèce. L'homme est tout de même moins égocentrique depuis qu'il ne veut plus, s'il faut se sauver, se sauver indépendamment de son espèce. L'homme a sans doute grand tort de se mettre plus bas que terre et de préférer la sauvegarde de toutes les espèces à celle de la sienne. Mais ce n'est là qu'un accès d'humilitéhumanités culturelles au nombre singulier de l'espèce humaine, sera son remède. L'impasse sur "les humanités" que fait une culture qui s'est découverte une similitude tangible avec l'actualité, nous fait peut-être toucher du doigt un nouvel humanisme qui, pour la première fois, se conjugue au présent... qui ne durera pas. L'homme reviendra à la raison. Il ne sera pas sans connaître un sursaut d'orgueil où ce collectivisme de l'ambition, doublé d'un accord des
c) La culture est informelle. Informelle ou informative. Elle est informelle au double sens où, comme l'économie qu'on qualifie de la sorte, elle est marginale et secondaire, en regard de la pensée. Il n'y a pas de corrélation entre l'instruction et l'intelligence. L'instruction ne témoigne que de l'aptitude que l'on a à recevoir des informations intellectuelles. Mais tel, qu'on trouvera imperméable à l'instruction, comme on dit, n'en pensera pas moins et, par sa pénétration à n'être point dupé, montrera de l'intelligence. Il n'y a pas de corrélation - ou, s'il y en a une, elle irait plutôt à l'inverse de celle qu'on imagine en général - entre la culture et la pensée. La culture serait plutôt un obstacle à penser le monde en version originale. La culture est donc informelle en ce premier sens où elle est secondaire. Mais elle l'est surtout en celui-ci qu'il ne saurait y avoir de matière qu'informée. cela, on l'a toujours su : mais jamais, nulle épistémologie n'avait insisté jusque dans les mots mêmes de sa science la plus dure, la génétique, pour dire à quel point l'information était la clef de voûte du message humain. A priori, réduire le code génétique d'un "être humain" à une information, paraît un déni sans précédent de la métaphysique. En fait, c'est une révolution, la révolution de l'information qui succède à la révolution industrielle, dans laquelle il est bon que l'homme s'inscrive et qui est appelée à lui enseigner bien des choses.
"Mon maître et ami Manitou (Léon Ashkenazi) nous avait appris que le mot okhmah, la sagesse, devait s'ouvrir par le milieu, comme on fend une coquille de noix pour donner à entendre son sens caché : (...) "La force du quoi", koah/ma, voilà le vrai fond de la sagesse", écrit claude Vigée dans ses "CAHIERS PARISIENs", publiés en extraits sur le site de sa revue "TEMPOREL", citation que j'ai découverte à point nommé, à un moment où j'étais en panne pour m'expliquer sur le rôle informel de la culture. La sagesse s'ouvre par le milieu comme nous naissons in medias res. "in medias res" se dit pour qualifier un roman qui s'ouvre au milieu de l'intrigue. C'est une banalité que nous naissons au milieu de l'histoire : mais nous ne pourrons pas apprendre la culture depuis le début (qui s'est perdu), tou comme nous naissons aussi au milieu de notre propre phrase. A notre naissance, le langage est comme terrassé en nous de ne tellement savoir par où commencer qu'il en perd tout moyen de rien dire. Nous naissons au milieu de la phrase claire et concise en quoi consiste notre message. Autrefois, les parents exprimaient à travers le nom qu'ils donnaient à leurs enfants (ou qu'ils recevaient pour lui dans leur coeur ou comme un ordre) la quintescence des qualités qu'ils espéraient le voir déployer. aujourd'hui, il est naturellement toujours possible à des parents d'écouter la musique intérieure de leur désir d'un nom. Mais, quand bien même ne se donneraient-ils pas cette peine, l'information qui est tout entière contenue dans le code génétique de l'enfant témoigne qu'il est, non seulement un terrain, mais le véhicule d'un message, le véhicule d'un certain système réactionnel que vont traduire ses enzimes. La tension de la réaction n'exprime que la contrariété du "sujet" à ne trouver comment s'énoncer. La simple énonciation d'une affirmation subjective est lancée dans le faisceau réactionnel des conflits d'optique dont voudront résulter les effets de lumière. Cet échec de l'énoncé à prendre la forme aphoréstique qui lui conviendrait idéalement ne reçoit pas seulement sa preuve en ces aphoréstiques dont ce trop long essai n'est qu'un bien court extrait : mais cet échec à formuler l'énoncé que l'on est dans sa concision ciselée se résorbe dans l'expansion du message "VERS LA PHRASE INFINIE" (voir le recueil éponyme de Carlos Henderson), qui exhorcise, en même temps que l'incapacité à trouver la formulation qui nous synthétise, la frustration que chacun éprouve de n'être que soi, corps massif en forme d'arbre où le monde se trouve étroitement contracté et condensé. De notre étroitesse à le contenir, vient peut-être l'angoisse du monde. Nous naissons au milieu de lui, notre naissance est pour nous venue en son milieu, et la sagesse doit s'ouvrir par le milieu : c'est dire que nous ne pourrons plus jamais remonter la pente, vaut-il mieux dire la chaîne ? Quelle est la méthode la plus convenable à nous enseigner la culture ? A-t-il jamais été possible de remonter du début à la fin ? En théorie, pourquoi pas, si ce n'est qu'à tous les stades de cette étude chronologique des "discours", pour employer un terme pesamment foucaldien, nous sommes arrêtés par un embranchement : curieuse rencontre de civilisation que celle qui, après nous avoir fait renier l'arbre des origines, nous fait redécouvrir l'arborescence à la faveur de l'informatique pour conclure que la culture est d'essence hypertextuelle/arboricole. Toujours elle nous demande de cliquer "pour en savoir plus" : mais cliquer en abandonnant la méticuleuse remontée que nous faisions en son milieu, c'est ne céder qu'à des excitations passagères, c'est nous contenter d'un survol. Or la culture est un survol. Il n'y a que les universitaires qui soient des singes parce que leur cerveau s'est spécialisé. Si nous ne voulons pas leur ressembler, il faut accepter de faire de la haute voltige - la culture est de la haute voltige -. Il faut accepter qu'être cultivé soit être voltigeur comme l'oiseau sur la branche, l'oiseau nomade, qui nidifie rarement, n'hésitant guère dans le choix que lui offre l'agriculture entre le labour et l'élevage. La propriété est une valeur surajoutée et qui tend à se suranner. Dans les sages lois qui nous furent inculquées par la Bible, on mettait la terre en jachère tous les sept ans et, tous les quarante-neuf ans, on mettait le Plan d'Occupation des Sols à plat : la culture a fait des héritiers, il est temps qu'elle se rappelle "la destination universelle des biens". La culture redécouvre l'arborescence au milieu du jardin des savoirs :
"Dieu nous a placés dans l'Éden : on dirait aujourd'hui dans l'ADN", croit pouvoir massorétiser Henri Tisot, le vocaliste, pour qui la Bible nous a sans doute tout dit : encore faut-il actualiser le comment dire de ce tout. N'est-ce tout de même pas une coïncidence troublante, peut-être de l'épistémè, mais que l'on découvre que, dans la moindre de nos cellules, l'ADN qui y est contenu répercute la totalité de l'information qui nous concerne et se trouve enchâssée dans notre code génétique, nouveau clin d'oeil du langage ? Pour nous rappeler qu'avec ce mot des plus modernes qui soient, nous n'inventons vraiment pas la poudre : nous ne faisons que redécouvrir que la matière est informée. Mais dans quel ordre reproduire les informations en nous engrammées ? Le langage se voudrait un réordonnancement, mais nous ne pouvons avec lui que parler dans le désordre. Le langage est une médiation qui nous présente l'information comme traçant, dans le pullulement grouillant et bruyant, à grands traits, de l'arbitraire. Pouvons-nous prétendre à un "libre arbitre" au milieu de tant d'arbitraire ? Car pourquoi notre message grave-t-il un dessin dans l'indétermination ? L'arbitraire du dessein auquel nous servons de dessin ne dit-il pas que nous sommes prédestinés ? Libre à nous de croire que notre sort est inscrit dans les étoiles : elles nous parviennent avec tant d'années lumière de retard que, tout ce qu'eles peuvent, c'est de nous raconter le passé et, le leur et peut-être le nôtre. Elles nous entretiennent dans l'illusion que nous ne sommes jamais nés, à moins que ce ne soit là réalité. Ou bien se peut-il que notre naissance soit si accidentelle en regard de la réalité de notre être qu'il vaut mieux pour nous ne pas nous en souvenir ?
C'est peu de nous qu'être une information. Pourtant nous sommes une information essentielle. Nous ne véhiculons peut-être qu'un message, mais c'est message contre projet. Après guerre, l'existentialisme a cru juguler l'apparente indétermination de la nature humaine en friche en nous infligeant le devoir de présenter notre "projet" (de vie). L'homme devait construire son projet personnel : on a vu ce que ç'a donné... Peut-être pas "la mort de l'homme", mais la négation de la personne. Si l'homme n'avait point de projet, il cessait d'être une personne. Exclus, les dépressifs ou les enkystés du "bougisme" ! L'homme-projet était le dernier râle de l'idéologie. L'Idéologie n'a jamais su que joncher le sol de cadavres exquis : les existentialistes voulaient trouver une solution pour mettre fin au charnier de la guerre, mais la dérivation idéologique du message humain en projet personnel a dénié la qualité de "vivants" à tout être humain dénué de projet, et cela dès le "venir au monde" récusé à tout "enfant dénué de projet parental", quelque difficile que soit de naître et de grandir dans la misère. Ainsi toutes les idéologies ont-elles toujours rejeté dans "les ténèbres extérieures" les individus qui n'entraient pas dans le projet, ni n'étaient doués de la qualité principale sensible à cette idéologie : à l'enfer était dévolue la non croyance dans l'idéologie de la Foi. La déconstruction derridienne fut un constructivisme à l'envers, mais n'en demeura pas moins une construction de toutes pièces qui voulut remplacer à dose homéopathique les habitus antérieurs qui étaient tout aussi culturels, à en croire ce philosophe et la sociologie contemporaine. Toute idéologie est une construction et correspond à la seconde phase du développement industriel de la civilisation accumulative et capitalistique. Serions-nous en train de voir la fin du capitalisme et ceci constituerait-il une preuve de capitulation ? La fin des idéologies nous fait peut-être trouver un certain nihilisme à notre époque, voire un certain cynisme ; mais elle est la chance enfin octroyée au message personnel de se prononcer. Le prononciamento de ce message inouï est lui-même inouï, et ce pourrait bien être le fait inédit et marquant de notre devenir culturel.
"Can I leave a message" ?
Nous tempétons souvent contre ces gens sur messagerie qui, par le filtrage, refusent la domesticité du téléphone qui les sonne... Nous sommes encore intimidés de parler sur les répondeurs parce que nous n'avons pas l'habitude de parler sans filet ni filtre, d'être nos propres éditorialistes. Mais nous devrions remercier, non ceux qui ne nous répondent pas comme les antiques éditeurs qui nous laissaient écrire sans adresse, mais ceux qui nous répondront plus tard, de nous laisser monologuer pour épiloguer à l'infini. Car notre phrase tailladée est tendue "vers la phrase infinie". Le message personnel n'a pas pour fin d'être inouï, mais de voir satisfaite la faim d'être entendus. La victoire (scientifique) du message informatif sur le projet existentiel ne signe pas seulement le constat de décès des idéologies : il met fin au règne de l'analyse au profit de la synthèse. Est-il un tant soit peu logique de prétendre qu'on va pouvoir synthétiser ce qu'on n'a pas analysé ? Beaucoup s'offusquent de ce que l'on ait perdu la capacité de l'analyse logique et a fortiori grammaticale. Ils y voient l'indice que notre monde a perdu la boussole. Il est certain que nous ne pourrons plus remonter la pente, c'est-à-dire procéder comme autrefois à une anallyse scholastique. Le monde a perdu toute logique au sens où il n'est plus capable de logique schollastique, au point que la logique n'est plus enseignée en philosophie ou si peu... La capacité d'analyse s'est amenuisée de facto avec l'empilement des références. Le palimpseste a tellement empilé qu'on n'a plus pu lire que de nème main. On a compilé. Mais on a pensé aller plus droit au but en reprenant le texte original, comme si on le lisait pour la première fois. Entre la tabula rasa et le conservatisme des humanités, s'est faufilée une troisième voie, qui a consisté en un désencombrement patrimonial des présupposés qui n'étaient pas contenus dans le texte considéré, mais dont s'accompagnait sa réception. De ce que je dis in abstracto, l'Evangile est un bon exemple. On relit de nos jours l'Evangile en faisant fi de ce qu'en ont dit les Pères (de l'Eglise), d'autant que le "sens spirituel" qu'ils en ont dégagé était entachhé par le fratricide qu'ils avaient commis de ne pas inscrire leur lecture dans la tradition synagogale, préférant, pour conquérir le monde, adopter iréniquement les "impératifs catégoriques" helléniques, dont Kant pourra faire ses choux gras en les germanisant. La logique du monde n'est plus métaphysique. Toute lecture a cessé d'être monodique, savoir ne reconnaît plus pour seule autorité "la voix de l'auteur" qu'elle cherche à restituer sans faute ni contresens. Le lecteur est pris dans la lecture, il entre dans le livre en aède, sa lecture est dialogique et dialectique : il fait du socratisme sans le savoir et sans Platon ; il "parle avec le livre" en n'ayant pour caution que sa volonté de penser juste. Cette aédétique de la lecture réconcilie dialectiquement hellénisme et étude juive, car le talmudiste n'a jamais fait qu'"entrer dans le coeur de la loi" pour commenter aux éclats la Parole sacrée. Le lecteur, inconsciemment pénétré de ce que ses ancêtres ont accumulé avant lui d'opinions à propos d'un texte qu'il serre de première main et pense à frais nouveaux en y réintroduisant sa substance subjective et et en la sachant un filtre qui n'épuise pas le texte, en produit une image de synthèse comme fait le cinéaste. Il s'en dégage "un nouveau standard" ou produit de synthèse. Les synthétiseurs n'ont pas appauvri les sons qu'ils auraient détruits en les imitant : tel ne furent que les prémisses de leur apport à la musique qu'ils nous ont dispensée d'apprendre fastidieusement à écrire, comme il est probable que l'orthographe soit appelé à se perdre dans le phonème, sinon, comme c'était le cas avant que le 19ème siècle ne le normât, à laisser le choix de la lettre au petit bonheur de l'écrivain, dont les choix vaudront grammaire, mais non plus grammaire prescriptive : d'instinct, les enfants savent raisonner, mais non plus d'une manière orthographique ou grammaticale. Ils vont droit au fait. Donc les synthétiseurs n'en sont plus à imiter les sons : Ils disposent de banques de sons enregistrés aux meilleures sources instrumentales. Telle est la synthèse que la combinaison en eux de la numérisation et de l'enregistrement est en mesure de produire.
L'autre manière de concevoir la synthèse d'une réalité non analysée a été imaginée par Freud qui, croyant avec tous les savants de son temps qu'on était passé au troisième âge de l'humanité, soit "l'âge scientifique" après "l'âge magique" et "l'âge religieux", jugea que l'humanité ne pourrait survivre à tant de sécheresse si, par l'"association", il n'introduisait de la "magie", au moins de la "magie par contiguïté", dans la pâte et la patine du raisonnement. ainsi s'opéra cette synthèse seconde dont devait résulter la théorie et la pratique de la psychanalyse. La logique associative lâcha la bride aux déductions logiques des causes premières. Les effets purent procéder des causes secondes par un résultat de l'indéfinition du "moi", être fini/indéfini qui n'entre dans le déterminisme que lorsqu'il cherche à se définir en croyant de la sorte pousser jusqu'à l'infini. Le machinisme par ailleurs avait inventé l'automatisation. Les surréalistes firent la synthèse de l'automatisme associationniste et de l'automatisme machiniste pour pratiquer jusqu'à l'écriture aléatoire et montrer que tous les sens de ce monde écrit en langue des signes s'attirent par effet magnétique. Les surréalistes essayèrent de capter la vitesse de la pensée, à quoi la bande magnétique arriva, qui réalisa un autre rêve de l'homme : celui de perpétuer "la voix de ses morts". Dès lors que ceux-ci pouvaient être saisis sur le vif de leur réactivité tressautante, la sépulture n'eut plus le même statut. On n'osa pas déclarer la fin du monopole du livre en raison du culte que l'on vouait à cet objet à cause de ces anciens rouleaux devenus incunables, puis imprimables au prix du travail de maints copistes et géniaux inventeurs. Le livre reste aujourd'hui un objet de culte parce que les difficultés qu'on a dû vaincre pour le rendre accessible au plus grand nombre ont forcé le respect. De plus, le livre est un objet fermé, et il n'y a rien tant à quoi nous n'aspirions, par-delà la désillusion où nous fait tomber le fait que nous savons fort bien aujourd'hui que nous ne sommes qu'une brassée d'opinions fortuites dans le flux de l'information, qu'à enclore notre savoir dans un objet cacheté, incapable de nous trahir ou décevoir. La cage du livre a garde d'âme. Et dire que la bande magnétique, qui peut sans nécromentie mettre à notre disposition l'âme émergeant de la cage thoracique de la voix de ceux que nous avons perdus ; et dire que la bande magnétique a commencé comme le livre en rouleaux... La bande magnétique conserve la mémoire de ceux dont on a voulu capter sur elle la parole pour en retenir le souvenir. Les livres, à partir de Proust, ont donné moins de licence à l'imagination, par laquelle la littérature faisait contrepoids à la cohérence de l'analyse scholastique du monde. Ils ont préféré revendiquer provenir de "la mémoire involontaire". - L'accumulation imaginative est un des phénomènes de la civilisation. La perte de celle-ci est à l'origine de la défaveur dans laquelle est tombé le roman qui, ne racontant plus d'histoires, manque cruellement de saveur. Le roman est amer et la télévision ne projette plus de films -. La psychanalyse s'efforce d'apporter une guérison de la mémoire ; et, quand elle récuserait ce terme de guérison, la mémoire est sa matière... première. Quant à l'ordinateur, il a aussi de la mémoire. Quel est le statut de la mémoire dans la culture informelle ? Je voudrais en donner deux exemples aussi radicalement opposés qu'on peut les trouver :
un jour, je suis dans la librairie de "L'AGE D'HOMME" où, venant assister à une lecture de Vladimir Volkoff et de sa pièce "LE CHARME SLAVE", je rencontre un russe travaillant dans la traduction simultanée de colloques scientifiques. Je lui demande:
"Parvenez-vous, le prodige étant mis à part que vous trouviez des équivalents à des concepts que vous ne maîtrisez peut-être pas, une fois la conférence achevée, à en garder l'essentiel en mémoire, sachant que les matières dont vous traitez sont du plus grand intérêt pour un esprit qui veut savoir ?"
"Je ne cherche pas à retenir. L'important est que je sois bon traducteur et que mon esprit se fasse agile pour rendre à toute vitesse. Ma mémoire est dans la spontanéité de la simultanéité quant à la génération de son imprégnation. Je ne retiens pas, mais je suis imprégné."
Une autre fois, je visite la maison de Sainte-Thérèse de Lisieux aux Buissonnets. J'arrive seul vers ce "lieu de mémoire" où les touristes défilent et ont droit en cinq minutes à un audioguidage très bruyant qui les obligent à n'avoir le temps de rien contempler pour assurer le turn-over. comme je suis aveugle et selon la coutume, on ne sait pas quoi faire de moi. J'ai la chance qu'une soeur me prenne en mains ; et, comme j'avais compté que la visite durerait trois quarts d'heure, j'avais réservé mon taxi en conséquence, en sorte que j'aurais dû être mis dehors bien plus tôt si j'avais fait la visite classique. La soeur m'emmène au jardin des Martin, où nous visitons le pressoir à cidre de la famille. Je lui pose trois questions, dont deux, la première et la troisième, sont d'intérêt pour notre sujet :
"N'en avez-vous pas assez d'entendre cette scie d'audioguidage qui se répète toute la journée et qui, de plus, est diffusé très fort ?"
"J'y suis habituée."
"Mais pourquoi ne guidez-vous pas vous-même les visiteurs ?"
"Nous sommes les gardiens de la maison. Et puis, ils nous voient tout au long de la visite. Nous jouons un peue le rôle de figurantes. Ils peuvent nous poser des questions comme vous le faites en ce moment."
"Et le soir, quand vous priez ou quand vous passez simplement la soirée, ne lisez-vous pas autre chose que Sainte-Thérèse ?"
"Cela suffit à l'enrichissement spirituel de toute ma vie. Il n'y a pas de soir que je ne découvre une nouveauté dans Sainte-Thérèse, qui soulève ma prière ! Voyez-vous ? Il vous suffit de lire un livre dans une vie. Et croyez-moi : vous en tirerez tous les avantages dont d'autres ne savent pas profiter, dans toute la masse de connaissances qu'ils accumulent et qu'ils perdent aussitôt. Au fond, je lis à peine l'Evangile... Je le lis à la messe, selon la liturgie. Mais, quand je me couche, c'est Sainte-Thérèse que je reprends, et nulle autre lecture ne me distrait de celle-là."
Lorsque, moi-même, je lis un livre et que celui-ci est enregistré sur une bande magnétique, je ne sais pourquoi je trouve presque sacrilège d'y revenir. Longtemps, j'ai cru tout retenir. Mais quelle ne fut pas ma déconvenue de voir que je m'endormais ! M'éveillant, il me prit la fantaisie, une fois, de revenir en arrière pour voir si j'avais vraiment, non pas appris, mais retenu en dormant. Une vraie rage m'a saisi lorsque je me suis aperçus que m'étaient passés sous le nez des pans entiers, non seulement, bien entendu, de ce que j'avais entendu dans le sommeil, mais même de ce que j'avais cru bien écouter à l'état de veille. Je me mis dès lors en devoir de prendre des notes : mais ce fut au prix de perdre tout le plaisir de lire. J'en suis encore là, mais je viens d'apprendre, m'intéressant beaucoup au judaïsme de ce moment, que, lors du schabbat, les auditeurs du rabbin à la synagogue, en particulier pour l'étude plus détaillée de l'après-midi, ont interdiction de prendre des notes. Cela résulte certes de l'interdiction inhérente au schabbat de procéder à toute "modification de l'espace" ou à toute autre activité qui dût laisser une trace. Mais l'intuition profonde qui est à la base de cet interdit est qu'on doit laisser la mémoire travailler d'elle-même, opérer sa propre synthèse. On ne doit pas faire défiler la cassette en arrière. Sinon, l'on devient une statue de sel, comme la femme de Loth. - La culture est sédimentaire. Informative, c'est de la mémoire vive -. Toutes nos pensées sont-elles enregistrées ? L'ordinateur ne peut imposer sa mécanique à la survenue des souvenirs. La culture de tierce forme est de l'autocréation du monde à partir du langage. L'autocréation revient à la fonction primaire de la culture ; le fait que cette autocréation récrée le monde nous fait satisfaire à l'obligation industrielle d'être, non seulement des découvreurs de nous-mêmes, mais des inventeurs. Quant au langage, il appartient à la fonction tierce. C'est dans son indéfinition profuse que nous cherchons l'aphorisme en lequel tient notre message. Et, faute de le trouver, ou bien nous délayons à l'infini pour nous épuiser de dire l'inépuisable, ou bien nous écoutons le chant des sirènes de "la pensée magique". Nous ne nous bouchons pas les oreilles à l'idée de provoquer quoi ? ah, si tous nos souvenirs nous étaient présents en permanence... Nous nous laissons chatouiller par ce rêve bergsonien, au bout duquel, s'il se réalisait, nous serions une totalité définie, mais limitée d'autant... - L'information est projection de vie -. Nous portons, bien défini, un message informulable.

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(1) (Si je voulais établir un parallèle entre mes trois fonctions de la culture et "la théorie de la trifonctionnalité" établie par Georges Dumézil(selon qui les sociétés indoeuropéennes se divisaient traditionellement entre "ceux qui sont forts par leur intelligence" (les souverains et les prêtres), "ceux qui sont forts par leur courage au combat" (les soldats) et "ceux qui sont riches de leur bétail" (les agriculteurs ou éleveurs), trifonctionnalité à l'oeuvre, par exemple, dans la société médiévale à travers la division entre oratores, bellatores, et laboratores), j'obtiendrais que la fonction de production n'équivaut pas à l'accumulation de la civilisation, mais est remplie par l'invention issue de la culture de soi : le bastion civilisationnel serait mieux défendu par les guerriers. Quant à la souveraineté, elle apparaît aujourd'hui dans un état postpolitique où la fonction sacerdotale continue bien d'être assurée par les grandes consciences de ce temps, pourvoyeuses de son sens : mais la fonction sacerdotale a subjugué sa finalité d'origine. Elle s'exerce à son propre profit et non à celui d'aucune religion, qui entraînerait une croyance en l'immortalité, sublimant la condition humaine. La fonction sacerdotale, soumise dans le catholicisme à la réception du Sacrement de l'Ordre, n'est plus subordonnée. La subornation de la subordination du Sacrement de l'Ordre a permis la substitution de la culture à la religion. Mais cette substitution ne fait pas qu'invertir l'ordre naturel de la culture et de la religion puisque le sacerdoce devrait être subordonné à la religion, tandis que c'est aujourd'hui la religion qui est subordonnée au sacerdoce : la culture, comme "religion du monde", lui apporte certes un "supplément d'âme", mais d'âme mortelle. Le monde ne se dématérialise que pour se miniaturiser, mais jamais parce que subsiste en lui la moindre croyance en la postérité. Quand il arrive encore à la culture d'en appeler aux éphémérides, ce n'est que pour se rendre plus éphémère. Indépendamment des bénéfices libertaires de la laïcité, d'autant plus indispensable que la société est devenu pluriculturelle (ce qui permet peut-être au monde d'être devenu une civilisation, la substitution de la culture à la religion est donc littéralement mortelle.)

(2) (dans "YVETTE", l'une des nouvelles les plus longues, mais aussi les plus enlevées de Maupassant, Muscade, dont la jeune héroïne est amoureuse tout en le faisant tourner en bourique jusqu'à le faire prendre à coquetterie cette frénésie qu'elle met insatiablement dans leurs rapports sans transports, frénésie qui n'est, dans le jeu de l'Eprise, qu'une peur de s'avouer qu'elle aime pour de bon ; Muscade est sommé, par celle sous le charme de qui il vit innocemment ce qu'il ne croit être qu'une passade, de tenter de se définir. Je n'ai jamais pu retenir que cette première qualité qu'il se donne en se cernant, surpris :
"Je ne sais pas, moi... Je crois que j'ai... Une absence presque totale de préjugés..."
La religion, qui voudrait tourner la foi en certitude, est pleine de préjugés, et c'est pourquoi elle ne peut "en finir avec le jugement de Dieu". quelque milieu que j'aie fréquenté, je suis toujours resté d'un très grand naturelcultivé celui-ci, je l'ai fait sans affectation. Je montre beaucoup moins d'affectation à l'oral qu'à l'écrit, et cette absence d'affectation tient tout entière à ceci que je ne juge personne, même si je peux me montrer très péremptoire dans mon expression. Je ne juge personne, car je n'aimerais pas être jugé. Je ne pourrais que beaucoup perdre à la comparution. Je ne juge personne, car je ne pourrais pas parler en vis-à-vis à l'un de mes semblables dont je supposerais in petto qu'il est voué aux flammes de l'enfer, que c'est une "face de damné", qu'il est condamné... Prononcer de ma mauvaise langue la condamnation de quelqu'un, ce serait manger la mienne de façon plus certaine et moins comestible que s'il m'arrivait par mégarde de communier en n'étant pas en état de Grâce, ce dont on ne peut jamais être assuré. Un de mes camarades de classe, Marco Scialom, prenait plaisir à siffler d'un ton sarcastique à mon oreille cet aphorisme peut-être apocryphe de Nietzche : et, si j'ai
"Dieu est mort, profitons-en..." Dans une formule beaucoup moins lapidaire et presque lâche, Dostoievski aurait mis dans la bouche d'Ivan Karamazov cette maxime de morale craintive :
"Si Dieu n'existe pas, tout est permis".
La belle âme russe élevée dans la religion des "fols en Christ", d'avoir ignoré "la folie de la Croix" jusqu'à faire de Dieu un garde-fou... L'ennemi juré de Nietzsche, Saint-Paul, fut l'initiateur du fameux (et malheureusement décrié) slogan de 1968 :
"Il est interdit d'interdire"
quand il lança, pour énoncer l'alternative morale de la liberté chrétienne :
"Tout est permis, mais tout ne convient pas".
curieusement, autant je ne me reconnais pas dans l'affirmation couarde et fuyante de l'ex-bagnard russe ; autant je lui préfère la flamboyance du penseur dyonisiaque ou le caractère contenu du moraliste chrétien, autant pétri de paradoxes que passer maître dans l'art de les forger ; autant, cependant que je préférerais éviter de fréquenter quelqu'un pour qui je craindrais les peines de l'enfer - ou plus probablement, je m'efforcerais de ne pas l'aimer -, a contrario, j'ai du mal à concevoir que l'on puisse se faire prêtre, ce qui implique tout de même de donner sa vie, si l'on ne croit pas à l'enfer. Je ne peux me défendre de trouver de l'inutilité dans ce qui est peut-être la plus noble des oblations et le plus grand des actes gratuits. Il faut dire que je n'aime pas beaucoup la platitude attribuée au même Dostoievski :
"La beauté sauvera le monde"
même si nul, plus que moi, ne souhaiterait défendre la valeur esthétique de la vérité : à la vérité (et tout mieux pesé), il y a deux types de vérité : il y a la vérité dogmatique, qui ne se pique pas d'être belle, et il y a la vérité de situation, qui réclame pour soi la beauté, car elle est d'ordre existentiel. Je ne conçois pas comment la beauté pourait sauver le monde ; mais je ne comprends pas non plus cette phhrase, que je ne prends pourtant pas pour une platitude :
"C'est tellement plus beau lorsque c'est inutile.")

(3) (Ma professeur de Français de l'année du bac en la matière, qui a lieu à la fin de la classe de première, retrouvée il y a peu (je ne suis jamais sorti de l'adolescence), inaugura son cours en nous disant :
"Il y a sûrement parmi vous des gens plus intelligents que moi, mais il n'y en a pas de plus instruits."
C'était une subtilité qui manquait de tact. Si j'avais jamais été enclin au savoir, cela n'était pas fait pour m'encourager (ni mes camarades non plus) dans le goût de l'instruction.)

(4) (Tout homme aspire à être aimé inconditionnellement, et il peut même arriver à aimer de la sorte. Mais seul Dieu peut arriver à la fois à Aimer Inconditionnellement et sans retour.)

(5) (La première fois que j'ai lu cet adage, c'était sous la plume de Mère eugénia, la collaboratrice très zélée de Raoul Folereau, qui avait créé des léproseries que le journaliste avait visitées et qui l'avait impressionné au point de le faire dévouer toute sa vie à la victoire sur la lèpre. Mère Eugénia aurait reçu cette Parole, "Dieu est societe", dans un message au monde qui lui aurait été adressé par Dieu le Père en Personne, Qui lui aurait demandé de le diffuser. Or elle en a été terriblement empêchée. En effet, cette théophanie directe du Père (en contradiction avec la doctrine du Christ médiateur) à la fondatrice des léproseries qui ont sensibilisé Raoul Folereau a reçu très peu de publicité, peut-être du fait de la médiatisation de son reporter-protecteur, peut-être sur l'ordre des supérieures de Mère Eugénia qui, après un retour forcé en Italie qui sonnait comme une disgrâce, est pourtant devenue à son tour supérieure de son ordre, comme Yvonne-aimée de Malestroit. Ce message a subi une tacite occultatio
n.
Or, aux dires d'une de mes amies (qui m'avait fait découvrir ce message comme elle m'avait fait connaître soeur Faustine bien avant que Jean-Paul II ne la canonisât, ce qui assura le rayonnement de cette mystique polonaise dans le monde catholique tout entier), mère Eugénia aurait été la seule mystique avec sainte-Catherine de Sienne à avoir été favorisée d'une téhophanie directe du Père. en soi, il est vrai, l'idée que "Dieu (soit) Société" ne revêt rien d'originale (et ce n'est du reste pas l'essentiel du message que mère Eugénia a reçu mandat de diffuser) : c'est une idée déductible du dogme de la Trinité. D'aucuns se sont permis de profiter de l'aubaine pour instrumentaliser la religion à des fins mondaines de régulation sociale. Au contraire, la religion relie le "moi" à Dieu et Dieu relie le "moi" à autrui. Ce fait que la religion est initialement destinée au "moi" pour le tourner vers Dieu a permis cette déviation qu'est la croyance au salut personnel, chacun faisant son salut... La religion a pour but de développer les relations de personne à personne. Au contraire, "la culture" se réalise dans la société, quand, indépendamment de l'existence concrète des gens du monde, elle les a si bien imprégnés de matière étrangère qui devient leur matière première, que la culture devient l'esprit du mondeétat d'esprit. La culture est en ce sens cosmopolite dès son acte de naissance. C'est le carburant du monde... Quant à l'adage que "dieu est societe" , on devrait normalement pouvoir le reformuler en disant que l'Absolu Est relatif. Sauf s'il y a différence radicale de sens entre relativité et relativisme, en vertu du fait que Dieu Etant Trinité, l'absolu Est Relatif, Benoît XVI ne devrait pas fustiger à ce point "la dictature du relativisme". C'est le troisième contresens papal que nous relevons depuis que nous nous intéressons à la culture.) ou son

(6) (On parle identiquement d'une découverte du feu. L'objection du candide le fait quelquefois demander comment il s'est pu faire que l'homme ait pu vivre si longtemps sans voir un feu et imiter ce qu'il voyait. Le fait est pourtant qu'on ne sait fabriquer le soleil pour l'avoir vu briller. Le paléontologue hausse les épaules à cette objection stupide du candide et, sans le prier de l'excuser de l'imprécision de son vocabulaire, lui assène maintenant avec la morgue accoutumée des faiseurs d'hypothèses qu'il n'avait jamais prétendu que l'homme n'avait jamais vu le feu : simplement, précise-t-il, il ne savait pas comment en produire lui-même en aiguisant silex contre silex. Il me plaît mieux, à moi, d'aiguiser l'iracibilité de mon paléontologue en lui demandant, tant que ma candeur confine sans limite à la bêtise, comment l'homme faisait pour vivre dans des cavernes alors qu'il n'y avait pas d'escaliers pour y descendre... La régression préhistorique n'a-t-elle pas tout simplement transposé dans sa découverte des fosciles cachés sous la terre palimpseste "le mythe de la caverne" de Platon pour, moins raconter les conditions dans lesquelles l'homme était parvenu à faire son trou sur la terre après y avoir habité en compagnie des minerais, que comment il était sorti de sa prison mentale ?)

(7) (quand on y pense, qu'est-ce qui s'oppose à l'anarchie, sinon la crainte où l'on est de ne pas trouver d'infirmières qui voulussent exercer sous un tel régime, pas assez d'éboueurs ou d'égoûtiers, et plus généralement pas assez de personnes disposées à accomplir les basses tâches et à dévouer de leur temps à des métiers peu ragoûtants ? Or, à présent que le système de prospective bureaucratique nous a laissés en plan et mis en pénurie de médecins, d'infirmières et de tout ce qui compte pour qu'une société ne laisse pas ses démunis sans assistance, qu'est-ce qui maintient la supériorité de la démocratie planificatrice (où l'orientation de ses études ultérieures n'en est pas moins laissée à la libre appréciation du "scolaire" qui a envie de s'enquiquiner le moins possible) sur l'anarchie qui se dit capable de s'autoréguler ? et tout ce qui compte... Ne devrait-on pas tirer les conséquences de ce que, sans infirmières, nous serions dans de beaux draps pour voir dard dard à rendre plus juste l'échelle des salaires... ? Pourquoi le dirigeant d'une grande entreprise, placée à sa tête par son conseil d'administration, aurait-il droit à des "retraites chapeau" sous prétexte qu'il manie beaucoup de devises sans être responsable des pertes de la société qui l'emploie ? et à quand des syndicats qui, au lieu de se plaire à ce qu'on les appellent des "partenaires sociaux" pour jouer dans la cour des grands par "social-traîtrise", défendront, non plus les classes moyennes dont le sort reste encore assez enviable, mais le vrai prolétariat des ouvriers qui s'assourdissent en cadence derrière les chaînes de montage des usines ou dessus les marteaux-piqueurs ?)

(8) (La culture ne désire que dans une seule direction quand la politique, qui devrait moins exprimer un désir que montrer un dessein, se garde bien de donner à celui-ci la moindre unité, de crainte de passer pour fasciste et au risque d'exposer l'Etat à devenir l'otage de la défense des intérêts catégoriels. La République ne se satisfait d'être associative que parce que s'appuyer sur les associations est le meilleur moyen qu'ait trouvé l'Etat pour se défausser et ne pas venir au secours des opprimés qui auraient vraiment besoin de lui. Les nombreuses scissions qui ne manquent pas de diviser les associations qui prolifèrent parce que chaque Président d'association réalise ainsi son rêve de devenir Président de la République en petit, divisent les causes que chacune de ces associations prétend défendre en particulier. Laissant faire, l'etat divise pour mieux régner, bien que ces causes étant divisées, ce soit la République qui le soit par elles. Un Etat bien gouverné se devrait de retrouver l'unité du dessein que suppose la politique. Il devrait définir ses pouvoirs régaliens. Pour un homme de droite, les pouvoirs régaliens se limitent à la Justice, la défense et la sécurité intérieure ou extérieure. Pour un homme de gauche, s'ajoute à cette liste la santé, le logement et éventuellement l'éducation, dont on a fait étrangement un droit de l'homme... obligatoire. A la différence de la liberté d'aller et venir, droit de l'homme qui reste inappliqué. Soumettant au peuple la liste des pouvoirs que celui-ci voudrait voir considérer comme régalien, un Etat ami du peuple, comme se prétend être l'Etat démocratique bien qu'il prenne en mauvaise part le substantif de "populisme", plutôt que de s'enférer dans l'ineptie du parlementarisme qui ne brille que par sa force d'inertie, chercherait, par un régime référendaire, à faire du peuple son parlement et ainsi, sans céder au fascisme, définirait avec lui les priorités du gouvernement.)

(9) (Edgar varèse fut le premier à introduire "les bandes magnétiques" parmi les instruments de l'orchestre. Cela aura de l'importance un peu plus loin... Ancienne définition de l'harmonie :
"L'harmonie est le son organisé de façon agréable aux oreilles" ;
nouvelle définition de l'harmonie :
"L'harmonie est le son organisé".
Dans son "traite des objets musicaux", Pierre Scheffer écrivait :
"Ou bien l'oreille musicale s'y fera (et l'on sait que l'oreille musicale se fait à bien des choses...), et la musique concrète deviendra la musique de demain, ou bien l'oreille musicale ne s'y fera pas, et la musique concrète ne subsistera pas" (en substance)... L'oreille musicale ne s'y est jamais faite, mais la musique concrète n'a jamais été détrônée des programmes officiels... Pourquoi ? Parce que "la musique concrète" est née de la fascination de l'objet, voire de l'anticipation de l'ère postobjectale. Et telle est la mutation (transitoire) de la culture qu'elle a accordé l'importance qu'elle méritait aux avancées technologiques de la civilisation. Mais tout laisse à penser que nous sommes dans une mutation qui aura moins à voir avec "le choc des civilisations" qu'avec l'inadéquation de ce concept même : les civilisations supposent le multiple et le monde s'unifie à tel point que, par exemple, c'en est fini de la "conquête" : le seull enjeu est "l'influence". Ainsi, peut-on dire des formes nouvelles de migrations qu'elles sont des "invasions sans conquête" tandis que l'impérialisme américain est une "conquête par influence". L'absence de conquête est un mode inédit du champ de "l'invasion", comme le cantonnement à l'"influence" est un genre inédit de "la conquête".)

(10) (Jadis, on subissait l'aura des "grands esprits" ; aujourd'hui, on est sous l'emprise des "grandes consciences"... Dieu, que c'est intimidant de les voir si savantes et sûres d'elles... Mais elles n'ont pas l'air de s'inquiéter que difficiles à aimer sont les gens pleins de certitudes. Les "grandes consciences" seraient-elles des ayatollah ? Ce qui nous empêche de le penser est qu'elles n'assènent jamais leurs vérités sur le ton des illuminés ! Elles entretiennent l'illusion démocratique en restant modérées sur le ton, mais implacables sur le fond... Quand elles vous redressent vos torts, vous ne sauriez les accuser de déraisonner... C'est vous qui déraisonnez en vous croyant en avance sur votre temps parce que vous êtes en retard d'une guerre...)

(11) ("Le poème est muet dans la langue" (André duboucher)